L Idéal démocratique à l épreuve de la Shoa
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Description

Pourquoi l’Europe, qui a inventé l’idée que tous les hommes sont égaux, a-t-elle aussi produit la Shoa ? Pourquoi a-t-elle stigmatisé certains de ses citoyens au point de les détruire ? Depuis de nombreuses années, le débat autour de la singularité de la Shoa est vif : les tenants de la mémoire sacrée s’opposent aux négationnistes de droite comme à ses critiques de gauche. Derrière cette polémique se cache une question plus profonde : celle des fondements mêmes de la démocratie. Aujourd’hui encore, l’égalité entre citoyens suffit-elle à fonder une société qui fait une place à chaque homme dans sa différence ?Shmuel Trigano enseigne la sociologie de la politique et de la religion à l’université Paris-X-Nanterre. Auteur de nombreux ouvrages dans le domaine de la philosophie politique, de la spiritualité et de l’histoire, il a fondé le Collège des études juives de l’Alliance israélite universelle et la revue européenne d’études et de culture juives " Pardès ".

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 1999
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738180490
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© É DITIONS O DILE J ACOB , OCTOBRE  1999
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-8049-0
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
« C’est l’un des faits les plus irritants et les plus déconcertants de l’histoire contemporaine que, parmi tous les grands problèmes politiques restés sans solution à notre époque, ce soit le problème juif apparemment limité et de peu d’importance qui ait eu l’honneur, si l’on ose dire, de déclencher la machine infernale. Une telle disproportion entre la cause et l’effet offense le bon sens […] un problème qui menace si grandement notre sens de la mesure et notre besoin de raison. »
Hannah A RENDT
De l’antisémitisme

« Ennemi des Juifs, l’antisémite a besoin d’eux ; antidémocrate, il est un produit naturel des démocraties et ne peut se manifester que dans le cadre de la République. »
« Il n’y a pas tant de différence entre l’antisémite et le démocrate. Celui-là veut le détruire comme homme pour ne laisser subsister en lui que le Juif, le paria, l’intouchable ; celui-ci veut le détruire comme Juif pour ne conserver en lui que l’homme, le sujet abstrait et universel des droits de l’homme et du citoyen. »
« Le Juif existe-t-il ? Et s’il existe qu’est-il ? D’abord un Juif ou d’abord un homme ? »
Jean-Paul S ARTRE
Réflexions sur la question juive

« La haine des Juifs est ancrée dans l’inconscient des peuples. »
Sigmund F REUD
Moïse et le monothéisme
Introduction
Un renversement  de perspective

Un étrange débat fait rage depuis quelques années dans les démocraties occidentales. La Shoa constitue-t-elle un événement unique dans l’histoire humaine ou bien un génocide parmi d’autres dans l’histoire sanglante du XX e siècle ? Cette catastrophe doit-elle être comprise à la seule lumière de l’expérience singulière de la condition juive ou de l’expérience universelle de la politique contemporaine ? La tragédie qui s’est abattue sur les Juifs, n’a-t-elle pas en effet frappé aussi les Arméniens, les Tziganes, les Cambodgiens, les Rwandais ? Comment faire la part de la dimension juive du génocide et de sa portée universelle ?
Dans ce débat qui pourrait n’être qu’académique, c’est la thèse de la « singularité de la Shoa » qui est sur la sellette. Les uns discernent dans la Shoa un événement absolument unique, dans lequel les Juifs sont au centre et que l’on ne doit comparer à aucun autre sous peine de sacrilège. Cette thèse, démultipliée à l’infini dans le monde anglo-saxon 1 , est défendue par des intellectuels comme Elie Wiesel — qui « considère l’holocauste comme complètement différent de toutes les catastrophes […] toutes les analogies [étant] sacrilèges 2  » —, Georges Steiner — qui va chercher les « différences qualitatives entre la Shoa et les exemples innombrables de meurtre collectif […] dans ce royaume symbolique et métaphysico-théologique 3  » —, Claude Lanzmann — qui proclame que « nul […] n’a l’audace obscène de dénier à l’holocauste sa spécificité, son caractère impie en le diluant, en le noyant dans le problème du mal universel. […] Ce crime exorbitant est d’une autre nature 4  », ou, encore, Paul Ricœur — qui voit dans la Shoa un « “événement uniquement unique” […] les victimes d’Auschwitz [étant] par excellence, les délégués auprès de notre mémoire de toutes les victimes de l’histoire 5  ». Toutes les théologies de la Shoa qui décèlent dans la Shoa un mystère divin peuvent être comptées dans cette mouvance. Quant aux autres, leurs adversaires jurés, ils voient dans cette interprétation une manipulation idéologique intéressée au service des intérêts de pouvoir, de prestige, d’identité des Juifs et, plus largement, d’un discours démocratique occidental qui, en s’identifiant au martyrologe juif, chercherait à innocenter ses fautes génocidaires coloniales. L’extermination des Juifs « cacherait » ainsi les autres génocides, passés et, plus grave, présents. Malgré sa tonalité révisionniste, cet argument n’est pas défendu par des révisionnistes mais par une mouvance que l’on aurait autrefois qualifiée de gauchiste, rassemblant des intellectuels critiques de la « vulgate libérale — conservatrice 6  » et plus généralement de la démocratie libérale.
Ce discours stigmatise dans l’invocation de la singularité de la Shoa la revendication d’un « privilège permanent […] tel groupe a été victime d’injustice dans le passé. Cela lui ouvre dans le présent une ligne de crédit inépuisable. […] Puisque la société reconnaît que les groupes et non seulement les individus ont des droits, autant en profiter ; or, plus grande a été l’offense dans le passé, plus grands seront les droits dans le présent. Au lieu d’avoir à lutter pour un privilège, on le reçoit d’office par la seule appartenance au groupe jadis défavorisé 7  ». « Le peuple qui ne parvient pas à s’arracher à la commémoration lancinante du passé […] mérite moins la sympathie : cette fois-ci le passé sert à refouler le présent 8 . » La condition collective des Juifs est très clairement l’enjeu du débat. « Le discours de la singularité a désinvesti d’une manière toujours plus flagrante cette approche du crime pour le bourreau (les monstres) pour se durcir (et s’étriquer) en discours communautaire : “la Shoa, c’est nous, son unicité est la nôtre, notre affaire”. » Ce « discours […] rencontre le discours religieux de l’élection : Auschwitz devient […] signe […] de la particularité élective du destin juif […] Israël, défini comme le dû d’Auschwitz, en devient inséparable […] la Shoa en arrive, d’une manière aussi insane qu’impensable, à entrer dans le champ d’action du calcul et de l’intérêt […] les jeux d’influence et de pouvoir des dirigeants […] des communautés juives de la diaspora […] les stratèges de l’État d’Israël 9  ».
Une telle perspective idéologique déborde cependant très largement les marches d’une nouvelle gauche en voie de constitution. C’est par le biais de la critique du singularisme juif que des discours plus au centre droit (souvent gaulliens ou « républicains nationaux ») font chorus avec elle. La critique du « communautarisme » juif y est courante, mais elle trouve à s’exprimer parfois à propos de la Shoa. Jean Mattéoli, par exemple, président de la « Mission d’étude sur la spoliation des Juifs », ancien résistant, « souhaite que les Juifs ne commettent pas cette erreur. Les Juifs français sont Juifs mais ils sont français. Alors faire un distinguo pour des dommages rigoureusement comparables entre Français juifs et Français catholiques ou tout ce que vous voulez, ce serait vraiment créer un précédent très fâcheux, dont finalement pourraient être victimes les Juifs eux-mêmes. En France, il n’y a pas du tout de différence entre un Juif et un non-Juif […]. Ce sont les Allemands qui ont fait cette distinction […]. C’est dommage que la communauté juive puisse se déclarer satisfaite d’une somme d’argent qui est versée par des entreprises allemandes. Il n’y a pas de relation de cause à effet entre le dommage subi et l’indemnisation 10  ». En somme, les Juifs français ont été tués par les Allemands parce qu’ils étaient Juifs, mais ce sont des Français qui sont morts en leurs personnes. Un tel arc idéologique — de la gauche à la droite — souligne la dimension structurelle et non point conjoncturelle qui sous-tend le débat sur la singularité de la Shoa.
Quel étrange débat ! Il est rare en effet d’épiloguer sur le caractère « unique » d’un événement (qui, par définition, est toujours singulier). A-t-on jamais devisé sur le caractère unique de la Révolution de 1789, spécifique à la France mais à la signification universelle ? C’est la substance même de l’événement — les victimes juives  — qui se voit, en fait, mise en question, qu’elle soit absolutisée ou déniée. Si la thématique du singulier et de l’universel ne relève pas d’une phraséologie creuse, comme nous le verrons, il n’en reste pas moins que bien d’autres enjeux se trament dans ce débat. Nous vivons un moment important où le souvenir de la Shoa est sur le point de s’instituer pour les générations à venir, alors que celles qui l’ont vécu directement ou par témoins interposés sont en train de disparaître.
Quel est le sens profond, secret, d’une telle controverse ? D’un côté, la thèse de la singularité absolue sauvegarde le phénomène central de la Shoa, l’identité des victimes, mais, par l’absolutisation à laquelle elle conduit inévitablement, impose le silence et ouvre ainsi sur un mystère à la sacralité très problématique. De l’autre, la thèse de l’universalité absolue, fait bon marché de la réalité concrète de l’extermination des Juifs et s’oriente vers l’interprétation la plus primaire et la plus inquiétante qui soit, celle du « complot » des Juifs, accusés d’une manipulation symbolique au profit de leurs intérêts.
Notre analyse partira de l’hypothèse que si la Shoa concerne tout le monde, parce qu’elle soulève la question du sens et de la valeur de la modernité, c’est uniquement parce que l’expérience singulière des Juifs est inscrite en son centre. La Shoa peut ainsi être comprise dans la perspective de toutes les hécatombes du XX e siècle sans se voir dénier sa singularité. C’est cette superposition problématique du singulier et de l’universel qu’il nous faut justement comprendre, pour tirer la « leçon » de la Shoa. Par « leçon », nous n’entendons nullement la découve

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