Séniorité et citoyenneté en Afrique pré-coloniale - article ; n°1 ; vol.59, pg 119-136
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Description

Communications - Année 1994 - Volume 59 - Numéro 1 - Pages 119-136
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Jean-Pierre Olivier de
Sardan
Séniorité et citoyenneté en Afrique pré-coloniale
In: Communications, 59, 1994. pp. 119-136.
Citer ce document / Cite this document :
Olivier de Sardan Jean-Pierre. Séniorité et citoyenneté en Afrique pré-coloniale. In: Communications, 59, 1994. pp. 119-136.
doi : 10.3406/comm.1994.1895
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1994_num_59_1_1895Jean-Pierre Olivier de Sardan
Séniorité et citoyenneté
en Afrique pré-coloniale*
II sera ici question, dans une perspective comparative extrêmement
large et générale, et donc avec toutes les réserves qu'un tel exercice peut
et doit susciter, de quelques « modèles africains traditionnels » de citoyen
neté et de leurs rapports avec la séniorité. En effet, l'âge social était et
reste une des clés de l'insertion de l'individu dans des « espaces publics »
en Afrique, et, derrière cet âge social, c'est un principe de séniorité qui
est à l'œuvre. On aura compris que « citoyenneté » ou « espace public »
ont ici une acception beaucoup plus large que de coutume (cf. Haber-
mas, 1978), qui vise à « dé-occidentaliser » ces notions, afin de permett
re une comparaison avec le monde occidental. Mais il convient de dissiper
d'abord un malentendu.
PREALABLE : SUR LA COMPARAISON LARGE
Dès lors que l'on compare, sur un thème donné, des espaces-temps
très contrastés, autrement dit des ensembles culturels et sociaux rele
vant de diverses « civilisations » saisis hors interactions historiques, dès
lors, en d'autres termes, que des sociologues, politologues ou historiens
du monde occidental invitent des anthropologues des mondes non occi
dentaux à répondre à la question : « Et chez vous, comment ça se passe ? »,
une équivoque pèse quant à la nature de cette « demande » adressée à
l'anthropologie. C'est souvent l'exotisme de ses objets qui fascine, et
l'on attend alors de l'anthropologue qu'il soit une sorte de porte-parole
* Ce texte est issu d'un exposé prononcé lors d'un colloque organisé en 1991 par Annick Percheron
et la Fondation nationale des sciences politiques sur le thème « Age adulte et entrée en politique ». Je remerc
ie T. Bierschenk et J. Bouju pour leurs remarques sur une première version.
119 Jean-Pierre Olivier de Sardan
des sociétés primitives et qu'il oppose celles-ci à la société contempor
aine.
En effet, il y a une tendance lourde, dans l'histoire des sciences socia
les, à constituer toutes les sociétés non occidentales en un ensemble doté
de caractéristiques propres alors que, d'une certaine façon, toutes ces socié
tés n'ont guère en commun que de n'être pas la société occidentale. Puis
l'on regroupe cet ensemble derrière une sorte d'abstraction qu'on appelle
«sociétés primitives» (cf. Kuper, 1988), dont les figures emblématiques
sont les sociétés de chasseurs-cueilleurs à travers le monde, en ignorant
que, de fait, 95% des populations non occidentales relèvent ou plutôt rele
vaient de sociétés paysannes, stratifiées, et dotées d'une histoire non pas
« froide » mais « chaude ». Et — dernier aplatissement — cet étrange modèle
de la «société primitive» abusivement généralisé devient, comme par
enchantement, une sorte de négatif de la société occidentale, où l'on sem
ble reconnaître soit une préhistoire soit une inversion de celle-ci. Il s'agit
là d'une dichotomie assez fondatrice des sciences sociales, depuis Durk-
heim et Weber jusqu'à Parsons, et qui trouve une seconde jeunesse dans
son changement de signe récent (cf. la réhabilitation du « modèle primit
if», sous différentes variantes, dans la production intellectuelle contemp
oraine, depuis Deleuze et Guattari ou Clastres jusqu'à Caillé...).
Pourquoi cette remarque préliminaire ? Parce que, quant à la relation
entre âge et citoyenneté, le seul énoncé à portée générale que l'on puisse
proférer sur les sociétés non occidentales est à peu près ceci : elles n'ont
pas le même type de rapport entre âge et citoyenneté que les sociétés
occidentales contemporaines... Prenons une variation de ce thème : le
problème du rapport entre « âge adulte » et « entrée dans la politique »,
qui est un problème de politologie contemporaine, n'a de sens qu'en
référence aux Etats de droit moderne. Autrement dit, un ethnologue convié
à un débat sur ce thème ne peut manquer de dire qu'un problème posé
ainsi est posé de façon ethnocentrique, dans la mesure où est sous-
entendue l'existence d'une certaine conception de l'« adultéité » et de
la «politique» propre aux démocraties occidentales.
DE COMMUNES DIFFERENCES
Aussi, avant d'évoquer les sociétés africaines, vais-je tenter d'abord
d'inverser le regard, et de prendre le point de vue d'un ethnologue afr
icaniste regardant depuis Niamey ou Ouagadougou le système politique
français. Trois caractéristiques y apparaissent, toutes liées à l'existence
de normes qui fixent l'état adulte et les règles du jeu politique.
120 Séniorité et citoyenneté en Afrique pré-coloniale
1) Le premier aspect, celui que l'on voit en premier lieu, c'est la pré
sence dans la société française d'une norme juridico-politique qui défi
nit le rapport adultéité/politique par des barrières et des frontières, qui
établit des unités discrètes dans le continuum de la vie sociale, et qui,
par exemple, décide que, à 18 ans, tout d'un coup, on acquiert (et on
garde toute sa vie) tout un ensemble de droits dont avant on était privé,
ce qui fait que l'on devient, vis-à-vis de la loi, politiquement adulte en
une seule fois.
2) Deuxième élément, il apparaît aussi que le champ politique en France
est hautement et fortement institutionnalisé. Il se définit par l'existence
d'un certain nombre de règles du jeu formalisées autour de tout ce qui
concerne la représentativité et le système électoral. De même, les fo
rmes d'action collective s'exercent principalement à travers des médiat
ions de type organisationnel (cf. partis, associations, clubs, coordin
ations...)
3) Troisièmement, autre particularité que l'on remarque en décentrant
le regard, l'existence d'une conception assez largement partagée du
civisme minimal permet de parler d'une « représentation collective » de
ce qu'est l'individu politique, à savoir un être autonome équivalent à tout
autre, un individu abstrait, pour ainsi dire coupé de l'ensemble de ses
déterminations sociales, qui agit en connaissance de cause, qui exprime
seul, librement et en conscience, son choix en fonction d'une décision
personnelle. Il s'agit là en quelque sorte d'un « modèle émique » de l'adul-
téité politique en Occident : les historiens ont abondamment montré com
ment ce modèle s'est constitué puis imposé. Le résultat en est le « citoyen »,
cet être désincarné, doté de capacités d'opinion et d'action politique rele
vant d'un « libre arbitre » politique conçu comme indépendant du statut
social et n'ayant avec l'âge qu'un rapport dichotomique (avant/après
18 ans).
Certes, les politologues ne s'en tiennent pas à une telle définition, ils
n'en restent pas au seul niveau des normes légitimes et publiques. Ils
vont mesurer les écarts entre de telles et les réalités. C'est bien
une des tâches des sciences politiques que de voir à quel point il y a
de la marge (et c'est aussi de la marge de manœuvre) entre la concept
ion juridique et idéelle de la vie politique et la façon dont se pratique
en fait le jeu politique (qui réintroduit l'inégalité sociale des individus
ou le poids des réseaux personnels). Mais cependant tout le monde adhère
à ces règles du jeu, même si chacun triche plus ou moins avec elles ;
tout le monde admet cette définition du champ politique, même si on
met, de temps en temps, le pied en touche et

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