Ecritures de la douleur
134 pages
Français

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Ecritures de la douleur , livre ebook

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Description

La douleur est un espace de silence dans lequel on ne peut s'aventurer qu'avec la prudence d'un artificier : chaque mot doit être désamorcé avant que ne soit prise ou donnée la parole, véritable bombe à retardement dans les oeuvres de Dostoïevski, Sarraute et Nabokov. Si l'on croit pouvoir parler d'écritures de la douleur, c'est au sens où celle-ci est à l'origine de ce qui s'écrit _x001A_ à partir de la douleur, point de contact possible entre des « écorchés de la parole », point de départ d'un long cheminement qui assimile le travail de l'écriture au geste du chirurgien opérant de grands blessés. La période au cours de laquelle s'inventent ces écritures est une période de grands bouleversements qui a favorisé l'invention d'une médecine de la douleur.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 08 février 2021
Nombre de lectures 2
EAN13 9782748182996
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Isabelle Poulin
Écritures de la douleur Dostoïevski , Sarraute , Nabokov
Essai sur l’usage de la fiction
Préface de Karen Haddad-Wotling
Publié avec le soutien de l’équipe Modernités , Université de Bordeaux 3
Éditions Le Manuscrit Paris


« L’Esprit des lettres »
Collection coordonnée par Alain Schaffner et Philippe Zard
« L’Esprit des lettres » présente, dans un esprit d’ouverture et de rigueur, toutes les tendances de la critique contemporaine en littérature française ou comparée. Chaque proposition de publication fait l’objet d’une évaluation scientifique par les directeurs de collection ainsi que par des spécialistes reconnus du domaine concerné.


Dans la même collection :
Agnès S piquel et Alain S chaffner (éd.), Albert Camus, l’exigence morale. Hommage à Jacqueline Lévi-Valensi , 2006.
Jeanyves G uérin (éd.), La Nouvelle Revue française de Jean Paulhan , 2006.


© Éditions Le Manuscrit, 2006
ISBN : 978-2-7481-8298-7 (livre imprimé)
ISBN : 978-2-7481-8299-5 (livre numérique)


Les numéros de pages qui suivront les titres des œuvres de Nathalie Sarraute renverront, sauf indication contraire, à l’édition de la Pléiade publiée sous la direction de Jean-Yves Tadié : Œuvres complètes , 1996.
Plusieurs traductions françaises de l’œuvre fictive de Dostoïevski pourront être confrontées, mais celle d’André Markowicz servira de référence. Elle est parue aux éditions Actes Sud, dans la collection de poche Babel (1991-2001). Donnés sans autre précision, les numéros de page renverront à cette collection.
L’œuvre bilingue de Vladimir Nabokov ayant mobilisé un assez grand nombre de traducteurs (du russe ou de l’anglais), nous indiquerons à chaque première occurrence les références complètes de l’œuvre citée. On peut préciser néanmoins que les références aux romans russes (à l’exception du Don ) se feront dans l’édition de la Pléiade publiée sous la direction de Maurice Couturier : Œuvres romanesques complètes , vol. I, 1999.


Préface La douleur est une énigme
« ç a fait mal d’écrire », cette parole d’un personnage des Pauvres gens de Dostoïevski pourrait sans doute servir d’épigraphe au livre d’Isabelle Poulin ; parole écrite, dans ce roman épistolaire, par un de ces exclus, ignorés jusque-là, ou presque, de la littérature russe ; pourtant, comme le montre Isabelle Poulin, les deux correspondants, Varvara et Makar découvrent aussi avec horreur que « ça fait mal de lire ». Makar s’indigne ainsi du succès du Manteau de Gogol , de se découvrir personnage là où il se croyait fait de chair et de sang, refuse d’entrer justement, dans la littérature, de se trouver identifié au malheureux Akaki Akakievitch, à un exclu comme lui, qui lui ressemble, et qui l’enferme dans une image faite de mots : « On se cache, parfois, on se cache, on se camoufle, pris par surprise, on a peur de mettre le nez dehors - on ne sait plus, parce qu’on a peur qu’ils viennent vous lancer leurs critiques, parce que, de tout ce qu’il y a au monde, mais de tout, mais de tout, ils vous font un pamphlet ». Cette révolte d’un personnage de fiction pourrait se lire uniquement de manière comique, ou réflexive, s’il ne renvoyait à l’un des enjeux essentiels du livre d’Isabelle Poulin. Dans Écritures de la douleur , il faut très certainement entendre douleur dans les mots, douleur venue des mots, d’un seul petit mot ; que le mot malheur soit prononcé, par exemple et la Natacha d’ Enfance , comme tant d’autres personnages de Sarraute, comme d’autres « écorchés de la parole » chez Dostoïevski et Nabokov, s’y trouve emprisonnée, étouffe, ne peut plus s’enfuir.
C’est pourtant une autre parole qu’Isabelle Poulin a choisi de placer presque au seuil de ce livre singulier, comme pour avertir le lecteur qu’il lui faut rester sur une ligne où plusieurs sens se joignent, loin des interprétations trop faciles. C’est celle de Louis-René des Forêts, qui vient, à plusieurs reprises du reste, traverser cet essai consacré principalement à Dostoïevski, Sarraute et Nabokov ; la parole, empruntée à Ostinato , qui lui sert d’épigraphe, indique bien qu’il s’agira ici, des paradoxes de la douleur : « Le malheur dont il ne peut rien être dit qu’en retrouvant la calme possession du langage, mais c’est alors oublier ce qu’il fut : une pure violence qui ne tenait de sens que d’elle-même et ne parlait d’autre langue que la sienne, vouant d’avance à l’échec toute tentative de restitution, exigeant à jamais le silence - silence que lève pourtant, venue de très loin, une voix défaillante, étranglée par la peur de s’entendre, mais aussi de se faire mal entendre en n’alignant que des mots… »
Autant dire qu’il est question, tout autant, de la nécessité absolue des mots, non seulement pour dire la douleur, mais pour dire aussi tout le reste, ce qui, dans la perspective d’Isabelle Poulin, et des auteurs qu’elle réunit ici, est à peu près synonyme de vivre : puisque vivre sans la littérature est précisément l’un des sens à donner à la douleur dont il est question. Encore faut-il savoir de quelle douleur on parle : l’auteur le remarque elle-même, l’objet de son livre est sans doute l’un des plus communs, des plus universels qui soient, puisqu’il s’efforce de cerner la douleur « littéralement et dans tous les sens », la douleur des corps et des esprits, celles, en somme, que subissent tant de « pauvres gens » incapables de la dire, de l’écrire, de la lire, et tant d’écrivains, de lecteurs, pour lesquels la littérature ne semble guère pouvoir davantage. Des « exclus » à qui il s’agirait de rendre compte de la « raison d’être de la littérature », à ceux qui la pratiquent, la transmettent, y cherchent un secours, Écritures de la douleur croise ainsi, étrangement, les situations. On aperçoit alors l’originalité du propos, qui tient à sa multiplicité, à sa polyphonie, pourrait-on dire : il s’agit à la fois de la représentation de la douleur chez trois des plus grands romanciers modernes, de la façon dont la littérature, ou les mots peuvent soulager la douleur, de la façon dont ils peuvent infliger de la douleur, de la façon dont ils peuvent rester impuissants face à elle.
Écritures de la douleur tient tout cela ensemble, comme on « tient », les dents serrées, face à la douleur, en une écriture vive, elliptique parfois à force de concision, évitant, autant que faire se peut, le mot inutile, tout en laissant passer d’autres voix. Il n’est pas courant de trouver en effet, à côté des citations des écrivains évoqués plus haut, et d’autres encore (Duras , Canetti …), la parole du corps médical, des « soignants », de tous ceux qui côtoient la douleur et sont obligés de « traduire » la description de ses symptômes, sans être plus capables pour autant de la cerner. On trouvera ainsi, commenté et donné en annexe, l’un de ces questionnaires sur la douleur qui sont distribués aux malades, à ces malades parfois incapables de mettre des mots sur ce qu’ils ressentent, mais non de choisir entre ceux qui leur sont proposés. À lire le questionnaire américain Mac Gill, qui ne comprend pas moins de 82 qualificatifs, ou celui de l’hôpital Saint-Antoine, qui s’en inspire, on est saisi par une sensation de vertige. Il y a donc tant de mots pour ne pas la dire, cette douleur… Selon la formule de Nietzche, « nous mettons un mot là où débute notre ignorance ». Et pourtant, tous les praticiens le répètent, malgré les réticences du corps médical parfois, l’écoute et la parole sont devenues des composantes de l’accueil de ceux qui souffrent dans leur corps, même si demeure la question du vocabulaire , justement. Aussi bien Isabelle Poulin, qui rappelle la difficile mise au point d’un lexique international commun (à travers la « définition internationale » de la douleur par exemple, également donnée en annexe), montre le lien entre la douleur et « le rapport de chacun à une langue maternelle » – puisque la douleur peut se dire, selon les langues, en deux ou trois mots (le français disposant du couple douleur/souffrance qu’elle examine longuement).
Imperfection, défaut des langues, sans doute : c’est ainsi en somme que se trouve reposée la question de la littérature, et c’est e

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