Textualisation et métaphorisation - article ; n°1 ; vol.58, pg 31-44
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Description

Communications - Année 1994 - Volume 58 - Numéro 1 - Pages 31-44
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 11
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Francis Affergan
Textualisation et métaphorisation
In: Communications, 58, 1994. pp. 31-44.
Citer ce document / Cite this document :
Affergan Francis. Textualisation et métaphorisation. In: Communications, 58, 1994. pp. 31-44.
doi : 10.3406/comm.1994.1877
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1994_num_58_1_1877Francis Affergan
Textualisation et métaphorisation
du discours anthropologique
Nous nous proposons d'examiner le mode de fonctionnement du texte
ethno-anthropologique, ainsi que la place et la fonction qu'y occupe plus
particulièrement la métaphore.
Tentons tout d'abord une définition, après celles de Marcus et Cush-
man1, Paul Stoller2 et A.L. Becker3. Deux prémisses doivent être
posées au départ, qui regardent le fonctionnement de tout texte :
1) il se présente comme une machinerie inférentielle que le lecteur
doit faire fonctionner grâce à ses propres suppositions, préjugés, inten
tions et valeurs;
2) il représente toujours un monde possible — à l'instar du texte sacré
ou musical — , ouvert au déploiement «universel de ses destinataires4».
Cela étant posé, nous sommes en droit de repérer six propriétés concer
nant le seul texte ethnologique :
1) il expose le modèle du discours indirect et, par voie de conséquence,
il se construit en élaborant son style propre ;
2) il abrite une forme narrative qui peut, dans certains cas (Leiris,
Métraux, Malinowski), donner naissance à des modes Jictionnels5, voire
des mondes fictifs;
3) la fiction qui y est produite découle du phénomène de la croyance
qui accompagne toute lecture et qui s'appuie sur un triple dispositif :
le mélange grammatical des temps verbaux (passé, présent...), le jeu entre
embrayeurs* pronominaux (je, ils, eux, tu...), et l'instillation de tropes
d'insistance («je vous assure», «j'y reviens pour la énième fois», «j'ai
revu Untel», «croyez-moi», «je demande qu'on m'accorde»...);
* Concept relevant du domaine de renonciation, par l'effet duquel une identification est recherchée et,
parfois, produite, entre le sujet de l'énoncé et le sujet de renonciation. Par exemple, un embrayeur peut
permettre de transiter du régime par lequel on décrit la nature au régime par lequel on expose un état d'âme,
ou encore de donner l'impression que l'énonciateur adhère aux passions ou aux sentiments attribués aux
sujets de l'énoncé.
31 Francis Ajfergan
4) il procède de l'autorité affective conférée par le terrain et rendue
possible par l'utilisation de deux types de modalités : auto-implicative
(«j'y étais», «je l'ai vu»...) et comparative/analogique («ils réagissent
comme les...», «cela ressemble à...»);
5) il contient une propriété axiologique/pragmatique, par laquelle la
valeur d'une action ou d'un rite fait toujours sens;
6) à l'aide de procédés artificiels, il confère du crédit à l'idée que le
terrain appartient à l'ordre du possible, incitant ainsi le lecteur à se convain
cre et à se persuader que tous ces mondes existent tels quels et qu'il
pourrait même s'y rendre pour le vérifier (ce qui constitue un mode du
possible différent de celui que confectionne le roman).
En bref, nous pourrions résumer la totalité de ces caractéristiques en
avançant l'hypothèse d'un texte où se mêleraient en permanence des
« modalités épistémiques 6 », c'est-à-dire propres au sujet connaissant (« il
m'a semblé que... », « il est évident que... », « ces croyances sont généra
lement attestées par les habitants»), et des vérités référentielles comme
la description objective de parties du réel ou la relation honnête de dis
cours rapportés. Le savoir anthropologique se présente en quelque sorte
simultanément comme vrai au plan référentiel et incertain au plan épis-
témologique. Cette indécidabilité, dans laquelle nous voulons repérer plus
une valeur qu'une défaillance, sera mise en relief par l'usage expansif
de la métaphore.
Pertinence et légitimité des modèles métaphoriques.
Le terrain s'offre comme le lieu et l'enjeu privilégiés de l'anthropolog
ie. Il se déploie selon trois modalités pratiques. Il permet tout d'abord
l'échange dialogique. Il inscrit ensuite la description dans une stratégie
cognitive par le procédé des analogies, comparaisons, ressemblances et
différences. Enfin, il ouvre la voie au travail de traduction comme acti
vité conflictuelle entre l'éloignement et la proxémie appropriatrice 7.
C'est ainsi que l'ethnologue construit les compréhensions et les inter
prétations du monde de l'Autre.
Les conséquences sont capitales pour replacer la problématique épis-
témologique dans l'horizon historique actuel des sciences sociales. La
première réside dans le fait que l'anthropologue, en échangeant des info
rmations, énonce et accomplit des actes illocutoires*, débouchant sur des
* L'acte de langage est appelé « illocutoire » lorsque renonciation y produit un effet en disant et influence
ainsi les rapports entre interlocuteur et interlocutaire (exemple : « nettoyez le lavabo » équivaut à «je vous
ordonne de nettoyer le lavabo»).
32 Textualisation et métaphorisation
effets perlocutoires*, et qu'ainsi le texte, devant les restituer, déguise
le plus souvent des modalités en assertions. Or une telle procédure devrait
interdire à jamais de construire des modèles de type traditionnel, dès
l'instant où les aspects illocutoires de l'échange seraient inintégrables.
Derrière des assertions qui visent la vérité, se dissimulent des effets prag
matiques. Le statut de la vérité s'en trouverait bouleversé, car elle vise
rait alors d'autres fonctions que la seule cognition, ne serait-ce que parce
qu'elle se réfère à un monde privé et non universel, produit par un sujet
qui prétend à une connaissance objective. On est en droit de critiquer,
à partir de ces bases, aussi bien les approches structuralistes que la démar
che «contemplative» d'un Clifford Geertz8. Il nous semble que les
significations culturelles ne doivent plus être considérées comme des
conventions par lesquelles l'Autre serait indifféremment égal à moi-même,
mais comme des procédures contrastives, c'est-à-dire élaborées en res
pect du principe des différences ontologiques induites des situations d'être-
au-monde.
La deuxième conséquence tient dans l'élaboration métaphorique des
niveaux de construction de l'objet que l'anthropologue est contraint
d'effectuer à partir de la distance et de l'altérité. Distance, car il joue
en permanence entre le proche et le lointain ; et altérité, parce qu'il est
en présence d'une non-différence. Il ne peut rendre compte de l'Autre
qu'à l'aide de médiations propres à son système cognitif. Or seul le maint
ien du fossé entre l'Autre et soi génère du sens.
La troisième conséquence relève de cet aspect particulier de la tra
duction ethno-anthropologique qui ne consiste pas tant à transcrire ou
à faire s'équivaloir qu'à transformer symboliquement et simultanément
sa langue et la langue de l'Autre, et, partant, l'ontologie des autres mon
des 9. Que la traduction soit condamnée à l'indétermination, comme le
suggère Quine, ou qu'elle se déploie dans des formes paradigmatiques
d'interprétation, selon le point de vue de Gadamer, l'ethnologue, en tra
duisant, se livre à des pratiques parallèles qu'il ne veut pourtant pas
avouer : il factualise et événementialise des données de terrain en citant
des discours directs et indirects. Ainsi retextualise-t-il, recontextualise-t-il,
et, par voie de conséquence, s'autorise-t-il, au sens où il se légitime comme
auteur d'autorité 10. Aussi le terrain apparaît-il comme une mise en texte
combinant des savoirs partagés, relatifs et privés. Devient-il pour autant
irrecevable ou non pertinent de parler de modèle ou de modélisation ?
* Par l'acte perlocutoire, on produit un effet par le fait de dire (exemple :

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