Viandes et nourriture dans le «Gargantua» ou les métamorphoses du banquet - article ; n°1 ; vol.26, pg 5-22
19 pages
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Description

Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance - Année 1988 - Volume 26 - Numéro 1 - Pages 5-22
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 409
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Michel Hansen
Viandes et nourriture dans le «Gargantua» ou les
métamorphoses du banquet
In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°26, 1988. pp. 5-22.
Citer ce document / Cite this document :
Hansen Michel. Viandes et nourriture dans le «Gargantua» ou les métamorphoses du banquet. In: Bulletin de l'Association
d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°26, 1988. pp. 5-22.
doi : 10.3406/rhren.1988.1610
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1988_num_26_1_1610VIANDES ET NOURRITURE DANS LE GARGANTUA
OU LES MÉTAMORPHOSES DU BANQUET (*)
Se poser les problèmes de la place, de la représentation et du discours
sur la nourriture dans le Gargantua met à jour des lignes de force et de rupture
fondamentales, montrant, comme on en a l'intuition dès la première lecture,
qu'il y a bien dans le roman plusieurs univers parallèles dont les passerelles
sont pour le moins peu évidentes. En particulier coexistent deux univers et
deux discours antinomiques : celui, lyrique, des «viandes» et celui, didacti
que, des «nourritures». Ce constat repose évidemment la question de l'unité
du roman.
Mais paradoxalement, c'est à table et en liaison avec la digestion que
le jeune Gargantua ingurgite et assimile les hautes leçons des sages et de l'Ecri
ture, tandis que les activités liées à l'alimentation débouchent sur les activités
spéculatives" les plus abstraites. L'éducation, savoir reconnaître les plus excel
lents torcheculs ou commenter les propos des anciens, est toujours affaire de
«nourriture»...
Le chant du ventre
Le prologue présente un narrateur qui «à la composition de ce livre
seigneurial ne perdi[t] ne employa oncques plus ny aultre temps que celluy
qui estoit estably à prendre [sa] refection corporelle, scavoir est beuvant et
et mangeant» (1). Et si le livre débute par la fameuse apostrophe : «beuveurs
très illustres et vous, véroles très précieux - car à vous non à aultres sont
dédies mes écrits»..., il s'achève par un appel de frère Jean à faire ripaille :
«Et bonne chère !». Mais ce n'est pas à dire qu'il faille avaler le livre entre la
poire et le fromage. Il s'agit en effet d'un «beau livre de haulte graisse» qu'il
convient comme on sait de «fleurer», «sentir», et «estimer» avec dévotion
avant de «rompre l'os et sugcer la substantificque mouelle»...
Comme le montre ce montage de citations bien connues, le prologue
représente le procès de communication réalisé par le livre au moyen de la
seule métaphore alimentaire : destinateur, destinataire, canal et message sont
définis grâce à elle.
Il en va de même pour le réel représenté. L'espace-temps du roman
avant les péripéties ultérieures est celui de la bombance sous sa double version et paysanne. Le Chinonais du roman, ce royaume d'Utopie gougigantale
verné par la dynastie des géants est en effet le paradis de l'abondance aliment
aire. Nous le découvrons à travers ces deux réjouissances non liturgiques que
sont l'abattage des bœufs gras juste avant le carême et les vendanges (chapi
tres 3-8 et 25).
Ces thèmes sont portés par la fiction gigantale elle même. Le géant,
c'est en effet le ventre fait roi, le sacre du tube digestif. Le déjeuner de
Gargantua pendant sa première éducation (Chap. 21) en est l'exemple achevé.
La nourriture dans ce célèbre passage n'est envisagée que du seul point de
vue quantitatif. De même que l'énumération est le degré zéro affiché du
style, les repas des géants sont le degré zéro de l'art culinaire. La nourriture
n'a qu'une valeur alimentaire et s'empiffrer est la seule chose qui compte.
Aussi, la gourmandise est-elle absente du roman et à plus forte raison ce qui
constitue réellement l'art de la cuisine : la composition, la préparation et la
présentation, qui transforment la nourriture en œuvre d'art et en spectacle.
En ce sens, Rabelais tourne le dos aux valeurs et aux normes des temps nou
veaux. Ce qui sous-tend cette représentation est le vieux rêve de la fin de la
frustration et de la privation. Le bonheur est quantitatif et non qualitatif. -
11 faut manger jusqu'à s'en faire éclater la panse de même que, comme le
dit Gargantua à son fils dans le Pantagruel, il faut lire tous les livres. On
remarque de même l'absence de tout regard moral, psychologique ou esthé
tique. En fait, contre la perspective normative qui caractérise aussi bien cui
siniers que médecins, maîtres des élégances ou moralistes, nous ne trouvons
ici que lyrisme.
En effet, plus qu'un assouvissement des seuls besoins physiologiques
l'alimentation est figurée comme acte triomphal et apparaît toujours sous la
forme du banquet, c'est-à-dire du rituel social où le groupe réaffirme ses va
leurs, son unité et sa vie : (2)
- Chapitres 3 à 8 : Banquet initial de la tuerie des bœufs gras et de la naissance
de Gargantua.
- Chapitres 21-22 : Banquets de Gargantua disciple des sophistes.
- Chapitre 24 : excursions et banquets champêtres des disciples du sage
Ppnocrates.
- Chapitres 25 et 27 : Fête des vendanges et tuerie du clos de l'abbaye.
-37-40 : Banquet de réception de Gargantua par son père et de
constitution du couple Gargantua-frère Jean.
- Chapitre 51 : Banquet de la victoire sur Picrochole.
Le banquet qui fait son apparition dès le prologue avec les allusions
à l'œuvre de Platon, est l'élément central d'un processus symbolique à portée
universelle qui montre le triomphe de la «vie» sur la mort. Par exemple aux
chapitres 4-7, Gargamelle transforme proprement - si on peut dire - la mort
(des bœufs) en vie (de Gargantua). Si le banquet est l'occasion de la réaffirmation de la cohésion sociale,
et, par leur dérision même, des codes et valeurs, il est aussi le lieu où, comme
dans la Convention hugolienne, l'incontinence verbale est de droit pour ne
pas dire de devoir. On a beaucoup insisté sur ce lyrisme et cet enthousiasme
du ventre dont le meilleur exemple est sans doute la logorrhée de frère Jean
au chapitre 39. Mais il convient de noter à quel point la nourriture n'est pas
seulement un motif, mais joue un rôle moteur. Le Gargantua par l'enthou
siasme bacchique des Bien-Ivres ou encore de frère Jean met en scène le chant
du ventre, mais il est lui même le plus haut accord de ce chant. «Cibum cano
virumque».
Certes, Rabelais emprunte à une tradition populaire et carnavalesque
les thèmes et motifs du royaume des géants. Mais ce qui, me semble-t-il, le
différencie tant de Lucien, de la Coena Cy priant, des chroniques gigantales
ou des avatars ultérieurs du genre tels Le Moyen de Parvenir, expansion in
finie des propos des Bien-Ivres, c'est que le traitement de ces motifs s'orga
nise autour de la nourriture déballée dans le texte comme elle l'est sur la
table. En effet, et c'est là une autre spécificité de ce livre par rapport aux
autres, le Gargantua ne se contente pas de parler de nourriture, il en regorge.
La première mention du royaume d'Utopie par laquelle nous est pré
senté Grandgousier le montre (voir chapitre 3, page 46). Le récit s'ouvre bien
ici sur un royaume gigantal envisagé comme l'univers de la paillardise et de la
mangeaille. Et cette orchestration thématique passe par une enumeration de
salaisons qui envahit le texte ainsi que l'imagination du pauvre lecteur. Cette
présence de la nourriture verra son apothéose dans le Quart-Livre, mais elle
est constante dans l'univers utopico-tourangeau et atteint son paroxysme au
chapitre 37 avec une liste de gibiers à plume qui anticipe déjà sur la systémat
isation de l'énumération et le fantastique lexicographique que le Quart-Livre
pratiquera (3)
«on apresta le soupper et de surcroit feurent roustiz
seze beufs
troys génisses
trente et deux veaux
soixante et trois chevreaux moissonniers
quatre vingt quinze moutons
trois cents gourrets de laict à beau moust
unze vingt perdrys
sept cents bécasses
quatre cent chappons de Loudunoys et de Cornouaille
six mille poulets
et autant de pigeons
six cent gualinottes
quatorze cens levraux
et mille sept cens hutardeaux 8
De venaison l'on ne peut tant soubdain recouvrir, fors unze sangliers qu'en»
voy

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