Une enfance kabyle pendant la guerre d Algérie de 1955 à 1958
188 pages
Français

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Une enfance kabyle pendant la guerre d'Algérie de 1955 à 1958 , livre ebook

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188 pages
Français

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Description

Dans chaque guerre, manquent les yeux des enfants. Ici surgit un témoignage d'une grande rareté. Un Kabyle se souvient de son enfance durant la guerre d'Algérie. Un enfant vit toujours les événements de la guerre avec un décalage naturel. Des faits mineurs prennent une importance démesurée mais leur sens n'apparaîtra que plus tard. L'Algérie prend soudain un autre visage, celui de la richesse d'une pensée devenue si nécessaire à notre monde.

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Informations

Publié par
Date de parution 15 février 2005
Nombre de lectures 131
EAN13 9782336281520
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2005
9782747578943
EAN 9782747578943
Sommaire
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Une enfance kabyle pendant la guerre d'Algérie de 1955 à 1958

Mohand-Amokrane Kheffache
Remerciements
Pour la première fois, après plus d’une quarantaine d’années, je trouve la force mentale et psychologique de parler en détail de mon enfance et de la souffrance infligée par la guerre. C’est grâce aux encouragements de mon épouse, de mon ami le Professeur Didier Sicard et de sa femme Marie-Noëlle Sicard qui m’ont conseillé et aidé à aplanir l’obstacle pratique de l’écriture. Marie-Noëlle m’a fait comprendre qu’écrire c’était semer. J’ai semé des mots qui ont bourgeonné en phrases ; ces phrases ont poussé en paragraphes puis en chapitres qui sont devenus ce manuscrit. Merci à tous les trois de m’avoir aidé à me décharger de ce lourd fardeau.
à Sédik
1
J’avais six ans et dix mois lorsque ma première rentrée scolaire s’est effectuée fin septembre 1953 avec les yeux fermés par la maladie fréquente chez les enfants de l’époque, la conjonctivite. J’ai fait une trentaine de minutes de trajet à dos d’âne avant de voir la lumière du jour. C’était un cauchemar à l’échelle de l’innocence d’un enfant de sept ans. Avant de quitter la maison, je sentais que ma mère et ma deuxième maman, ma tante Nana Fathma, s’agitaient pour trouver un moyen de me les faire ouvrir. Rien à faire, le temps pressait, il ne fallait pas arriver en retard le premier jour.
-Iroumyènes, Les Français n’aiment pas qu’on arrive en retard, ne cessait de répéter maman.
-Ils ne vont pas l’accepter. C’est sûr, murmurait ma tante paternelle, âgée de plus de cinquante ans.
Devant cette agitation, mon oncle Ahmed, dont la santé était relativement fragile, restait indifférent mais marmottait quelques syllabes auxquelles personne ne prêtait attention, comme d’habitude. Constatant que la situation ne se dénouait pas, il prit la décision de partir et de laisser faire la nature.
-Donnez-lui un chiffon mouillé qu’il posera sur ses yeux ; ils s’ouvriront en cours de route. Allez, faites-le monter sur l’âne, ordonna-t-il en haussant le ton.
Nous sommes partis avec, sur mon visage, un chiffon mouillé d’eau tiède et salée que j’ai gardé sur mes yeux pendant une bonne vingtaine de minutes durant lesquelles je découvris, à ma grande stupéfaction, que sans la vue j’étais désorienté et déséquilibré.
Avant de quitter la maison, mes deux mamans m’avaient promis de m’accompagner du regard pendant tout le trajet qu’elles pouvaient apercevoir de chez nous. Dès que j’ai ouvert les yeux, ma première réaction fut de vérifier si elles étaient sur la partie du balcon visible des hauteurs de la montagne. Comme nous étions déjà assez loin, j’ai à peine deviné leurs silhouettes colorées par les robes kabyles qu’elles portaient ; cela m’a suffi pour être doublement flatté et rassuré.
Le trajet du village à l’école durait une heure environ. Une fois la lumière retrouvée, le bonheur de voir de nouveau m’a fait oublier le reste du chemin que j’ai fait à pied. J’ai laissé la place à mon oncle, qui n’avait pas cessé de grogner pour montrer sa mauvaise humeur parce qu’il avait du mal à monter les chemins escarpés entre les deux villages. Je me souviens quand même avoir remercié Dieu de m’avoir ouvert les yeux et l’ai supplié de ne jamais me rendre aveugle. J’ai pensé que cela devait être horrible de vivre toute une vie dans l’obscurité. Pendant des mois, j’ai vécu avec cette hantise.
Tous les villages kabyles ou presque sont situés au sommet des montagnes mais pas dans le nôtre. Les premiers habitants sont arrivés dans celui-ci et s’y sont installés pour la fraîcheur car le soleil, en été, n’atteint les maisons que vers huit heures et les quitte vers dix-sept heures, et, sans doute, aussi à cause de ses deux intarissables sources que beaucoup de villages voisins nous enviaient. En hiver, sa basse altitude favorise la douceur de son climat tempéré.
Lorsque je fus devant le portail de l’école, un Monsieur m’a demandé, de sa voix forte, d’entrer et de rejoindre tous les enfants dans la cour. Intimidé par son parler rapide et sa voix imposante, je me suis retourné vers mon oncle comme pour lui dire : s’il te plaît, ne me laisse pas tout seul, ne m’abandonne pas, mais il était déjà à une trentaine de mètres, rouant de coups de bâton le pauvre âne et lui grognant des ordres pour qu’il se dépêche. Il ne m’a même pas dit au revoir. Mon oncle était âgé d’une soixantaine d’années, parlait très peu et ne sortait jamais. Il passait ses journées à lire le Coran et à prier pour rattraper les vingt-trois années de son exil volontaire en France. Ma tante nous disait qu’il était hanté par l’idée d’aller en enfer ; alors il consacrait toute son énergie à prier dix ou quinze fois quotidiennement.
Aucun parent n’était admis dans l’enceinte de l’établissement. Là, nous étions donc livrés pour la première fois à la fatalité de notre destinée d’une nouvelle vie hors de notre cercle familial et de notre village ; à aucun moment nous n’avions été préparés, ne fût-ce qu’avec les mots de base, sur ce que la vie extérieure nous réservait. Nous étions bien loin de la paisible atmosphère de notre famille et de la tranquillité de notre environnement et nous nous sentions désespérément abandonnés. Sur le visage de tous les nouveaux élèves comme moi, on pouvait deviner l’appréhension, la tristesse et l’angoisse. On pouvait même voir des larmes sur le visage de certains. Cela ne pouvait que me laisser perplexe après l’enthousiasme qui s’était installé en moi quelques jours avant la rentrée. Ce n’était pas le scénario que je m’étais imaginé.
L’ébahissement du tout premier contact avec une foule de quelques centaines d’enfants, la joie exprimée par le bruit assourdissant des écoliers des années précédentes ne pouvaient que fragiliser encore davantage les plus vulnérables d’entre nous. On pouvait nous reconnaître à nos habits neufs alors que les anciens élèves étaient habillés comme à l’accoutumée. Quel contraste avec l’invisible silence et le calme de la vie quotidienne de notre village que j’avais connus jusqu’à présent, un silence qui n’était perturbé que par le chant d’un coq, la vocifération d’une maman, l’écho du coup de hache d’un villageois en train de couper du bois ou l’aboiement d’un chien ! Quant au calme paisible, il n’était rompu que par une rare dispute entre deux familles, souvent issue de nos chamailleries d’enfants. Jamais je n’avais imaginé autant de voix réunies pour former une vague de bruit qui semblait intimider le plus téméraire d’entre nous, les nouveaux arrivés.
« En rang », dit quelqu’un d’une voix bien distincte du jacassement. Ces deux mots magiques furent suivis d’un silence absolu et imposèrent un regroupement immédiat de tous les anciens élèves. Les nouveaux semblaient perdus et ne sa-varient que faire, sinon observer et attendre les consignes. Chez certains les larmes plus épaisses coulaient à flots ; chez d’autres, l’angoisse poignante devenait plus lourde et plus pesante. Elle était maintenant plus évidente sur les visages. Rares étaient ceux qui restaient indifférents.
Kaci, enfant de mon village qui était à côté de moi et n’avait jusqu’à présent pas dit un mot, éclata soudain en sanglots. J’ai de nouveau senti ma gorge se nouer d’émotion. Moi non plus je ne parlais pas ; cette nouvelle découverte m’avait éberlué et accaparait toute mon attention. J’étais surpris et ne savais que faire ou dire pour le consoler. Toutefois, en le regardant, je notai qu’il n’avait pas, comme tous les élèves, de petite sacoche de fortune en bandoulière dans laquelle les mamans glissaient quotidiennement le déjeuner qui consistait souvent en une demi-douzaine de figues sèches et une centaine de grammes de galette de pain, invariablement, pendant toute la scolarité. Je le lui ai fis remarquer.
-Toi non plus, me rétorqua-t-il d’une voix tr

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