Chômeurs
288 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

288 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Ce livre témoigne des mobilisations de chômeurs en France, telles que les a vues et vécues une anthropologue coréenne. Aussi médiatiques que spectaculaires que soient les formes de mobilisation, ces sortes de rites militants ne visent pas à un changement radical mais tendent à un nouveau rapport de force avec l'autorité publique. La violence s'exprime contre l'inégalité et l'injustice, mais aussi au sein du mouvement, dans l'affrontement des idées et des groupes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 novembre 2014
Nombre de lectures 16
EAN13 9782336361758
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1200€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

S A
Seung-Yeon KIM
Chômeurs Anthropologie d’un mouvement social
Anthropologie d’un mouvement social
Préface de Marc Abélès
S OCIO ANTHROPOLOGIE
Chômeurs Anthropologie d’un mouvement social
Socio-anthropologie Collection dirigée par Pierre BOUVIER Dernières parutions Léa SALMON-MARCHAT,Les enfants de la rue à Abidjan, 2004. Jacques BERNARD, Socio-anthropologie des joueurs d’échecs, 2005. Pierre Noël DENIEUIL,:Femmes et entreprises en Tunisie essai sur les cultures du travail féminin, 2005. Erwan DELON,l’identitéJeunes Bretons ou « enchanteresse » ?, 2007. Alain (Georges) LEDUC,Roger Vailland (1907-1965) :un homme encombrant, 2008. Caroline MORICOT (sous la dir. de),Multiples du social. Regards socio-anthropologiques, 2010. Jacques HAMEL,L'analyse qualitative interdisciplinaire. Définition et réflexion,2010. Philippe PESTEIL,L'émotion identitaire en Corse. Un territoire au cœur, 2010.
Seung-Yeon KIM
CHOMEURSAnthropologie d’un mouvement social Préface de Marc Abélès L’Harmattan
© L’Harmattan, 2014 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-03842-1 EAN : 9782343038421
PREFACE
En entreprenant une recherche sur le mouvement des chômeurs en France, Seung Yeon Kim faisait face à un double défi. D’une part, nous avons affaire à un objet qui a le plus souvent été considéré comme du domaine de la sociologie et de la science politique. Il semble relever en priorité de l’étude des mouvements sociaux, et pose la question de la capacité de l’anthropologie à aborder l’actuel et les dynamiques de conflictualité, alors qu’elle a longtemps privilégié le temps long, les permanences et les modes de reproduction. Quel éclairage l’anthropologue peut-il apporter ? Quelle plus-value épistémologique présentent nos méthodes d’investigation dans un domaine auquel elles étaient restées radicalement étrangères ? Lorsque Seung Yeon Kim m’a présenté son projet, j’étais extrêmement curieux de mettre en jeu l’approche anthropologique dans ce type de recherche. Mes propres travaux dans le domaine français ayant porté sur la politique locale et l’institution parlementaire, il me semblait d’autant plus intéressant qu’une jeune chercheuse envisage un tout autre aspect, mais ô combien constitutif de la politique, au sens fort de travail de la cité, en prenant comme objet d’enquête des formes de mobilisation qui marquaient l’entrée en lutte de groupes particulièrement affectés par les conséquences de la globalisation. M’intéressant de près à l’émergence de nouveaux fronts de lutte et notamment au mouvement altermondialiste, il m’a semblé que la production d’une ethnographie des mouvements de chômeurs pouvait compléter d’autres approches grâce à une immersion prolongée dans ce milieu, et au-delà proposer un cadre analytique susceptible d’ouvrir d’autres perspectives et contribuer utilement à la réflexion collective. Je conçois - et je crois que Seung Yeon Kim partage cette idée - l’anthropologie politique comme participant d’un effort plus général qui engage les différentes disciplines concernées, d’où l’intérêt de travailler ensemble en complémentarité.
5
Ceci posé, il était clair qu’en s’engageant dans ce type d’ethnographie, elle faisait face à un second défi. Comment pénétrer dans des groupes atteints de plein fouet par toutes les formes de précarité ? Comment « partager » l’expérience d’individus plongés dans des situations extrêmement éprouvantes et déstructurantes ? En bref, comment pratiquer l’observation participante dans des conditions où l’extériorité apparaît très vite à l’autre comme à mi-chemin entre le voyeurisme et l’agression ? C’est cette difficulté que l’anthropologue a d’entrée dû affronter. Elle expose avec précision comment après avoir été elle-même « virée » (p. 83), et je crois que le choix de ce mot est juste parce qu’il porte en lui toute la violence de ce qui est devenu pour beaucoup leur quotidien (après tout, même notre président n’hésite pas à hurler « casse-toi »), elle a frappé à la porte d’une des associations AC ! Ce fut le début d’un long périple, dont elle restitue au fil des chapitres les éléments essentiels. En lisant l’ethnographie de Seung Yeon Kim, je ne peux m’empêcher d’évoquer le livre de Barbara Glowczewski, 1 Guerriers pour la Paix, où elle analyse à travers un événement les formes de résistance des Aborigènes dans un tout autre contexte, et où l’ethnologue est plongée dans un univers caractérisé également par la précarisation et la déstructuration. La familiarité qu’elle peut avoir après une trentaine d’années sur ce terrain ne l’empêche pas d’être interpellée quant aux finalités de son travail et de se poser elle-même toutes sortes de questions pertinentes sur cet être-là de l’anthropologue, qui implique une tension permanente entre deux postures, celle d’observateur participantet celle detémoin intervenant. La position adoptée par Seung Yeon Kim consiste à refuser un engagement dans le mouvement, elle vise à préserver une extériorité, une distance, dont on comprend mieux, au fil de du texte, combien elle conditionnait la réalisation de cette recherche. Ce n’est qu’ainsi qu’elle a pu éviter toute dérive vers
1 Guerriers pour la paix. La condition politique des Aborigènes vue de Palm Island,Indigène Éditions, 2008 (avec une contribution de Lex Wotton).
6
un discours compassionnel, voire complaisant. Et c’est ce qui fait précisément la qualité remarquable de son ethnographie, qui restitue scrupuleusement les conditions matérielles et les contraintes qui président à l’action des chômeurs. Elle nous livre une description très fine du quotidien des luttes, généralement passé sous silence aussi bien dans le discours des acteurs que dans les analyses des observateurs. Le récit de la marche du Sud-Ouest organisée par les deux AC ! Bordeaux au printemps 2005 nous projette dans une réalité dont on mesure mieux la complexité et les contradictions. L’écriture, avec l’emploi du participe passé et le souci permanent de restituer tous les petits faits qui émaillent ces journées, mais aussi des sensations, des émotions, produit en quelque sorte un effet de réel impressionnant. Ce faisant le texte en se déployant pose une question fondamentale, celle du militantisme, de l’engagement d’êtres humains vivant au jour le jour la double difficulté de se faire entendre et de s’entendre entre eux. Nous entrons d’une certaine manière dans une intimité collective, celle d’Anne, Paul, Bruno, Christine, Michelle, et les autres, ou plutôt dans l’intimité d’un combat, avec ses aspects généreux, violents, mais aussi parfois dérisoires et cocasses. Toute la question posée par Jacques Rancière du partage du sensible, et de l’émergence d’une mésentente constitutive, quand les sans-parts se manifestent sur la scène publique, toute cette problématique est rendue présente, concrète, tangible. Pour analyser le mouvement des chômeurs, Seung Yeon Kim utilise des concepts issus de l’anthropologie classique : segmentarité, rituel. Si l’on prend le concept de rituel, il est généralement utilisé pour rendre compte de phénomènes relevant de la tradition et semble décalé quand on a affaire à ce qui relève de la dynamique sociale et du changement. En même temps on a souvent une vision restrictive du rituel comme marqueur de permanence, alors que les travaux menés en particulier par Max Gluckman et l’école de Manchester ont montré comment la ritualisation, loin d’être un mécanisme de reproduction à l’identique de l’ordre dominant, pouvait être porteuse de contestation. La référence faite ici aux
7
rites de rébellion étudiés par Gluckman, aux rites anti-structurels chers à Victor Turner me paraît d’autant plus pertinente qu’elle permet de mettre en évidence plusieurs traits essentiels des mouvements de chômeurs, notamment le fait que ces actions se conforment à certains canevas symboliques, ainsi que la manière dont elles produisent de lacommunitas, de la sociabilité : c’est ce qu’ont bien montré les études historiques, 2 et notamment les travaux de Danièle Tartakowsky . En étudiant les manifestations de chômeurs, les occupations, les marches, Seung Yeon Kim met l’accent sur cette dimension ritualisée qui a pour effet de produire de l’identité, en s’appuyant parallèlement sur des systèmes de croyances renforçant ce qu’on pourrait désigner comme l’efficacité symbolique de ces pratiques. Et cette posture lui permet de mettre en lumière la tension très présente entre le plan de l’imaginaire et celui du réel, d’autant plus forte qu’on a affaire à un groupe par définition fragile en tant que tel, dont les membres éprouvent contradictoirement un très fort besoin de réaffirmer le sens communautaire de leur action, tout en portant la blessure d’une désillusion fondamentale à l’égard de la société. La scène qui suit l’occupation de Fauchon (elle-même, comme le signale justement notre auteure, inséparable de la mémoire des années post-68) marque ainsi une sorte de moment de grâce : « Avec ce repas, le meilleur en France, nous étions égaux sans différence. Chacun avait participé à cette action et tout le monde avait le droit de manger. » (p. 213) Mais très vite la dure réalité reprend le dessus et, des observations faites par l’anthropologue, ressort bien la tension permanente entre l’identité du chômeur et l’identité du militant. C’est cette réalité, ce quotidien du mouvement de chômeurs, que Seung Yeon Kim nous présente sans pathos grâce à une analyse extrêmement fine de ses différentes composantes. Elle restitue l’épaisseur de cette expérience en trouvant la bonne distance autant dans l’observation que dans
2 Les manifestations de rue en France : 1918-1968, Publications de la o Sorbonne, coll. « Histoire de la France au XIXe et XXe siècle » n 42, Paris.
8
l’écriture, tout cela grâce à un travail ethnographique extrêmement riche et qui illustre de belle manière la capacité de l’anthropologie à rendre compte de la conflictualité dans nos sociétés. Marc Abélès
9
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents