Cétait un temps béni...
232 pages
Français

Cétait un temps béni... , livre ebook

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232 pages
Français

Description

Sanvic, commune désormais rattachée au havre: un plateau qui domine la mer, les années cinquante...Ce récit s'articule autour d'une identité usurpée, celle d'un frère mort dont on porte le prénom à peine modifié, et la présence du père, inconsolable d'une première perte et qui n'entrevoit pas la singularité de ce nouveau fils censé remplacer le premier. Celui-ci, ainsi que Janus, a le double visage du passé et du futur mais son aspect présent échappe à son géniteur. La dérision parvient à secouer tout cela de son énorme rire!

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Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2013
Nombre de lectures 13
EAN13 9782336327785
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Graveurs de Mémoire
G
Gérald Véret
C’était un temps béni…
Chroniques d’une enfance à Sanvic, en SeineMaritime
Graveurs de Mémoire Série : Récits de vie / France
C’ÉTAIT UN TEMPS BÉNI
Graveurs de Mémoire Cette collection, consacrée essentiellement aux récits de vie et textes autobiographiques, s’ouvre également aux études historiques * La liste des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le sitewww.harmattan.fr
Gérald VÉRET C’ÉTAIT UN TEMPS BÉNI
Chronique d’une enfance à Sanvic, en Seine-Maritime
© L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-00353-5 EAN : 9782343003535
I Au commencement C’était un temps béni nous étions sur les plages. Guillaume Apollinaire C’était un temps béni, mais je ne le savais pas. Plages aujourd’hui désertées du temps passé, immenses et désolées, seul bruit au loin, le chant à deux voix de la mer. Parfois, dans le bleu d’en-haut, le paraphe blanc du goéland, l’éclat de branches de ciseaux, et son cri déchirant qui cependant apaise. Rien ne subsiste conscient de ces années de paix et de silence. Ouate des rideaux du lit rose et des draps bleus, ouate des couches et des langes. Car, j’étais aussi l’ange du profond repos et l’enfant de la promesse. Celui que l’on attendit longtemps après la mort de l’autre, le frère mythique des fables et des contes. C’est bien étrange pour moi que d’associer l’enfance au silence, alors qu’elle fut marquée presque chaque soir par les cris et les bruits marquant le retour du père : il avait des bottes de caoutchouc, une musette en bandoulière… C’était l’ogre, j’étais le poucet qui aurait pu se cacher mais les issues étaient condamnées, les portes interdites par les soins bienveillants et maniaques de ma mère : ménage ! Le père, lui, ne ménageait rien ni personne : chaque jour il hurlait sa douleur, ses enfants morts, l’amour qu’il n’avait pas reçu et qu’il ne savait donner, son travail d’esclave et son incapacité chronique à rompre enfin ses chaînes. L’habitude enchaîne comme aussi l’hérédité, l’alcool, les complexes et l’honnêteté…
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Il le savait bien le père qui pleurait de rage et nous abreuvait du venin de ses terreurs malsaines. Alors il se réfugiait dans la peau de ce personnage dérisoire qui était devenu son vêtement de gloire, sa parure, son alibi : « Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé… » disait Nerval. De même mon père était-il l’éternel incompris, le vengeur masqué, la victime immolée : Bayard et Jésus-Christ ! Et il criait, éructait, improbable pythie à béret, la mèche sur l’œil et le verre à la main. In vino Veritas ! Mon père était un défenseur farouche de la vérité qui ne s’exprimait que par lui, et par aussi le moyen, il lui fallait bien le concéder, des colonnes de l’Huma, l’Humanité qu’il n’achetait que le dimanche. Du rouge, toujours et encore… En l’écrivant, je me prends à me demander si mon goût pour cette couleur ne vient pas de cette empreinte. En parlant d’empreinte, mon père portait à l’oreille une envie lie-de-vin, cela ne saurait s’inventer. C’était l’oreille gauche, comme de bien entendu (mesurez-vous lecteurs la subtile allusion ?) Si le hasard l’avait par erreur marqué à droite, sans doute se serait-il vu contraint, par le rasoir, nouveau Van Gogh, de venger cet affront : il aurait fallu que sur-le-champ, comme l’a dit Cyrano, il se l’amputât, l’oreille, pas le nez ! Mon père y aurait eu du mérite, qui ne connaissait pas ce dernier. Pas encore, car lorsqu’il le rencontra sous les traits de Daniel Sorano, il l’aima, prouvant ainsi qu’il avait de la feuille autant que de nez, mais ce serait bien plus tard… Les colères de mon père, parfois multi-quotidiennes les jours de repos, rythmaient nos vies. Sans doute a-t-on peine à mesurer la furie des tempêtes par mon père
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soulevées, « Furia francese » : les troupes de Charles VIII à Fornoue ne sauraient même donner l’idée de sa fougue. Hitler sur l’estrade ? Un médiocre bateleur, un pitoyable mime à mèche sur l’œil et sans béret, qui voulut singer le père, à coup sûr. C’est peut-être la prose épileptique de Céline en ses meilleurs moments, qui saurait rendre seule les vociférations du Fernand. Avec Fernand, on n’est pas loin de Ferdinand, dont Céline n’offrit en somme qu’une sorte de déclinaison du prénom, une pâle contrefaçon. Faux prolo de la Rampe du Pont ! Courbevoie n’est pas Sanvic, nom de nom ! Comme autrefois avant la messe, mon père ne commençait pas une colère sans aspersion. Il arrivait que l’ire débutât au contact d’une purée trop liquide à son goût. Tout aussitôt les clameurs surgissaient du gosier paternel : hurlements, gueulements, rage… Et, frénétique, d’attraper dextrement sa cuillère et de frapper la purée coupable, à l’image de celle qui la cuisina, ma pauvre mère qui n’en pouvait mais… Et de frapper encore et encore ! Mon père pouvait à volonté, savant sorcier, provoquer des chutes de neige dans la chaleur de la cuisine qui virait à la fournaise ; splatch ! splatch ! « Valsez saucisses », volez purée, ci-et-là balancée en gras flocons, parmentier météore ! Demain sera jour de grand ménage ! Splatch, Splatch, continuait le père, bras armé, dieu vengeur, l’écume aux lèvres, fureur sacrée, tonnerre d’apocalypse, jurons choisis, postillons ponctuant les anathèmes du patriarche ! Purée liquide… Oh, l’injure ! Quelle est la « nom de dieu de salope », l’immonde truie qui osa cet affront, ce blasphème ? C’était maman,
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