Chemins croisés
138 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

Ces allers-retours entre Sétif et Lyon, c'est le récit de la vie d'une famille d'immigrés au destin banal et pourtant si particulier. Les souvenirs d'une enfance partagée, entre les deux rives de la Méditerranée, dans ces années 1950-1960 si riches en événements entre la France et l'Algérie, sont la matière de ce livre, le temps se remonte par à-coups, les images défilent, les parfums oubliés reviennent, des airs anciens chantent à nouveau.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2010
Nombre de lectures 11
EAN13 9782296711372
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

CHEMINS CROISÉS


De Sétif à Sétif en passant par Lyon
Rue des Ecoles

Cette collection accueille des essais, d’un intérêt éditorial certain mais ne pouvant supporter de gros tirages et une diffusion large.
La collection Rue des Ecoles a pour principe l’édition de tous travaux personnels, venus de tous horizons : historique, philosophique, politique, etc.


Déjà parus

Daniel VERSTRAATT, Carnets de jeunesse d’un dinosaure. 1941-1943 , 2010.
Ange Miguel do SACRAMENTO, Ni noir, ni blanc. Une vie atypique , 2010.
Véran CAMBON DE LAVALETTE, De la Petite-Bastide à la Résistance et au camp de Dachau , 2010.
Patrick GERARD, Je n’ai jamais été vieille, 2010.
Sonia KORN-GRIMANI, Un chant d’espoir. Souvenirs autobiographiques d’une survivante de la Shoah , 2010.
Marie-Gabrielle Copin-Barrier, Robert-Espagne, une tragédie oubliée. Une femme de gendarme raconte , 2009.
Nazly SADEGHI, Salut le Paradis. Une jeune Iranienne dans les labyrinthes de l’Occident, 2009.
Gérard GATINEAU, 30 ans de bitume ou les tribulations d’un flic du XXe siècle dans un univers hostile , 2009.
Denis PAGOT, Souvenirs d’un marin de la V e République , 2009.
Jean-Louis ORAIN, Des champs de blé noir à l’action humanitaire internationale (1936-1986) , 2009.
Jo ANGER-WELLER, Les Retrouvés. Récit , 2009.
Jean-Claude TRABUC, Comme un jeune arbre qu’on déracine , 2009.
Fernand WEBER, Malbrough s’en va-t-en guerre , 2009.
Hervé TRNKA, Algérie 1956. Des Chtis en Oranie , 2009.
Sakina GAMAZ HACHEMI


CHEMINS CROISÉS


De Sétif à Sétif en passant par Lyon
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-13315-0
EAN : 9782296133150

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
À mon père qui savait ce que le mot aimer veut dire,
À ma mère pour qui les mots honneur et dignité n’étaient pas de vains mots,
À mon frère Djemel qui aimait les belles histoires et les racontait si bien,
À mes quatre sœurs et quatre frères pour qu’ils n’oublient pas tout à fait d’où ils sont venus,
À mon mari et à mes filles pour qu’ils me comprennent un peu mieux,
À eux tous, avec mon éternelle affection.
I – De Sétif à Lyon
Le ciel était tellement gris, il pleuvait tant que je me demandais s’il arrivait que le soleil brille dans ce pays.
Maman, un jour de confidence
Il pleut, il fait froid. Je suis accrochée à la robe de ma mère qui protège comme elle peut un bébé de trois mois, ma petite sœur. Tout ce que je vois, c’est le mur marron sale de la gare de Perrache et des voitures noires qui passent là en bas sous la pluie battante. Mon père va et vient, il est en colère. Nous sommes un groupe tremblant de froid en ce jour triste et gris d’octobre cinquante-trois. Plus tard, je saurai pourquoi mon père enrage : mon grand-père devait venir nous chercher mais il n’est pas là. Mon père gronde, ma mère le supplie de faire quelque chose. Il ne sait pas trop quel bus prendre pour aller à la Croix-Rousse. Les souvenirs sont nets dans ma mémoire, je me rappelle la main de mon petit frère dans la mienne et le regard effrayé et perdu, comme devait l’être le mien, de mon frère aîné. J’ai froid, très froid, ma robe de tissu léger était bien suffisante pour le soleil algérien que nous avions quitté deux jours auparavant mais dans cette froideur lyonnaise, mon corps frissonne. Nous sommes là, agglutinés les uns aux autres, transis, apeurés.
Comment nous sommes arrivés montée de la Grande Côte, je ne sais plus mais nous sommes à présent dans une pièce éclairée par une lampe chétive ; ma mère nous sèche les cheveux, nous frictionne nerveusement, mon grand-père est allongé sur un haut lit à deux places, couché sur le dos, les mains croisées sur la poitrine il ne nous regarde pas, lointain, désintéressé comme il le sera toute sa vie avec nous. Mon père est assis devant un café, pensif. J’ai cinq ans mais je ressens très bien la tension entre ce groupe d’adultes. C’est ma grand-mère, la belle-mère de mon père, qui a préparé le café, je vois ses amples robes aller et venir en vagues vert et blanc. Plus tard, notre fratrie comparera ses multiples jupons aux couches superposées d’un oignon. Ma mère est persuadée que c’est elle qui a empêché son mari de venir à notre rencontre, c’est sans doute vrai.


Et puis la vie a pris son cours. L’école maternelle, c’est bientôt Noël. Les odeurs, je les reconnais, cela sent la craie, le papier crépon et l’aquarelle. Nous sommes en rang : on nous remet une peluche, un petit paquet de bonbons, des papillotes je crois, et une orange, on remercie la maîtresse en l’embrassant. Les peluches sont de petits lapins, il y a des lapins blancs avec des oreilles roses et des lapins roses avec des oreilles blanches, placés en intervalles ; moi j’en voudrais un rose et je compte, je compte… Quand arrive mon tour, j’en ai un blanc et il est tellement beau et doux ! Et puis il y a cette grosse orange entre mes mains et moi l’orange, je connais, c’est mon odeur, c’est ma couleur, c’est ma vie. Quel beau souvenir léger et joyeux ! Un bonheur d’enfant.
Comment ai-je appris le français ? Sans doute dans cette école, je l’ai appris comme ma langue maternelle, sans y faire attention.
J’aime le jardin des Plantes. Ma mère, chaperonnée par ma grand-mère, nous y emmène quand il ne fait pas trop froid. Quelques femmes, de toutes les régions d’Algérie, sont là aussi et ce sont de longues palabres dont les Méditerranéens ont le secret. En fait, les vieilles discutent, commentent et médisent, les plus jeunes se contentent d’écouter, c’est le respect qui veut cela, les brus doivent se taire devant leurs belles-mères et ma grand-mère ne se prive pas : critiques acerbes sur mon père, sur ma mère, sur nous tous. Ma mère serre les dents et ronge son frein, elle n’est pas femme à se laisser faire, oh non ! Mais elle doit montrer qu’elle est polie et bien élevée et si elle osait lui répondre du tac au tac, elle lui donnerait raison devant toutes les autres femmes et c’est sans doute là le jeu pervers de ma grand-mère. Ma mère craquera pourtant un jour qui n’est pas loin.
Ces deux femmes, l’une, solide et forte femme d’une cinquantaine d’années, au passé agité et l’autre une belle jeune femme de vingt-six ans ont toutes deux des caractères bien trempés – Ah ! Parlez-moi de ces clichés de la femme arabe silencieuse et soumise ! Leur vie commune sera un interminable défi lancé l’une à l’autre, les disputes se succéderont, disputes dont nous serons des témoins pas toujours contents de l’être. Je suis bien incapable de dire si elles se détestaient vraiment. Quand ma grand-mère sera terrassée par la vieillesse et la maladie, elle mourra aveugle à plus de quatre-vingt-dix ans, seule sa langue continuera de fonctionner jusqu’au bout, ma mère s’occupera d’elle, en râlant, mais elle le fera. Ou ma mère l’aimait quand même un peu ou elle avait un sens du devoir très développé. Je pencherai pour cette dernière supposition : le devoir chez ma mère n’était pas un mot creux, nous en tâterons toute notre vie.
Les enfants très jeunes remplissent les blancs de leur mémoire par les récits de leurs parents. Les miens étaient tous deux d’excellents conteurs avec pour ma mère une forte propension à l’embellissement et à la fantasmagorie et pour mon père un humour parfois décapant. Ils nous raconteront donc comment nous avons quitté la Croix-Rousse au bout de six mois pour nous installer au onze rue Turenne, place du Pont, Gabriel-Péri sur les plaques, mais qui à Lyon, l’appelle ainsi ?


Ma mère, un jour donc, a craqué, elle a jeté à la figure de ma grand-mère tout ce qu’elle pensait. La première fois, ce fut au moment où elle nous baignait dans une grande cuvette en fer blanc. Les trois pièces qu’occupaient mes grands-parents donnaient sur une arrière-cour, il y faisait toujours sombre et triste. Je n’aimais pas cet appartement, je pense que je commençais à devenir un peu myope ce qui n’arrangeait rien à la grisaille ambiante, dans tous les sens du terme. Mon père avait deux frères plus jeunes que lui qui se ressemblaient comme le jour et la nuit : le plus jeun

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