Propriété intellectuelle, innovation et développement des PME en France Rémi LALLEMENT*
Introduction Compte tenu des enjeux de compétitivité internationale,a fortioridans un contexte de crise économique mondiale, la création de richesses et demplois en France dépend de plus en plus de la capacité du tissu dentre-prises à se renouveler. A cet égard, un rôle clé revient aux PME et à leurs capacités à se développer. Sachant que la marge de manuvre des PME est très limitée sur le plan de la compétitivité-prix, face à la puissanceÞnanciè-re et commerciale des grandes entreprises, le potentiel de développement des premières repose en grande partie sur leurs capacités dinnovation. Si ce point est désormais bien connu, le débat public cerne souvent mal, en France en particulier, la façon dont les droits de propriété intellectuelle (DPI) contribuent aux performances des PME en termes dinnovation et de développement. Chez les économistes, la discussion reste le plus souvent très polarisée et en général peu conclusive, faute déléments empiriques probants sur la question de savoir si, au plan macroéconomique, le système du brevet joue plutôt en faveur ou au détriment de linnovation et du bien-être social (Posner, 2005). Dans le prolongement de travaux antérieurs (Lallement, 2008a ; Commissariat général du Plan, 2006), le présent article apporte des éléments dappréciation sur le fonctionnement densemble de ce sys-tème, mais il se situe sur un terrain différent, moins global, plus micro et mésoéconomique. Il vise principalement à établir dans quelle mesure et
* Chargé de mission au Centre d’analyse stratégique.
LA REVUE DE LIRES N° 62 - 2009/3 comment, selon les secteurs considérés, les différents DPI sont utilisés par les PME françaises et contribuent au développement de ces dernières. Il est souvent afÞrmé que les PME françaises sont déÞcientes dans le domaine des DPI, quil leur manque une culture en la matière et en par-ticulier concernant le brevet dinvention. Comme une telle appréciation na pas grand sens dans labsolu, il convient de remettre en perspective les observations à ce sujet. Pour en juger, il faut tout dabord raisonner en termes de comparaison internationale. Ensuite, il faut se demander en quoi les performances des PME en matière de PI peuvent être considérées comme un reßet pertinent de leurs activités dans le domaine de linnova-tion. Par ailleurs, pour échapper au débat cantonné à la dimension unique-ment technologique de linnovation et, par voie de conséquence, à la seule pratique des brevets, il importe de prendre en compte les autres formes de création ou dinnovation qui sont protégées par dautres outils juridiques de la PI, tels que les marques, les dessins et modèles ou les droits dauteur. Ceci revient à souligner la profonde hétérogénéité des entreprises : les DPI répondent pour elles, y compris pour les PME, à une grande diversité de besoins, de compétences et de pratiques. Pour clariÞer ces points, cet article se propose de montrer dans un premier temps pourquoi les activités dinnovation et le recours aux DPI représentent des enjeux de plus en plus importants pour léconomie dun pays comme la France, en particulier pour ses PME. Il relève que les DPI nont plus seulement une fonction de protection anti-contrefaçon, car les entreprises sen servent désormais pour se positionner tant par rapport à la concurrence que dans les réseaux de coopération, à lère de l« innovation ouverte ». Il en ressort que les DPI constituent un important levier pour léclosion et la croissance de certaines PME innovantes. Dans un deuxième temps, laccent est mis sur un fait trop souvent mé-connu, à savoir que les besoins et les ressources des PME françaises en matière de DPI et, plus largement, doutils de gestion de limmatériel, cor-respondent le plus souvent à leurs activités sur le plan de linnovation non technologique, cest-à-dire commerciale ou organisationnelle. A ce sujet, la comparaison internationale joue plutôt en faveur des entreprises françai-ses, quelle que soit leur taille respective, de sorte que la situation des PME ne saurait être considérée comme problématique à cet égard. Ceci permet, dans un troisième temps, darriver au cas spéciÞque du brevet. Celui-ci concerne certes une minorité de PME, mais il nen repré-sente pas moins des enjeux considérables pour le changement technologi-que et le renouvellement de lappareil productif. Or, lanalyse montre que les entreprises françaises dans ce domaine font preuve, dans lensemble, de performances assez moyennes par rapport à leurs homologues de pays comparables. Cette situation tient en partie à des facteurs institutionnels et 160
PROPRIETE INTELLECTUELLE, INNOVATION ET DEVELOPPEMENT DES PME EN FRANCE à la structure sectorielle de léconomie française, mais aussi à la structure par taille des entreprises, avec des problèmes spéciÞques aux PME. Même lorsquelles sont elles-mêmes impliquées dans des activités dinnovation technologique ce qui est moins fréquent en France que dans de nom-breux pays comparables , les PME françaises se révèlent souvent réti-centes à recourir aux brevets. Elles considèrent en effet souvent loutil du brevet comme peu intéressant et peu efÞcace, compte tenu notamment de la manière dont fonctionnent les tribunaux. InÞne, ceci montre la nécessité de réformer certains aspects du système de la PI et conduit en outre à adopter une vision large des questions de DPI, tant il apparaît nécessaire de ne pas sen tenir à des critères purement quantitatifs tels que le nombre des dépôts de brevets. I.PMEetdroitsdepropriétéi’ntellectuelle:des enjeux importants pour l économie française Pour apprécier en quoi les PME françaises ont à gagner à miser sur linnovation et la PI, il convient tout dabord de resituer brièvement cette problématique par rapport au débat actuel sur les difÞcultés de renouvel-lement de léconomie française, compte tenu de lévolution du capitalisme contemporain. I.1. Un handicap majeur : un manque de dynamisme des PME en France Il est désormais bien établi quen France, le potentiel de croissance et de création demplois est bridé par un rythme de renouvellement du tissu dentreprises insufÞsant et par un manque de dynamisme de la part des PME. En lespèce, le principal problème réside moins dans lapparition de nouvelles entreprises forcément petites que dans les difÞcultés de maturation dentreprises assez jeunes et susceptibles dacquérir une taille moyenne (Commissariat général du Plan, 2005). Cette faiblesse des entre-prises de taille moyenne est surtout patente par rapport à la situation obser-vée en Allemagne où, par contraste, le fameuxMittelstandconstitue le socle de la base exportatrice et, en ce sens, de la compétitivité internationale. En France, cette carence des entreprises de taille moyenne est bien do-cumentée par plusieurs rapports assez récents. Dans certains cas, il sagit plus particulièrement de celles qui emploient de 50 à 500 salariés (Betbèze, Saint-Etienne, 2006). Dans dautres cas et en référence à certaines carac-téristiques duMittelstandallemand, laccent est plus nettement mis sur les « grosses PME ». Ce terme paradoxal correspond globalement à la notion « dentreprise de taille intermédiaire » (ETI), que ladministration française 161