Fils de l exil
260 pages
Français
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Description

Fils d'exilé, Gentil Puig-Moreno se pose, dès l'adolescence, la question de l'identité, dans sa terre d'accueil, la France. Il poursuivra cette recherche toute au long de sa vie. De l'Algérie de Ben Bella à l'Espagne en transition démocratique, il aura poursuivi ce que d'aucuns appellent des chimères, divulgant les idées de liberté, de laïcité et de démocratie, s'étant souvent trouvé par chance au bon moment, au bon endroit.

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Date de parution 15 novembre 2016
Nombre de lectures 48
EAN13 9782140023552
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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Extrait

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Historiques
GEtîl PuIg-Moreno
Fi l s de l ’e x i lItinéraires d’un fils d’exilé républicain catalan
Historiques Sources
série Sources
Fils de l’exil
Itinéraires d’un fils d’exilé républicain catalan
Historiques Dirigée par Bruno Péquignot et Vincent Laniol La collection « Historiques » a pour vocation de présenter les recherches les plus récentes en sciences historiques. La collection est ouverte à la diversité des thèmes d'étude et des périodes historiques. Elle comprend trois séries : la première s’intitulant « travaux » est ouverte aux études respectant une démarche scientifique (l’accent est particulièrement mis sur la recherche universitaire) tandis que la deuxième intitulée « sources » a pour objectif d’éditer des témoignages de contemporains relatifs à des événements d’ampleur historique ou de publier tout texte dont la diffusion enrichira le corpus documentaire de l’historien ; enfin, la troisième, « essais », accueille des textes ayant une forte dimension historique sans pour autant relever d’une démarche académique. Série Sources Pierre SAGE,Quatre générations dans l’industrie textile en Normandie, 2014. Gérard PONSINET,Guerre aux civils – Guerre des civils dans les Ardennes envahies de 1914 à 1918, 2012. Claude VIGOUREUX,Gueuse », Servir la « Lettres d’officiers (1894-1929), 2010. Henri-Charles de Thiard de Bissy,Correspondance du comte de Thiard (Textes revus, avant-propos et notes par Bernard Alis), 2010. Yves BLAVIER,Fournier l'Américain. Mémoires secrets et autres textes, 2010. Lydia OLCHITZKY-GAILLET,Spoliation et enfants cachés, 2010.
Gentil PUIG-MORENOFILS DE LEXILItinéraires d’un fils d’exilé républicain catalan L’Harmattan
© L’Harmattan, 2016 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-10126-2 EAN : 9782343101262
PROLOGUE : Gentil, un Sisyphe heureux Le monde est comme il est. Tu ne le changeras pas. Ne t’en mêle pas. Combien de fois avons-nous entendu les commentaires de cette fausse sagesse? Même si nous laissions la politique de côté, c’est elle qui ne nous laisserait pas tranquilles. Personne n’est à l’abri de ses effets. Alors, il faut faire de la politique, mais dans le sens le plus large et noble du terme : celui d’une implication dans les affaires de la cité, au lieu d’avoir à en supporter les conséquences. Il est préférable d’être citoyen actif qu’individu passif. De la première à la dernière page du livre de Gentil Puig, le fil conducteur est précisément celui-ci. Comme le sous-titre «Itinéraires d’un fils d’exilé républicain catalan» l’indique, il s’agit de la narration d’une vie marquée, dès le début, par les conséquences et la passion des idées et de la politique. En février 1939, à partir du passage de la frontière par un enfant de cinq ans, au début de l’exil républicain, ces pages témoignent d’une trajectoire où se croise pour lui, le pays désiré et le pays de l’enfance, la terre d’accueil, la France. À l’adolescence, vont s’entrecroiser, dans une même passion, les études, le travail et l’activité politique. Tomasi di Lampedusa, l’auteur deIl Gattopardo (Le Guépard),qu’écrire des mémoires affirmait devrait être obligatoire pour tous les citoyens. «Il faudrait que ce soit un devoir imposé par l’État», disait-il, parce que «le matériel accumulé après trois ou quatre générations aurait une valeur inestimable». Ce serait une loi impopulaire, mais qui serait utile à la Catalogne. Gentil Puig a obéi à l’esprit de cette loi, et il nous offre la narration de sa trajectoire, dans un style marqué par la précision du souvenir. Ainsi, il nous livre un matériel très utile. La mémoire, nous le savons, est subjective et sélective. Elle tend souvent à la nostalgie et à l’embellissement. Mais l’histoire que font et refont les historiens, à partir de données, de documents et d’analyses, a besoin de témoignages personnels, tels que ceux de Gentil Puig. Si ces témoignages ne sont pas écrits, la manipulation du passé s’avère plus facile. Et cela le devient chaque fois davantage. Walter Benjamin fut très lucide lorsque, dans les années 1930, il avertissait que, sous l’emprise de la civilisation du marché, les hommes pouvaient en arriver à «liquider totalement leur mémoire». Le péril est double : l’oubli est toujours appauvrissant; mais l’oubli ouvre aussi la porte au mensonge, tout en travestissant le passé. L’histoire est un terrain de lutte parce que, ce qui s’y joue, ce sont non seulement les interprétations du passé, mais aussi les liens et les solidarités du présent; et, en conséquence, les possibilités du futur.Orwell, dans son livre1984, l’exprime ainsi : «Qui contrôle le passé contrôle le futur; qui contrôle le présent contrôle le passé». Nous voyons aujourd’hui apparaître en Espagne des tendances à la déformation de la mémoire de la guerre civile, de la dictature, de la
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transition du franquisme à la démocratie.Certains veulent nous anesthésier et nous tromper, au moyen de tergiversations et de déformations intéressées. Quand une dirigeante du Parti populaire qualifiait de «bande de nostalgiques aigris», une réunion de famille de fusillés par Franco et d’ex-prisonniers de la dictature, en soutien au juge Garzon, j’ai pensé au risque d’apparition des idées néo-franquistes décomplexées : l’expansion de l’anti-politique et des populismes. Leur objectif est d’imposer, dans une atmosphère de désespoir et de cynisme diffus, l’équivalence entre liberté et dictature, entre franquisme et démocratie. Ce révisionnisme n’est pas un phénomène isolé. En Europe il se produit un peu partout; il a été notoire en Italie durant l’étapeberlusconienneoù, comme l’observe Claudio Magris, la résistance au fascisme a été contestée «moins par les adversaires d’hier, que par les nouveaux populistes d’aujourd’hui». Ce n’est point par dépit que nous ne voulons pas nous taire, mais parce que nous n’avons pas le passé garanti. «Si l’ennemi triomphe», disait Walter Benjamin, «même les morts ne seront pas en sûreté». Je suis sûr qu’un des motifs qui ont poussé Gentil Puig à écrire dans ce livre sa part de vérité a été, précisément, cette obsession. Un autre motif est la revendication de l’activisme, de l’intervention publique. Intervenir dans les affaires collectives signifie souvent, de le faire à contre-courant, contre la loi des plus forts. Il y a une sorte de loi de la gravitation de l’histoire qui joue toujours en faveur des puissants. C’est grâce à d’énormes efforts que l’on peut espérer des résultats positifs contre cette loi inexorable. Cette ambition humaine, que la mythologie grecque a incarnée dans les figures d’Icare et de Sisyphe, ne devrait jamais être abandonnée. Même lorsque le premier se noie dans la mer d’avoir voulu voler trop près du soleil; et le second est condamné à hisser une énorme pierre en haut d’une montagne, et qui redescend toujours. Rien ne doit nous dissuader de nous révolter contre la loi des puissants. «Il faut imaginer Sisyphe heureux», écrivait Albert Camus. J’ai connu de nombreux Sisyphe de cette trempe, ce qui m’a permis de constater qu’il faut maintenir la conviction, et combattre sans répit; que changer le monde n’est pas une ingénuité des icariens du XIXe siècle, mais simplement une fidélité à la condition humaine. Je crois que c’est aussi la conviction de Gentil Puig, un moteur qui semble avoir fonctionné pour lui tout au long de sa vie. C’est ce que nous raconte son riche et émouvant témoignage. Raimon Obiols, ex-député du Parlement européen Barcelone, juillet 2016
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CHAPITRE I - TOULOUSE
(1940-1958)
«Il n’y a point de bonheur sans courage ni de vertu sans combat» L’Émile ou de l’Éducation, 1762 Jean-Jacques RousseauLa Seconde Guerre mondiale vue par un enfant
Mon passage par le Perthus, un jour de février 1939 Partir ou être arraché à mon village natal, Rocafort au pied de la belle montagne de Montserrat, près de Manresa, au cœur de la Catalogne, jeté sur les routes de l’exil, et fuir je ne sais comment, vers le nord, j’imagine par Granollers, Gérone et Figuères. Traverser la frontière avec mes parents et une multitude de gens par le col du Perthus, par un jour de soleil froid et lumineux, début février 1939, et ne me souvenir de rien… C’est tellement étrange, ne pas me rappeler la soudaine et brutale séparation d’avec mon père, sans doute encadré par des gendarmes et emmené, avec un groupe d’hommes, désarmés et regroupés, vers le camp d’internement situé sur la plage d’Argelès-sur-Mer, non loin du Perthus. Et nous, les enfants et les femmes, contrôlés, séparés et expédiés vers des refuges situés au nord de la France. Qui nous avait séparés? Ils nous ont fait monter dans des camions militaires, puis dans des wagons vétustes par train spécial, peut-être en gare d’Argelès-sur-Mer, du Boulou, ou peut-être, celle de Perpignan? Je ne sais pas. Rien, je ne me souviens de rien… En tout cas, nous, c’est sûr, je l’ai su bien bien plus tard, ils nous ont transportés vers le nord-est de la France par train en partance pour Épinal (dans les Vosges). Mais je resterais des années sans me souvenir de ces instants étranges, incompréhensibles et douloureux à vivre pour un enfant de cinq ans… Une amnésie totale et durable. Comme un trou noir temporel sans fond dans ma mémoire enfantine. C’est très étrange, car, j’ai en revanche quelques flashs de mémoire, qui renvoient à des scènes à l’âge de trois ou quatre ans, vécus dans la maison paternelle de Rocafort, près de Montserrat. Mais, comment est-il possible que, deux ou trois ans plus tard, entre cinq et six ans, je ne me souvienne plus de rien, d’absolument rien.
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Comme si l’amnésie était reliée au drame que voyait défiler devant lui, effaré, un enfant de la triste retirada ou exode républicain, sur les routes étranges de l’exil, de tous les exils, car celui-ci en annonçait d’autres. Nous avons tous vu les images dramatiques et insoutenables de ces scènes, avec des véhicules et des gens; des carrioles chargées d’objets et de meubles insolites, mais aussi de vieillards, d’enfants et de blessés. Des files interminables de réfugiés harcelées, bombardées et mitraillées en rase-mottes par des avions italiens, sur la route de Figuères, une ville située à 30 kilomètres de la frontière avec la France. Figuères, appelée la Guernica catalane, car de nombreux bombardements italiens en détruisirent ou mutilèrent plus d’un tiers des édifices. À ces événements particulièrement violents, s’ajoutait pour moi le choc des séparations. Séparation de la famille, de mon père au Perthus, de mes grands-parents à Rocafort, de mes cousins et de ma maison, du paysage de la belle montagne de Montserrat. Plus que séparation, arrachement, déracinement et cassure. Un traumatisme sans paroles pour l’enfant de cinq ans que j’étais. Peut-être ne pouvais-je accepter toutes ces brutales séparations, des êtres chers, et ces sensations incompréhensibles; un enfant de cinq ans ne pouvait ou ne voulait pas les intégrer et les comprendre. Pour cette raison, elles s’estompaient de la mémoire. Comme disent les psychanalystes, la machine interne à effacer sait très bien ce qu’elle doit faire dans ces cas. C’est ainsi que le traumatisme de sidération de février 1939 sera tout d’abord refoulé, mais par la suite, il me poursuivra confusément toute la vie durant, sans que je sache en dessiner les contours précis. Il aura des conséquences invisibles et imprévisibles, tout au long de mon enfance, mon adolescence et, sans doute, ma vie d’adulte. Une blessure confuse que j’ai étouffée, et qui a peut-être voilé quelque chose d’indicible en moi, sur laquelle je n’ai su mettre aucune parole. Janvier 1939, c’est le grand poète Manuel Machado, malade et fatigué qui arrive à Collioure avec sa mère de 82 ans. Ils passèrent le 27 janvier par la gare de Cerbère, et arrivèrent à l’hôtel Quintana, où il mourut un mois plus tard, le 22 février 1939 (et sa mère Ana, trois jours après, d’une double peine, la perte de son pays et de son fils). Le poète deCampos de Castilla, Machado, succomba d’une mort, triste et étrange. Mourir d’une souffrance indescriptible et insoutenable. 77 ans après l’exode républicain, on commémore la fuite désespérée de près de cinq cent mille personnes, par le Perthus et de nombreux autres endroits de la chaîne des Pyrénées. Aujourd’hui, nous savons que ce fut le lieu de passage des cinq présidents républicains, parmi la multitude des anonymes défaits et démoralisés. Ils passèrent par le petit village catalan de la Vajol, où ils célébrèrent leur dernier conseil, puis poursuivirent par le col de la Manrella, en direction de Les Illes, du côté français. Il s’agissait du président de la République espagnole, Azaña, du président de laGénéralité de Catalogne, Companys, du président du gouvernement du Pays basque,
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Aguirre, du président du gouvernement espagnol, Negrin et du président du parlement espagnol, Martinez Barrio. Les cinq présidents passèrent la nuit dans un hôtel de Les Illes. Une plaque commémorative, à moitié effacée, le rappelle, elle aussi, difficilement. Bombardements, fuites, morts, défaites, déracinements, guerres et exils partout dans le vaste monde, totalement incompréhensibles pour un enfant. Il me faudra beaucoup de temps pour pouvoir commencer à démêler ces questions, peut-être à mesure que je pourrai réunir et reconstruire les morceaux épars de la mémoire. L’exil qui, pour moi, et tant d’autres, commençait avec le passage de la frontière, était marqué par les ordres des gendarmes,«Allez, allez».Ces étranges et terribles moments furent pour moi déroutants. Rétrospectivement, cette fuite, le changement de pays et de paysage ainsi que le poids de l’exil auraient pour moi, et pour très longtemps, une lourde signification sans que je puisse m’en défaire. J’étais et je serai un fils d’exilé républicain, comme nous disions à Toulouse pendant mon adolescence. Et, avec mes cinq ans, j’étais moi-même un exilé potentiel; plus tard, je me souviens l’avoir revendiqué. Mais, je ne savais pas que le fait d’avoir franchi cette frontière fatidique impliquerait pour moi, un poids politique implacable, qui me marquerait, et qu’à partir de là, d’une manière ou d’autre, j’aurais à assumer.Le camp de concentration d’Argelès-sur-Mer À quel moment ma mémoire enfantine réapparaîtrait-elle? J’imagine que ce soit peu à peu et d’une étrange manière, lorsque tout semblerait se normaliser, sans doute un an ou deux plus tard quand les faits et les relations familiales redeviendraient plus clairs ou moins pesants pour un enfant de six ans. Je ne savais pas combien de temps s’était écoulé. Je l’ai compris bien plus tard (plus tard, ce sera toujours le même refrain). Peut-être s’était-il écoulé un an et demi, de début février 1939, à fin juin 1940. Pendant ce temps, mon père avait pu quitter le camp d’Argelès, car au printemps 1940, quelqu’un était venu le chercher. Mon père m’a expliqué plus tard qu’il avait écrit à un ami, propriétaire d’un vignoble dans l’Aude, entre Lézignan et Narbonne, et que celui-ci avait fait les démarches pour le faire sortir du camp. Il avait connu cet homme quinze ans auparavant; faisant route vers Hilversum(Hollande), il avait travaillé et séjourné chez lui quelques jours pour pouvoir payer son voyage. Il allait à Hilversum, comme délégué de la fédération des jeunesses libertaires de Catalogne, assister à leur congrès international. Pendant les mois d’hiver 1939, il y eut une longue période de froid très rigoureux et, au camp de concentration d’Argelès-sur-Mer, il n’y avait pas assez de baraquements pour loger tout le monde. Mon père et ses compagnons d’infortune avaient dû creuser des trous pour dormir dans le sable, protégés d’une tramontane mortelle par un manteau ou une couverture. Des soldats sénégalais de l’armée française surveillaient les
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