Sous la grêle des démentis
287 pages
Français

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Sous la grêle des démentis , livre ebook

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Français

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Description

Menâa. Oued Abdi. Algérie. Ces récits relatent "la vie de Menâa", avant la guerre d'indépendance algérienne: années de lumière et de louange; puis, automne 1954, la guerre, les longues années de nuit et de sang, mais aussi de foi et d'espoir, dans la crainte de voir se dissoudre l'amitié entre nos deux peuples. La violence, de part et d'autre. Les embuscades, les bombardements, les exécutions. La torture. Automne 2004 : le voyage de Menâa, parcours de mémoire et d'amitié.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2009
Nombre de lectures 305
EAN13 9782336274461
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Sous la grêle des démentis

Roby Bois
9782296095632
« Certes, une histoire qu’on veuille entendre dans l’insouciance encore de la mort, « Et telle, en sa fraîcheur, au cœur de l’homme sans mémoire, « Qu’elle nous soit faveur nouvelle et comme brise d’estuaire en vue des lampes de la terre,
« Et de ceux-là qui l’entendront, assis sous le grand arbre du chagrin, « Il en est peu qui ne se lèvent, qui ne se lèvent avec nous et n’aillent, souriant, « Dans les fougères encore de l’enfance et le déroulement des crosses de la mort. »
Amers
Ha ! très grand arbre du langage, peuplé d’oracles, de maximes et murmurant murmure d’aveugle-né dans les quinconces du savoir
Vents I
Saint-John Perse
Sommaire
Page de titre Page de Copyright Dedicace Arbres Le voyage de Menaâ Passage du col Le Cadi Une semaine à Menaâ Longue marche Racines L’évangile libérateur Pierre Claverie Pieds-noirs Journal Guy et Jeanine Monnerot Germaine Tillion Leçon d’ethnographie Notable J. Soustelle et V. Monteil La tombe dans le jardin Guerre B.M.C. Torture Articles Lettre à Jacques Soustelle Réponse de J. Soustelle Jean-Paul Cook Jésus Algérie demain La mémoire qui s’estompe Journal Pierre et Messaoud, dit le Cadi Présents Arbre Annexe I - Comme un fleuve la vie Annexe II - Article 1 des Statuts de la CIMADE Service œcuménique d’entraide Annexe III Annexe IV - Histoire de Bourch Annexe V - LETTRE ADRESSÉE AUX OFFICIERS D’ACTION PSYCHOLOGIQUE DU SECTEUR DE CONSTANTINE Annexe VI - Jean Servier, ethnologue Annexe VII - La grâce Annexe VIII - Une protestation toute récente de la Commission Sociale de l’Église Réformée de France (1955) Annexe IX - À L’ASSEMBLÉE NATIONALE Annexe X - LE PAIN des HOMMES ou l’évangile sans frontières ni drapeaux Annexe XI Annexe XII Annexe XIII - EXTRAITS DE LETTRE DE SUZANNE COOK Annexe XIV - Le champ spirituel Annexe XV Annexe XVI - Repères
à mes parents

Au moment de commencer ce “voyage de Menaâ”, un regret m’habite. une souffrance toujours vive : mes parents n’ont pas connu Menaâ, ils ne nous ont pas rendu visite, tout au long de notre premier séjour dans l’Aurès ; à vrai dire, je n’ai jamais su ni compris pourquoi. Ma mère appréhendait, disait-elle, de revoir son pays natal, et craignait de ne pas retrouver les images et les parfums de son enfance, en Kabylie comme à Alger. Mon père voulait prendre le temps d’un long voyage de découverte, hélas toujours remis. Ce regret est, quelque part, à l’origine de ces récits : comme s’il m’importait d’associer mes parents à ce parcours de mémoire, où ils ont leur place. Leurs lettres m’accompagnent, en écho, semaine après semaine, à mes “nouvelles de Menaâ” : la tendre gazette familiale de ma mère, la sensibilité de mon père.

« Tu cherches toujours le mot juste : tes lettres, sous le texte clair et limpide, sont toujours pour nous puzzle ou énigme. D’une calligraphie appuyée et secrète, chaque phrase, chaque mot, chaque trait nous disent ta présence paternelle, comme une intention cachée, une subtile pression. On y décèle, non une hésitation à proprement parler, ni un doute, mais la trace d’une rigueur
- protestante ? - d’une précision d’importance capitale, d’un humour à peine voilé : juste avant le point final de certaines phrases, en commençant par la fin, tu retraces chaque mot, lettre après lettre, le trait ainsi rehaussé, l’encre à la fois plus épaisse et plus affirmée. Le dernier mot, puis le précédent, le précédent encore, et ainsi de suite. Ni regret, ni regard en arrière, juste une démarche indispensable pour découvrir les mots vrais pour la phrase suivante. Comme l’athlète dans l’arène, tu estimes, tu évalues longuement, tu anticipes, avant de lancer la parole.
Comme inconsciente, ta main réécrit, repasse d’une plume appesantie, appuyant plus fermement ici et là, une fois, deux fois, ou plus. En sorte que, recevant tes lettres, je repère ces mots en surlignage, comme sélectionnés, ces bouts de phrases accentués, comme un signal clignotant avant l’arrêt : alerte, me dis-tu, ici va commencer, un message important, essentiel, et particulièrement réfléchi. Arrêt du cœur et clin d’œil : pause que seule sait exprimer le stylo - mon clavier ne connaît plus ce langage. Plus la phrase en gras est longue et plus le message de la phrase suivante prend force et sens. Plus il nous faut remonter en arrière dans la phrase précédente, et plus se dévoile ta patiente recherche. Le résultat paradoxal et subtil, à l’inverse du commun, est que les mots importants, écrits sans hésitation ni retour, se trouvent ainsi, comme nus et sans protection aucune, le message en clair, sans épaisseur typographique. Juste tes mots, humbles et définitifs. »
Aujourd’hui, retrouvant ces quelques lettres, ma mémoire revit l’émotion d’alors, et ce qui, sans doute, m’a forgé. Émotion semblable, pour une part, à celle qui me vient des yeux vert-et-or de Jeanne, en m’y penchant pour boire  : une quête, sereine et tranquille, le goût d’un mot choisi avec amour et celui d’un sourire, une confiance toujours recommencée.
J’ai souvent observé notre père dans cet exercice fascinant : homme de silence, il prend son temps pour façonner et ciseler les phrases importantes. Parfois il s’arrête pour la pause tabac, avec cette habitude, dictée par la Faculté, de couper en deux, voire en trois, une cigarette blonde. D’une boîte métallique rouge, il tire une ‘Balto’, la cisaille, en plante un bout sur le porte-cigarettes, dont il ne se sépare pas, l’allume de son fidèle briquet, et referme la boîte plate. Toute une liturgie de gestes précis, l’œil fermé pour éviter la première fumée, avant de reprendre l’écriture.
« Un autre rite t’aide à penser et à traquer le mot : lorsque tu téléphones, ton crayon trace et retrace mille arabesques sur le coin d’un papier.
Ou, pour la millième fois, ta main polit le bois sec, le caresse. Une vieille habitude contractée, au cours des promenades dans les bois de Malons. Petits morceaux d’écorce de pin, secs, compacts, de couleur brun-roux, ramassés l’an passé, ou cônes de cèdre, eux aussi desséchés, et dont seul importe le cœur, dur, en forme de colonne vertébrale effilée. D’un mouvement doux, continu et ferme à la fois, ta main glisse le fin papier de verre, ton pouce passe et repasse : peu à peu, le cèdre devient oiseau des îles au long bec élégant, au parfum délicat et racé, tandis que se précise ta pensée et que naît le mot juste. »
J’entends sa voix, les soirs d’été 40, ces longs versets, de Claudel ou Péguy, où il puisait pour nous l’espérance quotidienne dans les jours noirs. Il nous disait toujours l’espérance : « Elle est là, comme le mot juste. La chercher toujours, quête de joie toujours recommencée. L’accueillir. Sans tricher. En payer le prix. Il n’y a pas de fatalité. Il y a toujours une porte : la petite fille espérance, - et cela m’étonne moi-même, dit Dieu. »
Conseils paternels attentifs, pensée forte d’Emmanuel Mounier, esprit de la Résistance : il y a toujours une issue possible pour toute situation, même désespérée. « L’homme, toujours, est possible, responsable. Nous sommes embarqués. » J’entends sa voix, grave, et les mots quotidiens de la Bible.

J’écoute ses conseils de lecture et je revois mes expéditions clandestines vers sa bibliothèque, ou celle, plus mystérieuse encore, de mon grand-père théologien, à Malons. Entre jeux et chahuts, bêtises mémorables, travail scolaire, balades familiales, camps scouts… je lis. Partout, de jour comme de nuit, et jusqu’aux toilettes, dit-on. N’importe quoi, jusqu’au catalogue des Armes-et-Cycles de Saint-Étienne. Livres, livres, mots-croisés, poésie, dictionnaires, mon enfance est bercée de lecture et de jeux de lettres, où notre père excellait. Une sorte de vénération, partagée en famille, pour l’écrit, l’étymologie, les jeux de mots et ce goût de la métaphore et des sens multiples, les ‘récitations’, comme on dit à l’école, le mot et la chose, jusqu’aux vers latins qu’il avait en mémoire depuis Montauban, Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi.
De là, peut-être, me vient cette jubilation de la version, grecque ou latine, à Neve

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