Thélème ou l éloge du don : le texte rabelaisien à la lumière de l «Hypnerotomachia Poliphili». - article ; n°1 ; vol.25, pg 39-59
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Thélème ou l'éloge du don : le texte rabelaisien à la lumière de l'«Hypnerotomachia Poliphili». - article ; n°1 ; vol.25, pg 39-59

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Description

Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance - Année 1987 - Volume 25 - Numéro 1 - Pages 39-59
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 39
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Gilles Polizzi
Thélème ou l'éloge du don : le texte rabelaisien à la lumière de
l'«Hypnerotomachia Poliphili».
In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°25, 1987. pp. 39-59.
Citer ce document / Cite this document :
Polizzi Gilles. Thélème ou l'éloge du don : le texte rabelaisien à la lumière de l'«Hypnerotomachia Poliphili». In: Bulletin de
l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°25, 1987. pp. 39-59.
doi : 10.3406/rhren.1987.1591
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1987_num_25_1_1591OU L'ÉLOGE DU DON : LE TEXTE RABELAISIEN THÉLEME
A LA LUMIERE DE UHYPNEROTOMACHIA POLIPHILI (1)
«... oultroyez moy de fonder une abbaye à mon
devis». La demande pleut à Gargantua et offrit
tout son pays de Thélème...»
«Au milieu de la basse court estoit une fontaine
magnificque (...) au dessus les troys Graces, aves-
que cornes d'abondance et gettoient l'eau par les
mamelles, bouche, aureilles, yeulx et aultres ou
vertures du corps...» (2)
Bien en évidence dans le texte, le nom de l'abbaye et la description de
la fontaine en son centre, suggèrent un arrière-plan à l'utopie rabelaisienne en
renvoyant le lecteur à VHypnerotomachia Polipbili (Venise, Aide, 1499) de
Francesco Colonna.
Le nom de l'abbaye reprend en effet celui de la «veneranda et sancta
donna Thelemia» (3) qui, sur l'injonction de la reine Eleutherilide, guide
Poliphile sur la voie de son initiation aux «mystères d'amour». La description
de la fontaine s'inspire (en ne conservant que le minimum d'éléments permet
tant d'identifier son modèle) de celle de la fontaine qui orne la cour du palais
d'Eleutherilide :
«nella parte mediana di questa spectatissima area vidi uno (...) fonte (...) supposi-
ta aile tre Gratie nude (...) dalle papille délie tute délie quale l'aqua surgente
(...) et ciascuna di esse nella mano dextera teniva una omnifera copia...» (4)
L'œuvre de Colonna est elle-même mentionnée dans le Gargantua,
au chapitre IX :
«Bien aultrement faisoient (...) les saiges de Egypte quand ils escripvoient par
lettres hiéroglyphiques (...) desquelles Orus Apollon a en grec composé deux
livres et PolypbUe au Songe d'Amours (5) en a davantaige exposé. En France
vous en avez quelque transon en la devise de Monsieur l'admirai laquelle premier
porta Octavian Auguste».
Entre la mention du «Songe d'Amours» et la description de Thélème,
la devise de l'amiral (Guillaume Gouffier) représentée en son château de
Bonnivet, sert de lien. Cette devise hiéroglyphique (une ancre et un dau- fig.1: inscription "hiéroglyphique11 sur le
pont à l'entrée du royaume d'Eleuthérilide
"semper festina tarde" (Hypnerotomachia p.61)
fig. 2: la fontaine des Grâces
(Hypnerotomachia p.b2) 41
phin) marque typographique d'Aide Manuce commentée par Erasme, est une
invention de Colonna (6) qui, dans son récit, la place sur le pont qui signale
l'entrée du royaume d'Eleuthérilide. Quant au château de Bonnivet, c'est,
dans les premières éditions du Gargantua, l'unique réfèrent de la splendeur de
Thélème.
Ainsi se lisent, dans le Gargantua, les indices d'une parenté avec le
Poliphile. Ils nous invitent à comparer les textes, en particulier la description
de Thélème et celle du royaume d'Eleuthérilide, ce qui, à travers d'autres
analogies et d'autres emprunts au Poliphile, permet de préciser le sens de l'u
topie rabelaisienne.
L'hypothèse d'une influence de Colonna sur la description de Thé
lème n'est pas nouvelle. Formulée il y a près d'un siècle par L. Dorez (7),
reprise et développée, entre autres par W.F. Smith, L. Thuasne, M. Françon,
elle n'a, pour n'avoir vu dans le Poliphile qu'une simple collection de descrip
tions architecturales, que peu apporté à la connaissance du texte rabelaisien
et n'a pas su convaincre une critique réticente qui se demande, avec A. Huon
(8), si Rabelais a bien lu l'œuvre de Colonna avant la rédaction du Gargantua.
Il nous faut donc, avant d'examiner les textes, préciser les circonstan
ces de la lecture du Poliphile par Rabelais, présenter l'œuvre dont la richesse
et l'importance restent largement méconnues, et, dans le cadre du débat qui,
il y a quelques années, s'est élevé dans la critique à propos de Thélème, défi
nir l'enjeu de cette comparaison.
L'œuvre de Colonna a connu en France, particulièrement dans les
milieux lyonnais, une diffusion plus large et plus précoce qu'on ne l'admet
communément. Le juriste Benoît de Court dans son commentaire latin aux
Arrest d'Amours de Martial d'Auvergne (paru en 1533 chez Gryphe, éditeur
de Rabelais), mentionne Colonna parmi les poètes et théoriciens de l'amour,
Jeanne Flore dont le recueil initial semble avoir été rédigé à Lyon vers 1535
(9) tire du Poliphile la matière de plusieurs contes ; quant à Rabelais, c'est
vraisemblablement au Champ Fleury (1529) de Geoffroy Tory qu'il doit la
découverte de l'œuvre.
Rabelais qui, dans le Pantagruel, emprunte au Champ Fleury une par
tie du discours de l'écolier limousin, semble également se souvenir, dans l'ép
isode de l'énigme de l'anneau {Pantagruel chap. 24), d'un passage où Troy
traite de «la manière de faire chyfres qu'on a de coutume faire en bague
d'or». C'est à la même page (au feuillet LXXIII v.) que Tory recommande
à ceux qui s'intéressent aux hiéroglyphes la lecture du «Polyphile» (10), si
bien qu'on est tenté d'identifier le «Francesco di nianto» auquel Panurge
recourt vainement pour déchiffrer l'énigme, («je ay employé pour congnoistre
si rien y a icy escript une partie de ce que en met Messere Francesco di Nianto » )
à l'auteur anonyme (son nom est caché dans un acrostiche) du Poliphile. 42
Rabelais connaissait-il l'ouvrage dès l'époque de la rédaction du
Pantagruel (il y fait état d'un renseignement que ne donne pas le Champ
Fleury, le prénom de Colonna) ou n'a-t-il suivi le conseil de Tory qu'ulté
rieurement, dans le cadre de la préparation de son séjour romain ? Quoiqu'il
en soit, il a trouvé dans le Poliphile de quoi nourrir sa curiosité : des hiéro
glyphes qui en dépit de leur caractère fantaisiste ont fait autorité tout au long
du siècle ; des épitaphes latines et grecques, des analyses architecturales pré
cieuses pour qui, comme lui, envisageait de dresser le plan des vestiges de la
Rome antique ; et enfin, un récit allégorique qui prend son sens d'initiation
aux «mystères d'amour» par rapport au discours de Diotime dans le Banquet
de Platon et dont la subtilité ne pouvait échapper à un helléniste qui, bien
avant que la mode ne s'en répande, s'intéressait au néo-platonisme et à la
doctrine ficinienne (11).
Restait à satisfaire, outre l'archéologue et le philosophe, l'écrivain :
qu'est-ce qui, dans l'œuvre de Colonna, a pu retenir l'attention de Rabelais
de l'époque de la rédaction du Gargantua à celle de l'élaboration du Quart
Livre de 1552 qui, on le sait, comporte de notables emprunts au Poliphile ?
Peut-être, (pour peu que l'on crédite l'auteur du Gargantua d'une
certaine lucidité quant au devenir des formes littéraires de son temps) le tra
vail que Colonna a accompli sur les cadres de la fiction médiévale. Dans le
Poliphile, la rationalité inspirée par la théorie vitruvienne réorganise l'espace
conventionnel du merveilleux. Le développement logique et vertigineux du
discours descriptif renferme, dans l'agencement des décors (édifices, jardins,
œuvres d'art) une dimension allégorique qui, exprimée sous forme d'énigmes,
préfigure l'esthétique littéraire de la Renaissance et, dans une certaine mesure,
celle de l'œuvre rabelaisienne.
Revenons à Thélème. Dans le cadre du débat qui s'est élevé dans la
critique entre «partisans» et «adversaires» de Thélème, le rapprochement
du Poliphile et de la description de Thélème a un intérêt particulier.
En effet, le débat a souligné l'ambiguït

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