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Description
Sujets
Informations
Publié par | L'Harmattan |
Date de parution | 29 janvier 2019 |
Nombre de lectures | 0 |
EAN13 | 9782336862651 |
Langue | Français |
Poids de l'ouvrage | 4 Mo |
Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Nous les vaincus
Umberto Marianelli
Michel Verret
Nous
les vaincus
traduit de l’italien par Loly Lévy
Récit
Nous les vaincus
Umbe
Nous
Traduit de
erto M ARIA
s les va
Récit
l’italien par
ANELLI
aincus
r Loly Lévyy
© L’Harmattan, 2019
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.editions-harmattan.fr
ISBN : 978-2-343-16280-5
EAN : 9782343162805
Désirant rester le plus fidèle à la prose de l’écrivain, l’auteure et traductrice a tenu dans ce livre, à certaines pages, à maintenir le style originel sans le corriger.
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Introduction
C'est à Viareggio, une des plus belles plages de la Versilia en Toscane, que j'ai fait la connaissance, au "Bagno Amelia", du Docteur Umberto Marianelli et de sa famille. Cette station balnéaire était fréquentée par des Florentins et des habitants des petites villes industrielles proches de la capitale artistique de l'Italie.
Nos enfants avaient sympathisé et nous les parents également. Je m'entretenais volontiers avec Dina, sa femme. Nous nous retrouvions surtout l'après-midi à la plage sous un parasol ou au bord de la mer où nous surveillions les ébats de nos enfants.
Le Docteur Marianelli arrivait le samedi de Empoli
pour se reposer et jouir de sa famille à la mer. C'était un
bon nageur et l'eau tiède de l'après-midi le comblait. Son
goût pour la peinture et l'écriture nous rapprochèrent et il
nous offrit quelques livres qu'il avait édités, parmi lesquels
Noi Vinti 1 , journal intime qui nous fit découvrir l’itinéraire
d’un jeune Italien aux prises avec la réalité de la Seconde
Guerre mondiale qu’il avait été.
À l’âge de dix-huit ans, le jeune Umberto Marianelli se
porta volontaire pour participer à la guerre dans laquelle
son pays s’était engagé aux côtés d’Hitler. Nous les
vaincus , formule choisie par l’auteur pour intituler ses
écrits, indique bien quelle fut l’issue de cette
malencontreuse épopée.
1943. L’heure approche du crépuscule mussolinien et la
situation devient confuse et périlleuse pour les soldats
1 Noi Vinti : Nous les Vaincus.
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italiens qui commencent à rencontrer sur les terrains d’opération les Forces alliées débarquées en Méditerranée le 8 novembre 1942 ainsi que les « partisans », les résistants au régime fasciste, de plus en plus nombreux et puissants.
L’auteur raconte dans son journal ces moments où pointent la défaite et son cortège d’humiliations à venir. Il se retrouvera en particulier emprisonné à la prison de Bettola, située dans le val de Nure, zone où, à partir de juillet 1944, les partisans avaient constitué une « libre république de Bettola », siège du commandement unifié de la zone XIII de la Résistance.
Puis ce sera le camp de concentration à Aversa, dans les environs de Naples, où il découvrira avec amertume le goût de la défaite mais aussi la promiscuité et ce qu’il vivra comme une grande injustice.
Nous les vaincus évoque avec sobriété le drame intérieur des hommes engagés, par la force des choses plus que par conviction, du mauvais côté de l’histoire.
Il ne s’agit pas ici d’une histoire de héros. Ce n’est ni un document historique ni un acte de justification ou de revendication. C’est la pauvre histoire des Italiens, vaincus, humiliés, offensés. Guidés par des aspirations similaires ou divergentes, suivant des routes parallèles ou opposées, ils se retrouvèrent tous réunis dans le même filet de la plus amère des désillusions. Que de cette rencontre puisse naître au moins le désir de nous acheminer ensemble pour une vie meilleure.
L’auteur
1943
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Empoli
L’hiver est rigoureux cette année. Il pleut et il fait très froid dans cette gare. Je me fais de la peine. J’ai laissé les miens à la maison pour ne pas ressentir trop de fois la séparation. Un seul ami m’accompagne. J’attends le train qui me conduira à la subdivision militaire de Pistoia. J’endosse mon habit le plus usé parce que bientôt il faudra le jeter. Mon ami ne parle pas. Il comprend mon drame intérieur. Nous avons tellement discuté ces jours derniers : obéir à l’appel aux armes ou bien faire comme les autres s’engager dans la clandestinité. La ville est à deux pas. Le train a un gros retard. Les miens sont encore là, les oreilles tendues pour percevoir le train qui m’emmènera. Ils seraient prêts à m’embrasser à nouveau comme si je revenais d’un long voyage. Je dormirais alors dans mon lit cette nuit encore. Tout le tourment des jours passés, les nuits d’insomnie avec l’angoisse de ma décision, les journaux dévorés pour y retrouver entre les lignes un mot susceptible d’éclairer la voie à suivre, les amis consultés, le prêtre qui m’a conseillé de donner à César ce qui appartient à César, ma mère angoissée par la peur de me perdre, mais convaincue que la lâcheté ne doit pas m’entacher. Je ressasse tout dans ma tête. La sonnerie de la gare annonce que le train est proche. Moi seul, à dixhuit ans, j’ai décidé de partir et je suis bien décidé. Le train est arrivé. Adieu, Empoli ! Adieu, maman !
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Pistoia
Je pense que les subdivisions militaires sont organisées de façon à ce que celui qui y arrive n’aspire à rien d’autre qu’à partir pour le corps d’armée. Un véritable enfer : confusion, saleté, égoïsme, vols, odieuses plaisanteries. Les quelques officiers que nous rencontrons ne sont pas convaincus de ce qu’ils font ; comme si tout devait s’arrêter d’un moment à l’autre.
Pistoia
Grandes incursions aériennes de jour et de nuit. Nous sommes obligés d’ouvrir les grillages au signal d’alarme et à fuir à travers la campagne. Je suis seul dans un champ loin de la ville. Il fait nuit. Je pourrais m’enfuir. Peut-être que mon dégoût des incursions provient aussi du fait que durant celles-ci je suis tenté de m’enfuir. Je devrais parcourir soixante kilomètres à pied à travers la montagne. Je n’ai fait aucune connaissance. Cela n’en vaut pas la peine si dans quelques jours nous devons avoir une installation définitive. Et puis personne ne parle. Chacun a un plan ; on le voit bien. Tous ont fait acte de présence pour ne pas être arrêtés par les carabiniers. Mais si un bombardement ne nous tue pas, il arrivera bien quelque chose.
Pistoia
Maintenant on exige trop de moi. Seul comme un chien, sans une lettre des miens, avec un ordinaire de cochons et une couchette pleine de saletés de toutes sortes. À chaque heure un appel. Tu prends tes affaires, sûr d’être
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dans la liste de ce qui sont destinés au corps d’armée et tu retournes dans ton lit de camp en attendant d’avoir plus de chance la prochaine fois. Il y a déjà quinze jours que j’attends. Mais ont-ils une idée claire de ce que nous devons faire ? Je regarde autour de moi. Je suis le seul étudiant parmi ces désespérés.
Pistoia
Une rumeur s’est répandue dans le district. Il paraît que l’on nous garde ici pour expérimenter, pour voir combien répondent à l’appel. Vu que nous ne sommes que quelques-uns, on aurait décidé de nous renvoyer tous chez nous. Je ne crois pas à ces facilités. Les Allemands aiment les jeunes gens. Je ne vois certainement pas comment une armée puisse être constituée d’éléments comme nous. Mais les officiers croient-ils en la guerre ? Ils sont si
froids, si taciturnes, si méprisants !
Pistoia
Mes ressources morales une fois épuisées, arrive ma destination au corps d’armée. Nous partirons cette nuit pour le 5 e Bersaglieri de Sienne. Je ne cache pas mon intime fierté d’être Bersagliere.
1944