L Oeuvre impossible : Claudel, Genet, Fellini
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Description

Il existe chez tout artiste une « oeuvre impossible », reprise, abandonnée, toujours inaccessible mais inlassablement méditée. Trois brouillons sont ici présentés que trois des artistes les plus grands et les plus prolifiques du XXe siècle ont laissés inachevés. Claudel a longtemps voulu écrire une oeuvre où le christianisme dialoguerait avec le judaïsme. Ce projet est continué dans un brouillon fascinant : On répète Tête d'or (1949) où des prisonniers préparent la pièce Tête d'or dans un camp, pendant la Seconde Guerre mondiale. Jésus Christ (« le Fils de la Colombe ») y affronte le « garçon de café juif » (la Synagogue). Genet a longtemps travaillé à La Mort. En 1954, il en publie des Fragments. Quelques brouillons inédits (Les Folles, Peur de mourir) se rattachent au grand projet, finalement détruit. Le tournage raté d'Il Viaggio di G. Mastorna, voyage au pays des morts, est devenu une légende. Fellini écrit un scénario dont il abandonne le tournage. À ce projet il reviendra souvent, sans pouvoir jamais le réaliser. Or il se pourrait que ces textes, bien qu'inachevés, autorisent l'approche la plus aiguë de l'oeuvre de Claudel, Genet, Fellini. Bien qu'inachevés ? Y aurait-il un lien fondamental entre l'oeuvre impossible et le reste de l'oeuvre que ces projets fantômes éclairent de façon nouvelle ? Toute oeuvre ne serait-elle pas, essentiellement, impossible ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 février 2021
Nombre de lectures 2
EAN13 9782304042351
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Yehuda Jean-Bernard Moraly
L’Œuvre impossible : Claudel, Genet, Fellini
L’Esprit des Lettres
Éditions Le Manuscrit Paris


© Éditions Le Manuscrit, 2013
© Couverture : Milo Manara, Le voyage de G. Mastorna dit Fernet, Casterman, Tournai, 1996.
EAN : 9782304042344 (livre imprimé)
EAN : 9782304042351 (livre numérique)


« L’Esprit des Lettres »
Collection dirigée par Alain Schaffner et Philippe Zard
« L’Esprit des Lettres » présente, dans un esprit d’ouverture et de rigueur, toutes les tendances de la critique contemporaine en littérature française ou comparée. Chaque proposition de publication fait l’objet d’une évaluation scientifique par les directeurs de collection ainsi que par des spécialistes reconnus.


Dans la même collection
Agnès Spiquel et Alain Schaffner (dir.), Albert Camus, l’exigence morale. Hommage à Jacqueline Lévi-Valensi , 2006
Jean-Yves Guérin (dir.), La Nouvelle Revue française de Jean Paulhan , 2006
Isabelle Poulin, Écritures de la douleur : Dostoïevski, Sarraute, Nabokov , 2007
Philippe Marty, Le poème et le phénomène , 2007
Philippe Zard (dir.), Sillage de Kafka , 2007
Jean-Yves Guérin ( dir .), Audiberti. Chroniques, roman, théâtre , 2007
Emmanuelle André, Martine Boyer-Weinmann, Hélène Kuntz (dir.), Tout contre le réel. Miroirs du fait divers , 2008
Yves Landerouin, Aude Locatelli ( dir .), Musique et littérature , 2008
Hedi Kaddour (dir.), Littérature et saveur. Explications de textes et commentaires offerts à Jean Goldzink , 2008
Alain Romestaing (dir.), Jean Giono. Corps et cosmétiques , 2009
Jean Goldzink, La Plume et l’Idée, ou l’intelligence des Lumières , 2009
Vincent Ferré, Daniel Mortier (éd.), Littérature, Histoire et politique au 20 e siècle : hommage à Jean-Pierre Morel , 2010
Jean Goldzink, Aux amis, faux frères et malades imaginaires des Lumières , 2011
Patrick Sultan, La scène littéraire postcoloniale , 2011
Yves Landerouin, Le roman de la quête esthétique , 2011
Alison Boulanger, Chiara Nannicini et Alice Pintiaux (dir.), Ruptures du récit. Essais sur la discontinuité narrative , 2012
Daniela Fabiani et Danilo Vicca (dir.), Julien Green et l’Europe , 2012
Anne Tomiche, L’intradisible dont je suis fait , 2013
Pierre-Jean Dufief et Marie Perrin-Daubard (textes rassemblés et présentés par), Violence politique et Littérature au xix e siècle , 2013
Martine Leibovici, Autobiographies des transfuges. Karl Philipp Moritz, Richard Wright, Assia Djebar , 2013


Montrer mon œuvre, s’écria le vieillard tout ému. Non, non, je dois la perfectionner encore. Hier, vers le soir, dit-il, j’ai cru avoir fini. Ses yeux me semblaient humides, sa chair était agitée. Les tresses de ses cheveux remuaient. Elle respirait ! Quoique j’aie trouvé le moyen de réaliser sur une toile plate le relief et la rondeur de la nature, ce matin, au jour, j’ai reconnu mon erreur. […] Tenez, le trop de science, de même que l’ignorance, arrive à une négation. Je doute de mon œuvre ! […] Voilà dix ans, jeune homme, que je travaille, mais que sont dix petites années quand il s’agit de lutter avec la nature ?
Honoré de Balzac, Le Chef d’œuvre inconnu, Éditions Furne, Dubochet et Hetzel, Paris, 1845, pp. 293-294.
J’irai plus loin, je dirai : Le livre, persuadé qu’au fond, il n’y en a qu’un, tenté à son insu par quiconque a écrit, même les génies. L’explication orphique de la Terre, qui est le seul devoir du poète et le jeu littéraire par excellence.
Lettre de Mallarmé à Verlaine du 16 novembre 1885, dans Stéphane Mallarmé, Correspondance (1871-1885) Gallimard, Paris, 1965, pp. 301-302.


Introduction
Dans sa nouvelle, Le Chef d’œuvre inconnu (1832), Balzac montre le jeune Nicolas Poussin, encore débutant, venant rendre visite à un peintre célèbre, François Porbus. Dans l’atelier de celui-ci, il rencontre un vieillard énigmatique, Maître Frenhofer, profond connaisseur de peinture, qui se lance dans une savante critique d’un tableau de Porbus. Maître Frenhofer n’est pas seulement un immense théoricien, c’est aussi un remarquable peintre qui parvient, en quelques coups de pinceau, à rendre la vie au tableau critiqué.
Arrivé chez Maître Frenhofer, Nicolas Poussin découvre des peintures merveilleuses, qui ne sont rien, dit l’énigmatique artiste , au regard de sa grande œuvre, La Belle Noiseuse , un tableau qu’il refuse de montrer, car il le considère encore comme inachevé :
Montrer mon œuvre, s’écria le vieillard tout ému. Non, non, je dois la perfectionner encore. Hier, vers le soir, dit-il, j’ai cru avoir fini. Ses yeux me semblaient humides, sa chair était agitée. Les tresses de ses cheveux remuaient. Elle respirait ! Quoique j’aie trouvé le moyen de réaliser sur une toile plate le relief et la rondeur de la nature, ce matin, au jour, j’ai reconnu mon erreur. […] Tenez, le trop de science, de même que l’ignorance, arrive à une négation. Je doute de mon œuvre ! […] Voilà dix ans, jeune homme, que je travaille, mais que sont dix petites années quand il s’agit de lutter avec la nature ? 1
Trois mois plus tard, La Belle Noiseuse n’est toujours pas achevée. Maître Frenhofer traverse une période de profond découragement.
Le bonhomme s’était purement et simplement fatigué à parachever son mystérieux tableau. 2
Quand Porbus et Poussin obtiennent enfin l’autorisation de pénétrer dans l’atelier, ils aperçoivent des chefs-d’œuvre. Ce ne sont, leur dit le vieillard que des ébauches de La Belle Noiseuse , des ratages.
Or, quand enfin Maître Frenhofer leur montre ce tableau sur lequel il travaille jour et nuit depuis plus de dix ans, ils n’aperçoivent qu’un ensemble de lignes éparses :
Apercevez-vous quelque chose ? demande Poussin à Porbus.
Non. Et vous ?
Rien [...] Je ne vois là que des couleurs confusément amassées et contenues par une multitude de lignes bizarres qui forment une muraille de peinture. 3
Le dénouement du récit est tragique. Maître Frenhofer ne pouvant terminer son tableau qui, à force de perfectionnements n’est plus qu’un amas confus de couleurs, brûle toute son œuvre et se suicide.
D’autres fictions romanesques, théâtrales ou cinématographiques montrent un artiste en proie à une œuvre qu’il n’arrive pas à terminer et dont l’approche, toujours différée, ratée, lui fait frôler la mort ou la folie. L’exemple le plus célèbre est bien sûr À la recherche du temps perdu . Tout le cycle nous montre un Narrateur qui rêve sans pouvoir l’écrire une œuvre grandiose qu’il ne parvient pas à créer. Ce n’est qu’à la fin du cycle, dans les toutes dernières lignes du Temps retrouvé , pendant la fête donnée par Gilberte de Saint-Loup, que le Narrateur trouve le moyen de rédiger cette œuvre qui est, précisément, celle que nous venons de lire.
Federico Fellini – ou plus particulièrement son scénariste, Ennio Flaiano, qui avait travaillé à une adaptation cinématographique d’ À la recherche du temps perdu – reprend exactement la même formule pour le célèbre Huit et demi (1963). Pendant tout le film, le metteur en scène, Guido Anselmi, s’acharne en vain à écrire un scénario dont les décors sont déjà construits, les acteurs déjà engagés. Exactement comme dans À la recherche du temps perdu , il faudra attendre la fin pour que Guido trouve la manière de réaliser son œuvre qui est précisément celle que nous avons vue.
Dans My Dinner with André (1981), de Louis Malle, c’est au Sahara que le metteur en scène, André Gregory, se rend pour réaliser une version théâtrale du Petit Prince . En vain, car il n’y parviendra pas. Tout le film raconte cette période de crise, à la fois artistique et humaine, qu’il traverse et qui lui fait frôler la démence.
Dans la réalité de la création artistique, les batailles contre une œuvre rêvée et finalement irréalisée sont fréquentes, sinon (à un moment donné du parcours artistique) inévitables. J’aimerais montrer ici qu’il s’agit d’une sorte de loi.
Il y a souvent, chez un artiste un projet, médité, repris, abandonné, encore une fois abordé, une « œuvre impossible », et finalement toujours inaccessible. Dans Mallarmé et le mystère du « Livre » , Éric Benoit fait l’historique des versions du « livre total » dont l’écriture a occupé Mallarmé de 1866 à 1892, avant qu’il n’en détruise tous les brouillons. Au début, en 1866, Mallarmé montre un grand enthousiasme :
J’ai jeté les fondements d’une œuvre magnifique. Tout homme a un Secret en lui, beaucoup meurent sans l’avoir trouvé, et ne le trouveront pas parce que morts, il n’existera plus, ni eux. Je suis mort, et ressuscité avec la clé de pierreries de ma dernière cassette spirituelle. À moi maintenant de l’ouvrir en l’absence de toute impression empruntée. Il me faut vingt ans pour lesquels je vais me cloîtrer en moi, renonçant à toute autre publicité que la lecture de mes amis. Je travaille à tout à la fois, ou plutôt je veux dire que tout est si bien ordonné en moi, qu’à mesure, maintenant, qu’une sensation m’arrive, elle se transfigure et va d’elle-même se caser dans tel livre et tel poème. Quand un poème sera mur, il se détachera. Tu vois que j’imite la loi naturelle 4 .
La première ébauche de ces « trois poèmes en vers et quatre poèmes en prose, sur la conception spirituelle du néant » 5 , est terminée l’année suivante, en 1867. Mallarmé en semble extrêmement satisfait :
Hier j’ai fini la première ébauche de l’œuvre, parfaitement délimitée et impérissable si je ne péris pas. Je l’ai contemplée, sans extase comme sans épouvante et, fermant les yeux, j’ai trouvé que cela était. La Vénus de Milo [...], la Joconde de Vinci me semblent, et sont, les deux grandes scintillations de la Beauté sur cette terre – et cet Œuvre, tel qu’il est rêvé, la troisième. […] L’œuvre finie, peu m’importe de mourir ; au contraire, j’aurais besoin de tant de repos 6 .
Mais Mallarmé n

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