Démocratie.com : Pouvoir, culture et résistance à l’ère des géants de la Silicon Valley
177 pages
Français

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Démocratie.com : Pouvoir, culture et résistance à l’ère des géants de la Silicon Valley , livre ebook

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Description

Sans tomber dans un scepticisme stérile, Démocratie.com critique les discours techno-utopiques des penseurs des nouveaux médias et des militants pour le libre accès. Astra Taylor rappelle que la démocratie n’est pas une émanation directe des technologies et que pour faire d’internet une véritable plateforme populaire, il faut créer les conditions d’une culture démocratique durable.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 octobre 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782895966753
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© Lux Éditeur, 2014
www.luxediteur.com
© Astra Taylor, 2014
Titre original: The People’s Platform: Taking Back Power and Culture in the Digital Age, Metropolitan Books, New York
Image de la couverture: derrrek/Getty Image
Dépôt légal: 4 e  trimestre 2014
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN Papier: 978-2-89596-190-1
ISBN ePub: 978-2-89596-675-3
ISBN PDF: 978-2-89596-875-7
Ouvrage publié avec le concours du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC . Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme national de traduction pour l’édition et du Fonds du livre du Canada ( FLC ) pour nos activités d’édition.

Avant-propos
Q UAND J’AVAIS 12 ANS, pendant que la plupart de mes camarades jouaient dehors, je m’installais au salon pour travailler à la création de mon propre magazine. Obsédée par les droits des animaux et l’environnement, j’imaginais mon journal comme un antidote maison à la culture d’entreprise, un lieu où d’autres enfants pourraient découvrir les vérités que leur cachaient les dessins animés du samedi matin, les films à gros budget et les publicités pour McDonnald’s. Pressant mes amis d’y participer (je sais qu’il est difficile de croire que j’en avais!), je le mettais en forme avec un logiciel de PAO et profitais, ravie, du fait que le père d’un de mes camarades était gérant d’un centre de reprographie, ce qui nous permettait de faire imprimer nos exemplaires à bas prix. Tous les deux mois, mes parents m’emmenaient faire la tournée de la poignée de librairies et de coopératives d’alimentation que comptait Athens, en Géorgie. Je tentais, non sans insistance, de convaincre leurs propriétaires de prendre des exemplaires du dernier numéro, persuadée que le monde changerait si mon cri du cœur était entendu par suffisamment de jeunes gens.
Voilà une bien étrange façon de vivre sa préadolescence! Mais toute aussi incroyable me semble aujourd’hui l’ampleur de ce que j’ai eu à faire pour atteindre mon lectorat une fois les articles rédigés et édités. C’était pourtant ainsi que les choses se passaient au début des années 1990: le moindre exemplaire comptait, que je l’aie donné à un ami, distribué au coin de la rue, mis en dépôt dans un commerce local ou expédié par la poste à l’un des précieux abonnés que j’avais réussi à recruter – quelques dizaines de personnes tout au plus. Néanmoins, ayant accès à un ordinateur, à une imprimante et à de gros photocopieurs professionnels, j’avais la tâche plutôt facile en comparaison de ceux qui avaient emprunté la même voie quelques décennies plus tôt: un organisateur politique d’expérience m’a raconté comment lui et ses camarades avaient dû suer sang et eau, au début des années 1960, pour amasser les fonds nécessaires à l’achat d’un duplicateur à alcool.
À l’époque où je travaillais sur mon magazine, je n’avais qu’une vague idée de l’existence d’internet. De nos jours, tout adolescent qui a quelque chose à dire peut, en effleurant une touche de son smartphone, rejoindre un public beaucoup plus vaste que l’ensemble du lectorat que j’ai pu attirer en deux ans d’autoédition. Les nouvelles technologies ont ouvert de nouvelles avenues, autrefois inimaginables, à l’expression de soi et à la transmission de l’information. Il devient chaque année plus facile de faire circuler ses idées.
À bien des égards, mon travail actuel de cinéaste indépendante répond à la même motivation que mon passe-temps de jeunesse, soit une insatisfaction à l’endroit des grands médias. Ces derniers ignorent une foule de sujets qui me préoccupent et taisent autant de faits qui mériteraient d’être portés au grand jour. C’est pour combler ce vide que j’ai attrapé une caméra, j’ai produit ou réalisé divers documentaires traitant de la justice sociale et, en deux occasions, de la philosophie. En parallèle, j’ai écrit des articles et des essais pour la presse indépendante, où j’abordais des thèmes comme les droits des personnes handicapées et l’école alternative. À l’automne 2011, quand le mouvement Occupy Wall Street a pris son envol, je suis devenue l’une des coéditrices de son journal, intitulé Occupy! Gazette. Diffusés gratuitement sur le web ou en papier, ses cinq numéros ont paru grâce au financement participatif.
Bref, je devrais être la première à applaudir la prétendue révolution qu’a déclenchée la généralisation d’internet. On a salué cette mutation numérique, y voyant un formidable vecteur d’égalité d’accès à la culture et de démocratisation des outils de création et de diffusion, qu’elle a retirés des mains d’institutions et d’acteurs bien établis. Grâce à son architecture remarquable, internet a doté la création et la communication de moyens sans précédent. Désormais, chacun est son propre diffuseur. Nous ne sommes plus des consommateurs passifs, mais des producteurs actifs. Contrairement à la radio et à la télévision, voire au disque et au livre, dont les modes de transmission, à sens unique, vont du haut vers le bas, ce média permet enfin à tout le monde de faire entendre sa voix.
Tout cela me remplit d’enthousiasme. Pendant des décennies, des progressistes comme moi ont dénoncé la culture de masse et les grands médias. Dès 1944, année où Max Horkheimer et Theodor Adorno ont publié leur influent essai intitulé «La production industrielle de biens culturels. Raison et mystification des masses [1] », nombre d’observateurs inquiets ont tenté d’attirer l’attention sur les puissants intérêts économiques qui, dans leur quête du profit, faussent la culture et bafouent la démocratie.
Néanmoins, tandis que les héritiers de cette tradition critique continuent de s’inquiéter de la marchandisation et de la concentration des médias, un courant contraire affirme que larévolution médiatique induite par internet a rendu ces réflexions caduques. Dans un univers numérique, le nombre de canaux est, en théorie, infini, si bien que personne ne peut plus dicter à personne ce qu’il doit consommer. En dernière analyse, c’est nous qui sommes les décideurs, qui présidons à nos destinées médiatiques, qui choisissons ce que nous regardons, qui cherchons et cliquons là où nous le voulons, plutôt que d’être à la merci des cabales menées par les chefs d’entreprise.
Grâce à internet, pense-t-on, les traditionnels gardiens du savoir tomberont de leur piédestal et les intermédiaires se désagrégeront. Les tenants de cette nouvelle orthodoxie envisagent le web comme une sorte de Robin des Bois qui vole aux puissants leur auditoire et leur influence pour la donner aux gens ordinaires. Les technologies du réseau placent professionnels et amateurs sur un pied d’égalité, allant jusqu’à conférer un avantage aux seconds. Artistes et écrivains peuvent maintenant prospérer sans soutien institutionnel, toucher leur public directement. Un âge d’or du partage et de la collaboration s’annonce, basé sur le modèle de Wikipédia et des logiciels libres.
À bien des égards, il s’agit là du monde dont nous rêvions. Alors, où est le piège? Sous certains aspects fondamentaux, les postulats habituels sur les effets inévitables d’internet nous ont induits en erreur. Les nouvelles technologies ont certes éliminé des obstacles à l’accessibilité, mais, comme nous le verrons, la démocratie culturelle est loin de s’être concrétisée. Même si une connexion internet permet à quiconque de s’exprimer en ligne, nos mégaphones ne diffusent pas tous nos messages à volume égal. Certains d’entre nous sont suivis, et d’autres les suivent. Comme devrait le savoir toute personne disposant d’un compte de courrier électronique, internet n’a rien d’un paradis égalitaire ou non commercial, et ce, même si l’on fait abstraction des sites pornographiques ou marchands.
Nombre d’observateurs ont annoncé qu’internet allait transformer la production et la diffusion de la culture, bouleversant au passage la distribution du pouvoir. Afin de comprendre pourquoi les plus idéalistes de ces prédictions ne se sont pas accomplies, il faudrait porter un regard critique sur l’état actuel du système médiatique, anticiper l’avenir et reconnaître les forces, en particulier économiques, qui façonnent l’élaboration et la mise en œuvre des technologies. Mais on préfère porter aux nues ce que ces nouveaux outils rendent possible en théorie, les changements hypothétiques qu’ils pourraient susciter.
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Tenir un discours critique sur les changements technologiques et culturels requiert une certaine prudence. Les commentateurs se partagent généralement en deux camps, celui

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