Le Pays du Mal
222 pages
Français

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Description

Historien et politologue, enseignant et reporter de guerre, spécialiste du monde arabo-musulman, Pierre Piccinin da Prata a couvert les terrains de toutes les révolutions du Printemps arabe. D'avril à septembre 2013, il a été retenu en otage par les Brigades islamistes al-Farouk, avec l'envoyé spécial du quotidien italien La Stampa, Domenico Quirico. Ce sont cinq mois de souffrances, de colère, d'enfermement à travers les villes en ruines et les campagnes ravagées que les auteurs nous livrent dans ce témoignage.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2014
Nombre de lectures 4
EAN13 9782336360140
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre
Pierre Piccinin da Prata Domenico Quirico









Le Pays du Mal

Otages du djihad en Syrie, 152 jours
Copyright


























© L’Harmattan, 2014
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-336-71025-9
Citation


« ‘Ô mes compagnons, leur ai-je dit, qui êtes arrivés dans les mers du Couchant, après avoir bravé tant de dangers, et qui n'avez, comme moi, que peu de temps à vivre, ne vous refusez pas, en marchant contre le cours du soleil, la noble satisfaction de voir l'hémisphère inconnu ; considérez votre dignité d'homme : vous n'avez pas été appelés à vivre comme la brute, mais vous devez acquérir de la gloire et de sublimes connaissances.’ (…) Nous nous livrâmes alors à une joie qui bientôt se changea en douleur. Il s'éleva de la mer un tourbillon qui vint frapper la proue de notre vaisseau ; trois fois la tempête fit tourner le navire, puis elle fracassa la poupe, et, comme il plut à Dieu, l'Océan se referma sur nous… »
Le châtiment d’Ulysse
(Dante, La Divine Comédie, L’Enfer, chant XXVI)


En demandant le pardon de mes proches, de ma famille et de mes amis, que, Ulysse à mon tour, j’ai entraînés avec moi dans l’angoisse de cet Enfer.
Pierre Piccinin da Prata
Avant-propos Domenico Quirico
Le Mal ! Je l’écris avec une majuscule. Parce qu’il s’agit d’un principe implacable et sans remède, parce qu'il est mystère et stupeur, parce qu’il ne s’est pas perdu dans un passé lointain, mais demeure, douleur, incompréhensible et aveugle, une terreur ineffable, qui a toujours été et sera à jamais.
Mais attention ! Pour avoir le droit de parler du Mal, de le raconter, avec décence et honnêteté, il faut respecter cette règle, qui vaut aussi pour la souffrance : il faut l’avoir connu, partagé, et en avoir payé le prix. Il faut savoir retenir entre ses dents le cri, le déchirement et la colère noire, l’amour blessé par la rancœur d’avoir été trahi par d’autres êtres humains. Le Mal, ce n’est pas une parole sans consistance, ce sont des faits, des actions, des gestes. Et, quand ces gestes sont l’œuvre de tout un peuple, c’est l’Histoire.
Aussi, notre devoir, c’est de raconter, seconde après seconde, mois après mois, ce que furent ces cent cinquante-deux jours de malveillance endurée, ce que fut cette chute éreintante dans une non-vie, imposée par la volonté impitoyable d’autres personnes, cette injustice à la fois singulière et désespérante, amère et horrible, parce qu’infligée par ceux-là mêmes qui auraient dû être nos amis.
C’est décrire le sentiment de déchirure face à un autre être humain qui a du plaisir, s’il s’en amuse effectivement, en faisant semblant de me tirer dessus avec un pistolet. Et qui va ensuite s’agenouiller au premier rang des fidèles, pour diriger la prière à son dieu. Monte alors de la gorge le cri, non pas celui de la terreur, mais celui de la nausée, du dégoût d’être aussi, soi-même, un homme, et on se sent sale, comme souillé par une maladie, impur : le Mal, ainsi.
Il faut avoir éprouvé une sensation d'oppression dans la poitrine, celle de l'angoisse et du désarroi, parce que des milliers de Syriens, des vieillards et des enfants, des adolescents, armés ou les mains nues, les vrais révolutionnaires et ceux qui se faisaient passer pour tels, bandits de grand chemin et islamistes enflammés, pendant cinq mois, ont fait semblant de ne pas voir que deux êtres humains subissaient cette injustice.
Et ils nous raillaient, d’un rire bruyant, strident, qui nous lacérait, un rire qui nous faisait mal aux tympans, alors qu’ils avaient sous les yeux un homme qui pleurait et évoquait sa famille, avec laquelle il n'avait plus eu aucun contact depuis plusieurs mois. Par leur faute.
Pour le connaître, le Mal, accompagnez-moi dans de petites salles insalubres, dans cette cave, sordide, et dans les prisons malsaines où des Syriens laissaient la lumière allumée en permanence, pour que notre besoin d’un sommeil sans cesse interrompu nous pesât davantage et, irrésistible et angoissant, nous fît oublier tout et toute chose.
Alors, vous les connaîtrez, ces hommes, qui nous ont humiliés, aussi bien parce que nous étions des Occidentaux que parce que nous étions des Chrétiens. Pendant cinq mois. En nous imposant une solitude insupportable, une solitude qui implorait, comme on demande une aumône, de pouvoir revoir d’autres êtres humains, de voir et d’entendre les yeux et la voix de quelqu’un qui aurait eu pitié.
Pierre et moi, nous pouvons parler du Mal, parce que nous l’avons vécu, lui plus encore que moi, lui qui avait été torturé, à Homs et à Damas, lors d’un de ses précédents voyages en Syrie ; et nous avons le droit de raconter la souffrance des Syriens, bons et mauvais, justes ou injustes, de chacun d’eux, même de nos bourreaux, parce que, ces deux dernières années, nous l’avons vécue avec eux.
Oui, je le répète, la Syrie est le pays du Mal, parce tout s’y est changé en une succession rituelle et devenue naturelle d’une haine à une autre et de cruautés ajoutées à la cruauté.
Notre histoire n'est qu'une petite histoire humaine, perdue dans l’immense tragédie d'un peuple. C’est vrai. Mais je ne veux pas faire ici le récit d’une vilaine fable ; je veux rapporter dans ce livre l’histoire de ces Syriens, de ces Musulmans cruels, par centaines, par milliers, de ce qu’est le Mal : les actes de ces hommes, leurs actions, dénuées de miséricorde. Si, pendant cent cinquante-deux jours, dans ce pays que nous avons parcouru d’un bout à l’autre, du sud au nord et vers l’est, je n’ai trouvé qu’un seul Juste, alors –j’en suis désolé– la Syrie est le pays du Mal.
Parce qu’elle est aujourd'hui habitée par des hommes qui font le Mal, chaque jour et sans plus s’en soucier, comme si c’était cela, la normalité du quotidien, de la vie. La guerre, oui, les morts qui s’entassent de part et d’autre, deux années de guerre ont entraîné cette partie du monde dans l’ordinaire du Mal. Il a pénétré le cœur de chaque homme, un après l’autre, et on peut en percevoir la trace dans l'intimité profonde de ces âmes ainsi confondues et contaminées.
Ils invoquent constamment leur dieu, en Syrie, le dieu de l'Islam ; mais ils blasphèment par chacun des gestes qu’ils posent. Les hommes que j'ai connus et qui, tout à côté de moi, accomplissaient hypocritement leurs rites vides de toute justice, étaient rongés par un venin qui était en eux et dont ils ne voulaient pas être délivrés.
Tous les Syriens, bien sûr, ne sont pas ainsi. Je le dis parce que, si je ne l’avais pas su, je ne serais pas allé dans ce pays, depuis deux ans, pour témoigner des morts, des milliers de morts, ces malheureux qui, bien souvent, n’avaient choisi ni un camp, ni l’autre, et se sont faits massacrer par les uns comme par les autres.
Le Mal, nous l’avons accompli, nous aussi, et tant et tant, nous, les Chrétiens d'Europe occidentale. Mais devons-nous nous taire pour autant ? Devons-nous taire que, en ce moment, maintenant, la Syrie est le lieu où l’homme tue l’homme et le martyrise avec le plus grand enthousiasme et la plus brutale intensité ? En priant et en appelant à témoin un dieu, avec la ruse des pervers et des menteurs ? Que les armées du Mal brandissent des drapeaux qui devraient être – que nous croyions être – les bannières immaculées de la révolution ? Où, désormais, prévalent le mensonge et l’arrogance, les caïds des ruelles, les truands effrontés, les chefs de bandes cupides et autant de petites frappes avides de violences et de forfaits, qu’ils reproduisent à l’instar de l’ignoble cruauté de leur ennemi.
Le verdict est : coupables ! Coupables non pas de violence, d’enlèvement, de vol, des bagatelles de pandectes… Mais coupables de trahison, d’absence collective de pitié, le plus grand des péchés !
La Syrie écoute jusqu’à l’ivresse, jusqu’à en devenir folle, enregistrés sur les téléphones portables, retransmis pendant des heures à la télévision, les discours de prédicateurs infectes qui incitent à la ha

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