Les Seigneurs du Château
196 pages
Français
196 pages
Français

Description

Le premier soulèvement contre l'empire soviétique, la révolution hongroise de 1956, aura bientôt 60 ans. Après l'échec de la révolte, quatre-vingts jeunes Hongrois trouvèrent asile à Strasbourg. Avec les yeux de la maturité, c'est leur histoire que relate l'auteur, un ancien du Château de Pourtalès. Comment ont-ils vécu ces premières années d'exil ? Que sont-ils devenus ? Tout au long de cette chronique, on découvre peu à peu le portrait de ces jeunes dont le sort s'est joué ces années-là le long du Rhin.

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Publié par
Date de parution 06 novembre 2014
Nombre de lectures 17
EAN13 9782336362076
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Graveurs de Mémoire
G
Georges Ferdinandy
Les Seigneurs du Château
Souvenirs d’un réfugié hongrois en Alsace
(Texte révisé par Marc Sénéchal)
Graveurs de Mémoire Série : Récits de vie / Europe
Les Seigneurs du Château
Graveurs de mémoire Cette collection, consacrée à l’édition de récits de vie et de textes autobiographiques, s’ouvre également aux études historiques. Depuis 2012, elle est organisée par séries en fonction essentiellement de critères géographiques mais présente aussi des collections thématiques.Déjà parus
Walliser (Andrée),Grandeurs et servitudes scolaires, Itinéraires passés et réflexions présentes d’un professeur,2014. Quesor (Gérard),Chez la tardive, Une amitié inachevée,2014. Penot (Christian),Du maquis creusois à la bataille d’Alger, Albert Fossey dit François de la résistance à l’obéissance,2014.
Messahel (Michel),Itinéraire d’un Harki, mon père, De l’Algérois à l’Aquitaine, Histoire d’une famille,2014.
Augé (François),Petites choses sur l’école, Mémoires et réflexions d’un enseignant,2014.
Moors (Bernard),J’ai tant aimé la publicité, Souvenirs et confidences d’un publicitaire passionné, 2014. Pérol (Huguette),Gilbert Pérol, Un diplomate non conformiste, 2014. Gritchenko (Alexis),Lettres à René-Jean,2014. Blaise (Mario),Retour aux racines,2014. Le Lidec (Gildas),De Phnom Penh à Abidjan, Fragments de vie d’un diplomate,2014. Buzoni-Gatel (Dominique),Le Laboin vivo, Chercheur en biologie et mère de famille nombreuse,2014.
Georges Ferdinandy Les Seigneurs du Château Souvenirs d'un réfugié hongrois en Alsace (Revu et corrigé par Marc Sénéchal)
Du même auteur : L'Ile sous l'eau, Imprimerie des Dernières Nouvelles de Strasbourg, 1960 – Prix del Duca, 1961 Famine au paradis, Ed. Denoël, Paris, 1962 Le seul jour de l'année, Promotion et Edition, Paris, 1967 -Prix littéraire Antoine de Saint Exupéry Chica, Claudine, Cali : trois filles dans le monde, Ed. Denoël-Gonthier, Paris, 1973 Itinéraires, Ed. Atelier H., 1973 Fantômes magnétiques, Ed. Denoël, Paris, 1979 Youri, Ed. Denoël, Paris, 1983 Hors jeu, Ed. Denoël, Paris, 1986 Mémoires d'un exil terminé, Ed. Denoël, Paris, 1992 Entre chien et loup, Ed. Orphéus, Budapest, 1996 (distribué en France par les éditions In Fine, Paris) La Fiancée de l'Est, Ed. Le Castor Astral, Bordeaux, 1998 Histoire de ma femme, Ed. Orphéus, Budapest, 2001 Naufrages, Ed. Orphéus, Budapest, 2003 Le Roi des fous, Ed. l’Acte-Mem, Chambéry, 2008 © L'HARM ATTAN, 2014 5-7, rue de l'École-Polytechnique, 75005 Parishttp://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-0472-5 EAN : 9782343047225
1. Nous sommes six dans le minibus, nous trois et l’équipe de tournage. Dans la vallée du Rhin, la vapeur se lève, une odeur d’herbe fraîche flotte au-dessus de l’autoroute. Nous arrivons par le Nord. J’ai cru que je n’en aurais pas besoin, et pourtant, je suis obligé de me pencher sur la carte. D’épaisses lignes rouges la parcourent en long et en large, je ne trouve nulle part le Pont du Rhin, la frontière de mon époque. Le paysage m’est certes familier, mais je n’y reconnais rien. Nous longeons la zone alluvionnaire, saules, végétation parfumée, quand, enfin ! quelque chose de concret, un panneau :La Wantzenau. La « Trifouillis-les-Oies » d’Alsace, dont à l’époque je me moquais et qui maintenant me serre la gorge. A partir de cet endroit, je n’ai effectivement plus besoin de carte. Nous traversons le village, longeons des lacs de gravières. Un instant, une maison de bois apparaît, le Fuchs-am-Buckel. Même son nom me revient à l’esprit. Et c’est déjàLa Robertsau. Les fenêtres débordant de géraniums, les autobus verts de la Ville. Un spectacle invraisemblable. Il m’est déjà arrivé de retourner quelque part quatre ou cinq ans plus tard. Ce que j’avais connu là-bas me paraissait alors très loin dans le temps. Ici, à La Robertsau, il ne s’agit pas de quatre, mais de quarante ans. Et maintenant, par ce matin brumeux, ces quarante années semblent une bagatelle. Comme hier ? Non, pas du tout. Plutôt une excursion dans le futur. Tout a changé et pourtant, tout est familier. Voici l’arrêt du bus. C’est à ces barres de fer que nous enchaînions nos vélos. Ensuite, toujours sur la gauche, le chemin qui conduisait au camp. Eh oui, c’était mon adresse, le code postal n’existait pas encore. II y a peu, j’ai
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retrouvé dans le carnet de ma pauvre maman la rue Mélanie et La Robertsau. Il y avait trois cafés sur le chemin du camp. L’un d’eux, le « Coq Blanc », y est toujours. Celui qui avait la boîte à musique. «Dort war ich einmal zuhauseJ’entends la» ! chanson, elle filtre, comme le brouillard, tout au long de la rue Mélanie. Les autres, « Les Trois Epis » et la buvette de « Chez le Père Würtz », devant l’entrée de la Maison des Filles-Mères. De ces deux-là, plus de trace. A partir d’ici, la rue Mélanie avance, bordée de pommiers. Les cultures maraîchères sont envahies par la végétation. Le Château de Pourtalès héberge aujourd’hui des cours d’été. Nous nous garons à l’entrée. L’équipe sort le matériel. Ils ne veulent pas laisser leurs affaires sans surveillance, ma femme restera dans l’auto. Ils travaillent avec des gestes rapides. Ils craignent qu’à l’intérieur nous ne soyons pas les bienvenus. Une allée conduit au Château, ils me demandent de la longer. Le film a pour titre provisoirePerspectives, et les platanes au tronc blanc – avec ma silhouette noire sous leur voûte – montre bien la distance. Ils veulent faire le tour du bâtiment. Je leur dis pourtant que jamais je ne suis entré par la porte principale : les habitants du camp vivaient à l’arrière, dans un bâtiment préfabriqué. Nous ne venions au Château que pour les repas, et même alors, que par l’entrée de service. Celle-ci existe toujours. De même que le fossé et le pont où, munis de fourchettes attachées à des bâtons, nous guettions les poissons. Quant au lac, il est mangé par les roseaux qui ne laissent apparaître nulle tache d’eau. Nous contournons le marais, nous traînons. Le caméraman disparaît à tout bout de champ. Je cherche en
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vain le long bâtiment marron de la baraque. A sa place, pelouse, plantes ornementales, buissons. Le soleil luit, déchaîné. C’est difficile à imaginer : on garde le souvenir d’une baraque en bois où l’on a vécu près de deux années, on sent l’odeur de l’asbeste, les pas craquent sur le plancher couvert de linoléum, et d’un coup il s’avère que ce lieu n’existe pas. Les Français ont démoli et déblayé le camp. A l’entrée se dressait un sapin imposant. Entre ses branches était fixé l’écriteau dont j’ai rêvé si souvent pendant les quarante années de mon exil :« Varsovie deux mille kilomètres ! »Le tronc nu de cet arbre – totem élimé – est toujours là. Cela leur plaît, ce détail. Que je me mette là ! Et que j’appuie mon bras contre le tronc. A l’arrière-plan, le marais et le Château. Que je lise ici mes notes. Le texte est court, et pourtant, je trébuche. Soyez naturel ! – me demande-t-on. – Comme dans une conversation. Plus je répète, et plus c’est difficile. Tant pis. Les cinéastes sont des gars solides. Mon portrait se fera, coûte que coûte. Je retourne au parking. Je traverse les broussailles, le chemin passait par là, je n’ai aucun doute là-dessus. Mon fils m’accompagne. Il a l’âge que j’avais quand la Révolution a échoué. Il se tait. Que peut-il penser ? Il est du Nouveau Monde. Est-ce qu’il n’est pas fatigué de ces vieilles histoires sans fin ? Conchi garde l’auto. Il est midi. Nous nous étendons sur les sièges, nous soufflons. L’équipe tourne encore. Cela ne les gêne pas que je n’y sois plus. — Vous étiez combien ? – demande ma femme. — Quatre-vingt quatre. Nous autres garçons, quatre-vingts. — Tu vas l’écrire ?
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