Un architecte à l'école d'énergie. Donat Alfred Agache, du voyage à l'engagement colonial - article ; n°1 ; vol.73, pg 99-117

Catherine Bruant

Description

Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1994 - Volume 73 - Numéro 1 - Pages 99-117
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: REVUE_DU_MONDE_MUSULMAN_ET_DE_LA_MEDITERRANEE
• Publié le: 01 janvier 1994
• Nombre de lectures: 47
• Langue: Français
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Extrait

Catherine Bruant
Un architecte à "l'école d'énergie". Donat Alfred Agache, du
voyage à l'engagement colonial
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°73-74, 1994. pp. 99-117.
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Bruant Catherine. Un architecte à "l'école d'énergie". Donat Alfred Agache, du voyage à l'engagement colonial. In: Revue du
monde musulman et de la Méditerranée, N°73-74, 1994. pp. 99-117.
doi : 10.3406/remmm.1994.1669
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1994_num_73_1_1669Bruant* Catherine
d'énergie"
Un architecte à "l'école
Donat Alfred Agache,
du voyage à l'engagement colonial
L'architecte Donat Alfred Agache (1875-1959) est, dans l'entre-deux-guerres,
l'une des personnalités marquantes de l'urbanisme français. Dès 1909, il collabor
e activement aux travaux de la Section d'hygiène urbaine et rurale du Musée so
cial (créée en 1908), dont on connaît les débats précurseurs et l'action militante
qui aboutiront, au lendemain de la Première Guerre mondiale, à la mise en pla
ce des premiers dispositifs législatifs et administratifs de l'urbanisme en France (loi
Cornudet). A partir de 1921, il est l'homme de la doctrine et de l'organisation
de la nouvelle Société des architectes urbanistes (devenue, en 1921, Société fran
çaise des urbanistes, SFU). Plurilingue, il mettra ses qualités de publiciste et
d'orateur au service de la nouvelle science des plans de villes, et du rayonnement
international de l'Art urbain français. Sa carrière d'urbaniste est remarquable tant
par la quantité des plans produits, que par la qualité des commandes qui lui sont
&ites. Elle débute par le succès d'un troisième prix obtenu à l'occasion du concours
international pour la fondation de la nouvelle capitale du Commonwealth d'Aust
ralie, Yass Canberra (191 1). La formule empruntée à Alfred de Tarde, "l'école
* Architecte et historienne, LADRHAUS, Ecole d'architecture de Versailles. Etude extraite d'une
recherche en cours : Biographie de Donat Alfred Agache, architecte, urbaniste, philosophe, 1875-1959,
Paris I Sorbonne, thèse en histoire sociale, sous la direction d'A. Prost.
REMMM 73-74, 1994/3-4 100 1 Catherine Bruant
d'énergie"1 - il nomme ainsi les initiatives individuelles et X action des Français au
Maroc -, lui convient à de multiples égards. Intellectuel engagé dans la réforme
sociale, homme d'action, partisan du libéralisme, Agache est choisi, en 1914,
par le Syndicat français des intérêts de Casablanca, pour dresser un plan d'exten
sion de la ville. Ses activités l'amèneront également, en 1933, à élaborer une ville
nouvelle à l'extérieur de Tunis, sur les terrains asséchés du Lac Sedjoumi. Et, en
1934, à proposer un « Programme d'aménagement et de construction du Grand
Istanbul », lors du concours restreint organisé par la municipalité. Nous nous in
téresserons aux années de formation de l'architecte. En particulier au "voyage
oriental", en ce qu'il nous semble fondateur d'une pensée architecturale singuliè
re et d'une carrière hors des normes de sa génération.
Voyages et observations savantes
L'intérêt de l'architecte Alfred Hubert Donat Agache2 pour les pays du bassin
méditerranéen trouve son origine, comme chez tant d'autres, dans le voyage.
Jeune bourgeois parisien, ce "fils d'entreprise" - une grande industrie textile du
Nord de la France - va d'abord effectuer le traditionnel tour de l'Europe qui le
pousse à travers l'Allemagne, le Danemark, la Suède, l'Estonie, jusqu'en Russie
et en Autriche-Hongrie. Le sac au dos, il a sillonné, de 1901 à 1903, plusieurs fois
l'Angleterre et l'Ecosse. Mais il visite aussi la Grèce et pénètre même jusqu'au cœur
de la Morée. Il séjourne encore de longs mois en Egypte. Agache est, à cette épo
que, étudiant en architecture à l'Ecole des beaux-arts de Paris, dans l'atelier de Vic
tor Laloux3. La tradition de voyages de l'Ecole n'est certainement pas étrangère
à ces derniers choix. Pourtant, à l'opposé du "convenu voyage en Italie", ou du
séjour archéologique, il préférera à la fin de ses études saisir "sur le vif" la réalité
Cretoise dans la crise révolutionnaire quelle traverse au cours de l'année 1905-1906.
Longtemps peu investi dans les études artistiques, du moins dans leur forme ac
adémique - ses absences répétées et longues de l'Ecole en témoignent -, cet esprit
curieux s'est rapproché, très tôt, des théoriciens de la sociologie expérimentale. Dès
1901, au cours de ses voyages, il rédige, à l'attention de la rédaction de la revue
La Science Sociale, des "notes curieuses" et des "observations de géographie socia
le"4. Et, à partir de 1902, il donne au voyage un objectif précis : le travail métho
dique d'observations et d'enquêtes sur le terrain.
La revue La Science Sociale* a été créée en 1886, à l'initiative du jeune chartis-
te Edmond Demolins et du vicaire de la paroisse Saint-Augustin à Paris, l'abbé
de Tourville, à la suite d'une scission intervenue, après la mort de Le Play, au sein
de la Société d'économie sociale — SES — . Dans le cadre de l'enseignement de Y Ecol
e des voyage f, Demolins et Tourville avaient entrepris, depuis quelques années,
de renouveler l'œuvre scientifique de Le Play et d'instrumentaliser véritablement
une méthode qui permette à la fois de développer la pratique monographique — fo
rmer les monographes qui puissent poursuivre l'œuvre de Le Play - et autoriser
la comparaison des travaux d'observation sociale afin de sortir du cadre, jugé par architecte à "l'école d'énergie" 1 101 Un
eux trop étroit, de la monographie de familles, et accéder, ainsi, à l'analyse comp
lète des sociétés humaines7. Dans ce but, Henri de Tourville a élaboré un pro
tocole d'enquêtes et une modélisation théorique, publiés en 1886 sous la forme
d'une grille qui définit, pour le monographe, un ordre de recherche et une uni
té de méthode : La Nomenclature des faits sociaux. Violemment contestés par les
épigones de l'orthodoxie le playsienne et les hommes d'action des "Unions de la
paix sociale", Demolins et Tourville sont, en décembre 1885, évincés de la SES,
dont ils étaient pourtant administrateurs. Coupé de ses assises institutionnelles,
le groupe des professeurs poursuivra cependant son œuvre d'enseignement dans
des locaux prêtés par la Société de géographie de Paris. L'organisation de l'école
est complétée, dès 1886, par des conférences pratiques de vulgarisation, un
programme de missions et des bourses de voyage - financées en grande partie par
les éditeurs Firmin-Didot - qui doivent permettre aux étudiants de se former in
situ au travail monographique, sur le terrain français ou étranger. Elle reste, dans
ses grandes dispositions, inchangée jusqu'au début du XXe siècle et l'entrée par
ticulière d' Agache en sociologie. Tout semble indiquer que le jeune étudiant ait
poussé la porte de la grande salle du 184, boulevard Saint-Germain, pour assis
ter aux cours de science sociale qui y étaient délivrés. Lorsque, dans l'auditoire,
une recrue de valeur est découverte par Demolins, il reste au "scientifique aspi
rant" deux degrés initiatiques à franchir : « Aller voir l'abbé de Tourville » pour
être soumis à son sévère jugement, et enfin collaborer, par un travail monogra
phique conséquent, à la revue. Ultime épreuve que le jeune Agache aborde, dès
1902, avec la publication, en quatre séries, sur deux années de La Science Social
e, d'une étude sur la "Housing Question à Londres"9.
Les dispositions particulières du publiciste apprenti-monographe Agache se dou
blent d'un engagement institutionnel : son nom figure sur la première liste gé
nérale des membres établies par la Société internationale de science sociale - SSS -,
en 190510. Une fois diplômé, l'architecte restera fidèle à la sociologie expériment
ale. Participant actif aux travaux de la S