Le migrant clandestin
266 pages
Français

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Description

Chaque jour, le monde ouvre les yeux sur les drames des migrants clandestins, disparus en mer, perdus dans le désert, rejetés par les vagues… La migration clandestine est extrêmement marginalisante. Les autorités politiques parlent de lutte contre ce phénomène épouvantable, mais encore faut-il identifier le migrant clandestin : quelle est sa condition ? A-t-il une histoire particulière ? De quel milieu social provient-il ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2013
Nombre de lectures 52
EAN13 9782296538351
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1150€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Collection « Penser le temps présent »
Cette collection a pour ambition de proposer au lecteur un ensemble de travaux – études et essais-portant sur les thèmes d’actualité ou aptes à éclairer les grands événements du temps présent.
Titre
M USTAPHA N ASRAOUI






L E MIGRANT CLANDESTIN

Le paradoxe de l’être et de la société








L ’ H ARMATTAN
Du même auteur
La représentation de la pauvreté dans la société tunisienne. Paris, L’Harmattan, 1996.
La vieillesse dans la société tunisienne . Paris, L’Harmattan, 2003.
Al-Hamichia (La marginalité). Ouvrage en langue arabe, Tunis, Dar Saher, 2009.
Copyright
© L’Harmattan, 2013
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-336-66803-1
INTRODUCTION
Qu’il y ait des migrations ici ou là, quoi de plus naturel ? La migration a, de tout temps, accompagné l’homme dans sa lutte contre l’adversité. Que le phénomène migratoire emprunte deux voies radicalement opposées, l’une légale, l’autre clandestine, voilà un phénomène tout à fait nouveau.

Les religions, les mythes fondateurs, les généalogies, parlent de la migration comme d’une date fatidique, d’un tournant historique, sans chercher à en préciser la nature. Le brassage des ethnies et des peuples à travers la longue aventure humaine est un fait indiscutable, réfutant la thèse de la race pure. L’homme a profité des différents brassages produits par le déplacement de groupements humains dans tous les sens, non seulement sur les plans social, culturel et économique mais aussi sur le plan biologique. Le métissage, disent les biologistes et les médecins, est le meilleur moyen de lutter contre de nombreuses maladies génétiques.

Durant des millénaires, l’être humain en détresse n’avait pas besoin de documents pour voyager, son seul passeport était la souffrance. Des individus, des groupes, des communautés affamés, opprimés, persécutés trouvaient refuge et salut sous d’autres cieux, d’où les fêtes de remerciements en faveur des forces naturelles qui auraient inspiré l’exode et provoqué la manne céleste. La migration était un moyen de limiter l’inégalité humaine face à la pénibilité et la souffrance. Les recherches anthropologiques ont, par exemple, montré que les Amérindiens et les Peaux-rouges sont des Mongols venus il y a 50.000 ans de l’Asie Centrale traversant l’isthme de Behring pour s’installer dans le continent que nous appelons aujourd’hui Amérique. Jusqu’à aujourd’hui, les 5 premiers nombres (un, deux, trois, quatre, cinq) ont la même appellation dans la langue mongole et dans la langue des Indiens du Pérou (J. Bernard, 1988).

Tant qu’il y avait de l’alimentation pour tout le monde il n’y avait pas de conflits, les luttes ne se déclenchaient que lorsque les autochtones et les étrangers affrontaient, sur la même terre, la rareté des ressources. Jusqu’aux années 1920, la notion de migration clandestine n’apparaissait pas dans les discours et les réglementations pour les pays d’Europe Occidentale, les U.S.A ou l’Australie. Il n’y avait pas de pression sur les frontières, les moyens de transport étaient limités, les voyages étaient difficiles et la tentation, véhiculée par les médias, n’existait pas.

La migration clandestine est apparue avec la protection du travail, ou plutôt la nécessité de faire bénéficier les nationaux de la priorité au travail, surtout pendant les périodes de crise comme le marasme économique de 1929. Le peu de postes qu’il y avait ne devaient pas être occupés par des étrangers, d’où certains slogans de l’entre-deux-guerres, comme "la France aux Français", qui reflètent davantage la demande de protéger l’emploi que le racisme xénophobe qui s’est développé quelques années plus tard. La situation économique difficile a engendré la réglementation de l’emploi comme la nécessité de disposer d’une carte de travail pour tout travailleur étranger. Plus tard, des considérations idéologiques ont verrouillé davantage les frontières contre la migration de personnes venant de certains pays ou appartenant à d’autres cultures. Les frontières sont devenues plus sélectives. Le tri des éléments désirables et indésirables se fait d’une façon implicite, selon que la culture du migrant est "soluble" ou "non soluble" dans la culture nationale. Il n’est pas étonnant dès lors de voir émerger des ministères de l’identité nationale ni d’entendre parler de "risque de la déconfiture de la culture nationale".

Evidemment, dans tous les cas de figure, une réglementation qui prend en considération les possibilités du pays d’accueil, tant au niveau de l’emploi qu’au niveau des conditions de vie, est nécessaire, aussi bien pour les deux pays d’accueil et d’origine que pour le migrant lui-même mais le migrant clandestin est sourd à ces considérations, il est mû par la seule force subjective qui fait miroiter devant lui un paradis. N’oublions pas surtout que le prohibé suscite la tentation et que le péché engendre le sacrilège, c’est pourquoi il est impossible de biffer d’un trait la migration clandestine.

Certes, le phénomène peut connaître une diminution à cause d’une conjoncture favorable dans le pays d’origine ou défavorable dans le pays d’accueil, il est permis de parler parfois d’un minimum historique, mais il n’y aura jamais de migration clandestine zéro. À l’opposé, ce sont les périodes de transition politique, avec une baisse de la vigilance sécuritaire et l’affaiblissement de l’État, qui constituent, avec la famine et les guerres civiles, les circonstances les plus favorables au phénomène. Les événements politiques majeurs liés à l’effondrement des régimes tyranniques s’accompagnent toujours de migration clandestine intense, sous des appellations multiples (refugiés, exilés, persécutés, menacés...). Faut-il rappeler l’exode massif des Allemands de l’Est vers l’Allemagne de l’Ouest après la chute du Mur de Berlin et le déferlement sur la petite île de Lampedusa de milliers de Tunisiens et d’autres Africains à la suite de l’effondrement du régime de Ben Ali et le déclenchement de la guerre civile en Libye ? Le nombre de Tunisiens 1 débarqués en quelques semaines à Lampedusa s’éleva à 26.000 personnes, seuil intolérable pour cette petite île aride de 4.000 habitants.

La migration clandestine que nous connaissons aujourd’hui est la plus déconcertante des migrations, d’abord par le triste compte des migrants noyés dans les mers et les fleuves ou morts dans le sable brûlant du désert. Selon l’Atlas des Migrants en Europe (Clochard et Morice, 2009), 14.300 migrants environ ont péri aux frontières entre 1988 et 2009, dont 9.470 en Méditerranée et dans l’Océan Atlantique, évaluation jugée minimale par les auteurs. Pour revenir à la Tunisie, le Centre d’Études et d’Activités Ouvrières à Tunis (2011) évalue à 3.000 le nombre des jeunes Tunisiens morts dans la Méditerranée au cours des 3 mois qui ont suivi la chute du régime de Ben Ali. Les autres évaluations ne le situent pas moins de 2.000 morts. Le nombre des disparus reste inconnu.

Aussi, faut-il signaler l’âge jeune de cette population vouée à la mort et à la marginalité (22 ans en moyenne d’après le centre cité plus haut et 24 ans d’après notre propre calcul, à partir d’une liste de 168 Tunisiens disparus). Ces jeunes étaient des proies faciles pour des prédateurs rapaces promettant monts et merveilles, mais qui n’hésitent pas à se débarrasser d’eux en pleine mer ou au cœur du désert, où ils meurent assoiffés, affamés ou foudroyés par un soleil de plomb. Fantasmant sur un avenir radieux, des jeunes, à la fois candides et ambitieux, obligent leurs parents à vendre leurs terres, leurs bijoux en échange de la somme exigée. Il est difficile d’imaginer l’amertume des parents lorsqu’ils n’ont plus de nouvelles de leurs enfants. Tout se passe comme s’ils vivaient une psychose bipolaire où, selon les rumeurs et les présages du jour, ils sont ballo

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