Art et diplomatie
204 pages
Français

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Description

L'auteur décrit l'expérience qui fut la sienne dans sa double vie de diplomate et de peintre. Le regard rétrospectif qu'il porte sur le déroulement de sa carrière aux Affaires Etrangères nous fait découvrir la réalité d'un métier mal connu. Les amateurs d'art partageront peut-être les émotions de l'auteur lorsqu'il pénètre dans les arcanes fascinants de la création picturale.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2012
Nombre de lectures 75
EAN13 9782296480759
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ART ETDIPLOMATIE
Jean-Dominique Paolini
ART ETDIPLOMATIELe regard d’un peintre L’HARMATTAN
Ouvrages du même auteur Choses de Chypre, Nicosie, 1989. D’Aphrodite à Jésus, L’Harmattan, 2005. © L'HARMATTAN, 2011 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-56264-6 EAN : 9782296562646
« Si les portes de la perception étaient libérées, chaque chose apparaîtrait à l’homme comme elle est, infinie. » William Blake. « Deus is, cujus templum est omne id quod conspicis. » (Ce dieu dont le temple est tout ce que tu vois). Cicéron,De RepublicaVI-15, cité par Jean-Luc Marion inDieu sans l’être. « Je me demande ce que je dois faire : vous dire la vérité ou me taire par crainte de provoquer votre haine ? Je pense que le mieux est de dire la vérité bien que vous en vouliez plus à ceux qui critiquent le mal qu’à ceux qui l’ont causé. » Isocrate, cité par Polys Modinos en exergue deChypre, le dur chemin de l’histoire.
AVANT-PROPOS
Une amie m’a dit : «... Vous savez, nous faisons partie désormais de la catégorie sociale des très vieux !»A vrai dire, je ne m’en étais pas encore aperçu. Pourtant, démarche typique de mon âge, me voici devant mon écritoire - ou plutôt mon ordinateur - à tenter de rassembler mes souvenirs, moi qui n’ai jamais tenu aucun journal. Attention, il me faudra éviter de paraître à la fois prétentieux en voulant être important, et ennuyeux à force de détails comme le sont certains dans leurs mémoires ! Pour ma part, je chercherai d’abord à comprendre ce qui m’est arrivé dans le kaléidoscope qu’a été ma vie, celle d’un homme devenu diplomate et qui a voulu aussi être peintre. L’expérience a été passionnante de bout en bout et, j’espère qu’en me lisant, « ô mon lecteur, mon frère»,pourras un peu toi-même y tu participer. Il s’agit donc pour moi de traiter à la fois de mon expérience du métier diplomatique et de mon aventure personnelle dans le domaine de la création artistique. Les évènements récents de Tunisie nous ont suffisamment montré combien le rôle du ministère des affaires étrangères pouvait être méconnu dans notre pays, y compris chez certains responsables politiques. En mettant à nu les ressorts et les conditions de notre action, ce livre peut donc être utile. Il a été rédigé avec toute l’objectivité et la franchise dont peut être capable celui qu’on appelle chez nousun agent.Les développements relatifs à l’activité artistique sont dédiés quant à eux, à tous ceux qui s’intéressent à la peinture.
Le regard du peintre... Il n’est que de se souvenir de celui, perçant, de Picasso ou, plus serein, de Matisse observant une colombe. Le peintre est simplement doué d’une grande sensibilité visuelle ; ce qu’il voit, il cherche à le reproduire, consciemment ou non, par divers moyens. Chacun de nos deux conquérants de l’univers de la peinture, oubliant la vision si variée des maîtres qui l’ont précédé, invente et révèle à son tour un regard unique, invincible, sur le réel.
A la Brooklyn Academy of Music, j’ai eu la chance autrefois d’assister à l’une des deux premières et seules représentations aux Etats-Unis deDeaf man’s glance.Wilson était un peintre qui Bob voulait transformer la peinture en un théâtre parcouru d’événements visuels fulgurants.Le regard du Sourd est un tableau surréaliste, un
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tableau vivant et muet. La surdité, dit-on, développe par compensation le sens de la vue. Deux ou trois ans plus tard, à Rio de Janeiro, je reçois à la résidence Bob Wilson et son jeune protégé schizophrène. On aperçoit le Pain de Sucre à travers la baie vitrée. Le metteur en scène l’interroge à ce sujet, lui fait décrire ce qu’il voit, prend des notes. Plus tard, il lui demandera, en guise de thérapie, d’interpréter sur scène ses hallucinations. Si j’observe attentivement aujourd’hui les fleurs, toutes les fleurs, les couleurs assemblées au cœur de leurs corolles, je suis toujours frappé de la justesse infaillible de leur composition. Une harmonie préétablie est-elle dans la nature ou bien seulement dans le regard de l’homme ? Peut-être, aurait dit Pythagore, partageons-nous ce don divin avec la nature. En philosophie, j’ai toujours résisté devant la théorie de la perception chez David Hume. Je ne peux me résoudre à douter de l’existence du réel, ce serait en même temps douter de l’éternité. La beauté est la parole de Dieu. Un jour, devant notre maison de la Montagne Noire, j’ai trouvé la pelouse sous le soleil brillant du matin constellée de pierreries multicolores. Si je bougeais la tête, modifiant un tant soit peu mon angle de vue, elles échangeaient instantanément entre elles leurs couleurs. La diffraction de la lumière à travers les gouttes de rosée restituait pour moi la prairie féerique de Charles d’Orléans. Un autre jour, observant de merveilleux nuages qui venaient du Nord-Ouest, je les vis dans leur course s’évanouir comme par enchantement sous l’effet d’un vent marin du Sud-Est qui s’était levé soudainement. Le ciel était devant moi le théâtre de l’un des phénomènes magiques dont il est coutumier. Le monde est plein de ces visions sublimes qui passent parfois inaperçues. Pourtant, dans mon enfance elles pouvaient me fasciner au point, nous le verrons, de rester jusqu’ à aujourd’hui gravées dans ma mémoire. L’émerveillement muet devant la nature, véritable sentiment mystique de la lumière, est sans doute à l’origine de ma vocation à la peinture.
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Quant à mon activité officielle, mon autre parcours, les sociologues vous diront sans doute qu’on peut les expliquer par les gênes, par mes racines familiales et le milieu social de ma formation. J’ai sous les yeux une photo jaunie de ma famille corse qui date d’avant la première guerre mondiale. Mon grand-père Jean-Dominique Paolini, instituteur en faux-col de la Troisième République, est entouré de sa femme Maria-Laetitia Ciosi - la grand-mère que je n’ai pas connue - et de ses enfants : mon père Christophe, mes oncles Pierre et André portant tous les trois l’uniforme du lycée de Bastia, mes tantes, Toussainte, Marie, Anna et Emma qui, la pauvre, mourra prématurément. Toute cette génération émigrera vers le continent pour entrer dans la fonction publique : l’enseignement, l’armée, l’administration coloniale, les contributions directes, et même l’octroi de Paris. Mon père, engagé e volontaire à dix-sept ans en 1914, combattra dans le 173 d’infanterie, régiment corse toujours en première ligne comme les troupes coloniales, à Verdun, au Mort-Homme, aux Eparges... Blessé deux fois, gazé, la Croix de Guerre avec deux citations, la Légion d’Honneur. Après Saint-Maixent, il sera envoyé comme officier instructeur à l’Ecole des cadets de Varsovie, au fort de Modlin où était aussi affecté le Capitaine de Gaulle. Là, il rencontrera une jeune fille appartenant à une famille de Mazovie, Leokadia Kuska, ma future mère. Il l’épousera sans avoir demandé l’autorisation de la hiérarchie militaire. Il sera traduit pour cela en Conseil de Guerre et finalement exclu de l’armée. De retour à Bastia avec son épouse, il postule un emploi auprès de l’Education Nationale. On lui propose celui de Surveillant Général au Collège d’Avesnes-sur-Helpe qu’il accepte, décidant ainsi de sa carrière. Il termine alors ses études, une licence de lettres, le diplôme de l’Ecole des Langues Orientales (mention polonais). Je dis tout cela car je veux rappeler le souvenir de mon père, cet homme sévère qui pourtant était aimé de ses élèves. Il resta toute sa vie physiquement et moralement marqué par la Grande Guerre. Je me souviens encore des terribles épisodes du combat dans les tranchées qu’il ne pouvait s’empêcher d’évoquer devant nous. Je lui rends hommage aujourd’hui car il a su protéger sa famille des désastres et des tourments de l’époque. Très tôt il comprit que le retour de la guerre était inévitable et dès 1937, demanda et obtint son changement pour le Midi. Et puis plus tard en 1943, quand à Nîmes la police de Vichy m’inscrivit sur la liste des otages, il réussit très vite à se faire muter à Louis-le-Grand, à Paris.
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J’avais toujours vécu jusque là un peu à part dans la société dont nous étions assez isolés du fait que nous habitions toujours au collège ou au lycée où mon père exerçait ses fonctions. La famille était close sur elle-même et nous vivions un peu en immigrés. La plupart des amis de mon père étaient descompatriotes et j’entendais autour de moi retentir leur parler corse aux tonalités méditerranéennes. Mais je retrouvais aussi, à d’autres moments, la douceur et les sonorités slaves de la langue maternelle. Le goût des langues m’est sans doute venu de là. Cela paraît difficile à dire aujourd’hui mais j’avais bien l’impression parfois d’être un fils d’immigré. Comme pour le « Charbovary » de Flaubert, un jour mon nom souleva des rires dans la classe quand je me levai pour me présenter, à la rentrée du premier octobre. J’ai été habitué ainsi dès l’enfance à vivre un peu à part tout en participant aussi de quelque manière à la société. De là m’est venue une timidité qui a longtemps duré, m’a nui sans aucun doute et fait perdre aussi des amitiés. Il en est resté une sorte de discrétion naturelle, une attitude de réserve qui m’a été utile pour vivre et travailler à l’étranger. Revenons à 1943 qui fut partout et pour tous l’année la plus terrible. Je peux dire que mon sentiment de solitude était alors à peu près total. De ce point de vue aussi, notre arrivée à Paris m’a peut-être sauvé. J’envisageai alors d’entrer à mon tour dans l’enseignement et terminai à la Sorbonne en 1944 une licence de lettres commencée à Montpellier. Mais en étudiant les institutions britanniques pour le certificat d’études pratiques d’anglais, je me pris de passion pour les sciences politiques, décidai de suivre le cursus de l’Ecole de la rue Saint-Guillaume et les enseignements de la Faculté de droit. C’est tout naturellement qu’après ces années laborieuses, je me suis présenté au concours d’entrée à l’Ecole Nationale d’Administration récemment créée. Ma famille et toute mon éducation m’y conduisaient. Il faut d’ailleurs noter que ma sœur Emma Wladislawa et mon frère Joseph ont fait carrière l’une en qualité d’intendante universitaire et l’autre comme directeur à la Caisse Centrale de la France d’Outremer. Tous les membres de ma famille se sont donc voués d’une manière ou d’une autre au service de l’Etat. La notion de service public, avec ses règles fondamentales d’objectivité, de désintéressement personnel et de neutralité politique, aura dominé toute notre vie professionnelle.
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