Disposer de la nature
215 pages
Français

Disposer de la nature , livre ebook

-

215 pages
Français

Description

Aujourd'hui, la nature est gérée : travaillée, politiquement administrée, et soumise à l'évaluation scientifique. C'est pourtant dans ce contexte que nous nous apprêtons à affronter des problèmes environnementaux inédits très préoccupants. Ce livre explore cette contradiction à partir d'un travail ethnographique réalisé dans un parc naturel en Patagonie argentine, classé au patrimoine mondial de l'Unesco : la Peninsula Valdés.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2009
Nombre de lectures 173
EAN13 9782296238404
Langue Français
Poids de l'ouvrage 12 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

REMERCIEMENTS6Chapitre premier
Puisqu’il faut un débutà tout…
De la nécessité de préserver nos inquiétudes
Ainsi donc, nous commencerions à être inquiets. La température monte, les
glaciers fondent, les forêts disparaissent. On trouvera bientôt sur le marché des
embryons humains. Mais tout irait bien car la Science et le Progrès seraient nos
sauveurs. Et il ne faudrait pas écouter les annonciateurs de l’apocalypse :
l’universitaire n’admet que les idéestièdes et les médias exagèrent toujours. Tout
irabien.Tout irabien ?
Porté par une inquiétude face à ces grands dogmescontemporains que sont les
sciences et les idées de progrès ou de développement, le propos decet essai sera le
suivant: comprendre les relations entre une société donnée, la nature qui
l’environne et avec laquelle elle s’est progressivement structurée, et les formes de
rationalité qui la parcourent (travail, sciences, débat public politique). Plus
fondamentalement encore, tenter decomprendrecommentce qui nousavait si lo ngtemps
semblé être un espoir d’émancipation – laRaison, les sciences, le progrès –a pu se
convertir en une sorte de mécanique aveugle broyant l’espoir d’une vie meilleure
dans un espace naturel équitablement partagé.Et pour interroger toutcela, ne pas se
contenter de dissertations philosophiques,maisaller voir de près le fonctionnement
decette « mécanique », là où elle se joueconcrètement de nos espoirs:au plus près
de l’action, du terrain, du travail, des sciences et du débat public.
Afin de rendreaccessiblesces interrogations, j’ai choisi de proposerau lecteur
un«essai» et non une thèse ni un rapport de recherche: un texte volontairement
hybride, entre le récit d’une expérience personnelle – narration forcément trouée de
doutes, d’erreurs, de jugements et d’hésitations -, et la description sociologique
supposée plus objective. Je présenterai égalementune série de photographies afin
de permettre uneappréhension sensible du lieu dans lequel j’aimenécette enquête,
et de rendre plus facilement présents les gens rencontrés, leurs pratiques, ainsi que
1
les paysages et lesanimaux qui en seront les protagonistes .
La rencontre de baleines, de goélands, de capitaines, de biologistes et d’un
sociologue sur une tableà dissection enPatagonie…
J’entameraicette réflexion par le récit d’une expérience personnelle de relation
avec la nature vécue dans un contexte touristique. Ilme semble intéressant de
commencer par un simple souvenir de voyage parce que je ne cesserai pas, dans le
courant des questionnements qui m’ontamenéàchanger decontinent età pratiquer
durant plusieurs mois des observations ethnographiques en Argentine, d’être
1Pour des raisons de coût, seule une sélection de photographies en noir et blanc sera présentée. Une
exposition plus importante du travail photographique réalisé, en couleur ainsi qu’en noir et blanc, est
disponible surinternetàcetteadresse: http://champ-visuel.org/disposerPUISQU’ILFAUTUNDÉBUT ÀTOUT…8
confronté aux dimensions constitutives de cette expérience vécue en tant que to
uriste. Bien entendu, je n’aurais pas repéré la pertinence de cette situation pour une
enquête ethnographique si le touriste que j’étais à ce moment-là n’était pas resté
fondamentalement unchercheur en sciences humaines et sociales, même durant ses
vacances d’été.
Le contexte sera celui de mon premier voyage en Amérique latine il y a
quelques années, et plus précisément celui de la Patagonie argentine. Lemoyen de
transport sera un zodiac: nous sommes dans le Golfo Nuevo de la Península
Val2dés, sur la côte atlantique . Les falaises grisâtres de Puerto Pirámides, petit village
d’environ 400 habitants,nous surplombent. La mer estcalme et il faitbeau.Je suis
revêtu d’une cape de caoutchouc jaune vif qui m’abrite des embruns soulevés par
l’embarcation, età ce jaune vif s’ajoute le contrepoint de la rougeur éclatante d’un
gros gilet de sauvetage qui enserre moncou, rend tout effort d’élégance dérisoire, et
achève de donnerà la dizaine de personnes qui m’entourent età moi-même, l’allure
typique de touristes en mer.
Figure 1:Des lycéens se préparentà partir en meràPuertoPirámides.
Pour les mouettes et les goélands quinous survolent en ricanant, nous formons
un groupe de tachescriardes jaunes et rouges sur le fondbleu intense et métallique
de l’océan. Chacun a son appareil photo bien en main, car l’objectif est de taille :
nous voguonsà la recherche debaleines franches australes. Elles sont ici la
principaleattraction touristique. Certains d’entre nous ont fait des dizaines de milliers de
kilomètres pour venir assister à leur spectacle. La langue française n’a pas de
traduction pour ce qui s’appelle ici «avistaje », ou en anglais« whale watching », et
2Voircarte page 23.PUISQU’ILFAUTUNDÉBUT ÀTOUT… 9
qui consiste à sortir en bateau pour s’approcher des baleines. Avistaje, whale
watching: les termes indiquent bien qu’il s’agit d’allery voir. Lorsqu’une baleine
apparaît,chacun se dresse sur sonbanc et tente de glisser sonappareil entre la
rangée de têtes et decapuches qui le sépare de l’animal,afin d’en tirer le portrait
photographique: les compacts numériques crépitent, les flashes - inutiles de jour mais
préprogrammés – s’enclenchent, les genss’exclament,applaudissent, et se dressent
d’autant plus frénétiquement que les baleines sont proches de la frêle embarcation.
Leguide ponctue la visite de données tirées de la biologie: taille, poids, régime
alimentaire, cycle de reproduction, état de conservation de l’espèce, etc. L’avistaje
consiste à réduire la distance entre un groupe humain et des baleines: se déplacer
pour s’approcher en est l’acte essentiel. Une tête énorme émerge à moins
d’unmètre de nous: cris, applaudissements, la rangée jaune et rouge située du côté de
l’animal se dresse d’un bond. Son souffle rauque projette un chapelet de
gouttelettes en forme de «V» sur nous, vertige d’une proximité, presque d’une intimité,
avec un être des profondeurs océaniques. Chacun se demande sans doute ce qui se
passerait si l’énorme mammifère d’environ trente tonnes d écidait de s’amuser avec
nous d’uncoup de son imposante nageoirecaudale…
À bord de l’embarcation, trois personnes n’ont pas le même accoutrement
criard que les touristes: le capitaine, le guide et une jeune fille portant un gilet
frappé du logo d’une fondation,aucentre du zodiac.Elle nousa été présentée par le
guide comme«biologiste»: il nous explique en espagnol qu’on peut lui poser des
questions, qu’elle y répondra bien volontiers, et qu’elle utilise les services de
l’entreprise pour réaliser une recherche sur les attaques des baleines par les
goélands.Étonnement général: les goélandsattaquent lesbaleines ?Oui, nous explique
la biologiste, ce phénomèneest unique au monde, on ne l’a observé qu’ici. Les
goélands qui senourrissaientauparavant des petits morceaux de peau que
lesbaleines laissentautour d’elles quand elles viennentà la surface – phénomène naturel lié
au renouvellement rapide de leur peau – ontchangé decomportementalimentaire et
piquentaujourd’hui leurs dos jusqu’à y enfoncer la tête toute entière.Ils se
nourrissent non seulement de la peau,mais aussi de la couche sous-cutanée de graisse,
causant de profondes plaies aux mammifères marins, les obligeant à changer de
comportement de plongée ou de navigation. Les recherches commencent par la
vérification statistique de la fréquence des attaques, afin de déterminer si tous les
goélandssont concernés ou s’il s’agit seulement de certains d’entre eux. Je
m’adresseà labiologiste, et lui demande des précisions sur le phénomène et sur ses
recherches.Elle me dit qu’elle est doctorante et me montre son outillage.Uncarnet
de papier divisé en une série de cases où elle note les caractéristiques des attaques
observées depuis l’embarcation, un appareil photographique servant à documenter
ces attaques, et un GPS lui permettant de localiser précisément sa
positionlorsqu’elle note uneattaque.PUISQU’ILFAUTUNDÉBUT ÀTOUT…10
Figure 2:L’avistaje: s'approcher, se pencher pour voir,photographier.PUISQU’ILFAUTUNDÉBUT ÀTOUT… 11
Je ne suis pas le seulà m’intéresseraux explications de labiologiste: lesautres
touristes lui demandent toutes sortes de renseignements sur les baleines, sur leurs
dimensions, leurs poids, leurs modes d’alimentation, mais aussi sur la raison de
l’étrange comp

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents