Enquêtes d Algérie
138 pages
Français

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Enquêtes d'Algérie , livre ebook

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Français

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Description

1962, il y avait eu le massacre de la rue d'Isly, puis le pogrom d'Oran, les meurtres, les enlèvements de civils. Le bannissement (violent) des Français d'Algérie vint couronner le constat irrévocable d'incompatibilité que deux civilisations avaient dressé d'une expérience de cohabitation vieille de plus d'un siècle. L'immigration algérienne de masse volontaire en France qui s'ensuivit, quel sens avait-elle ? Pourrait-elle échapper à ce même diagnostic ? 2005, l'explosion des banlieues 2016, Paris, puis Nice, puis et toujours, comme une énigme obsessionnelle, le drame algérien se rappelle à la mémoire des observateurs. La violence a une histoire, nous dit l'auteur.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 septembre 2016
Nombre de lectures 32
EAN13 9782140018053
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre

EMMANUEL NAVARRO



ENQUÊTES D’LGÉRIE
LE CULTE DES HOMMES PREMIERS



TOME 1
BANNISSEMENT
Copyright















© L’HARMATTAN, 2016
5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris
www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-336-77041-3
Bannissement, bannir . Chasser, exclure, déporter, proscrire, refouler, reléguer, expulser, interdire, renvoyer, excommunier, écarter, repousser… Ostraciser.
Ostracisme : « du grec ostracon , morceau de poterie ou coquille d’huître (c’est l’origine étymologique du mot) sur lequel on inscrivait son vote… ».
« Chaque année… l’Assemblée (Ecclésia) décidait s’il fallait organiser un scrutin d’ostracisme. Si la majorité […] répondait oui (vote à main levée), on fixait un autre jour pour le vote […] Chaque citoyen entrait (sur l’agora) en donnant un tesson de céramique […] sur lequel il avait inscrit le nom de l’homme qui lui paraissait le plus dangereux pour l’État (il n’y avait pas de débat)… L’homme dont le nom apparaissait le plus souvent sur les tessons était exilé pour dix ans. Il avait 10 jours pour quitter la cité… Le but de l’ostracisme était d’éviter le retour de la tyrannie, mais de nombreux hommes politiques ont essayé par ce procédé d’éliminer leurs rivaux. L’analyse graphologique des centaines d’ostraca retrouvés lors des fouilles de l’agora a montré que, pour un vote donné, seule une dizaine de mains différentes avaient inscrit les noms sur les tessons : c’est la preuve que ces « bulletins » étaient préparés… et distribués par les responsables de ces factions à leur clientèle, dont le vote était ainsi dirigé. Quelques noms d’ostracisés célèbres : Thémistocle, Cimon, Thucydide… (cf. site pédagogique de J-Bradu, Internet)
Bannir . On peut l’imaginer, en sens inverse : « lorsqu’on a été banni d’un lieu, s’abstenir d’y aller, par dépit, quoique à regret… Éloigner de son âme, de son souvenir. Bannir un ingrat (un pays) de sa mémoire. » (Wikitionnaire)
« Quelquefois le bannissement était volontaire et on a vu de grands citoyens se l’imposer eux-mêmes pour mettre un terme aux troubles que pouvait causer leur présence. L’envie et les soupçons perpétuels auxquels un homme important se trouvait en butte dans certaines petites démocraties lui rendaient souvent la patrie insupportable ; il s’expatriait alors de lui-même… Dans d’autres cas, le bannissement était une sorte de châtiment que s’imposaient les conspirateurs malheureux ou les victimes d’une révolution politique pour épargner aux vainqueurs… la nécessité de mettre à mort des adversaires trop nombreux… » (Larousse, grand dictionnaire universel du XIX e siècle, 1867)
COLONS !

Décembre 1962. Cet hiver-là, de l’avis des métropolitains, avait été exceptionnellement froid. Dans les rues que les terrassiers n’avaient pas fini de goudronner les flaques d’eau avaient gelé, tout comme le proche ruisseau dont les enfants du quartier avaient fait leur patinoire. Je déteste anormalement le froid. Le froid et tout ce qui me renvoie à cette époque provoquent en moi un même raidissement de tout mon corps.
Mes parents m’avaient scolarisé dans le petit collège juste en face de l’immeuble tout neuf où ils avaient trouvé à nous loger in extremis avant l’hiver. Les résultats étaient tombés. En ce temps-là, on donnait aux élèves leur classement général et par matière, et des prix à la fin de l’année. J’étais le premier partout. Je travaillais énormément ; pas pour me faire remarquer, juste pour obliger les Français à reconnaître en moi, au moins sur le terrain de la culture, un Français qui les valait bien. L’urgence était de me dissoudre dans le paysage.
J’avais mal dosé mon effort. Le directeur me convoqua dans son bureau. Il était aussi le maire communiste de la banlieue ouvrière où nous habitions. Sa curiosité me pétrifia. Il m’interrogeait, je bredouillais. Qui étions-nous ? Où étions-nous nés ? Quelle langue parlions-nous là-bas ? Quels vêtements portions-nous ? Quel genre de maisons habitions-nous ? Il avait osé : « des cases » ? Manifestement, cet homme doutait de ce qu’il avait cru savoir. Il s’étonnait en particulier de ma francophonie. À aucun moment de son interrogatoire l’idée que son ignorance avait pu participer de ce drame ne lui traversa l’esprit.
Les métropolitains nous avaient crus riches. Ils nous avaient imaginés au volant d’extravagantes voitures américaines, un cigare au coin des lèvres, le bras sur la portière, et, bien sûr, faisant suer le burnous des Algériens. Albert Camus leur avait dit qu’ils se trompaient. À quelle puissance contraire devons-nous qu’il n’ait pas été entendu ? Nous étions à plus de quatre-vingts pour cent des petites gens, plutôt moins bien lotis économiquement que les métropolitains 1 . Pour la plupart nous descendions d’hommes et de femmes que la misère avait fait fuir des quatre coins de l’Europe méditerranéenne. Nous ne possédions rien. Pour joindre les deux bouts mes parents laissaient des ardoises à Madame Glezner l’épicière du quartier, ce que honteux ils cachaient à leur entourage ; chaque mois ils envoyaient le chèque du loyer du minuscule logement que nous (sur) occupions à Monsieur Yayaoui, propriétaire algérien résidant en métropole. Notre seule richesse était le pays où nous étions nés, auquel nous étions aussi attachés qu’un Français peut l’être à la France et qu’un Algérien à l’Algérie. En 1957, la célèbre anthropologue, Germaine Tillion, avait écrit « Des vrais colons, il y en a 12 000 environ, dont 300 sont riches et une dizaine excessivement riches (vraisemblablement plus riches à eux dix que tous les autres ensemble). Avec leurs familles, les 12 000 colons constituent une population d’environ 45 000 personnes… Les autres “colons” (un million d’êtres humains) sont des ouvriers spécialisés, des fonctionnaires, des employés, des chauffeurs de taxi, des garagistes, des chefs de gare, des infirmières, des médecins, des enseignants, des standardistes, des manœuvres, des ingénieurs, des commerçants, des chefs d’entreprise 2 . » Pour savoir qui nous étions il aurait suffi, en somme, de se poser la question et d’aller chercher les réponses là où elles se trouvaient. L’étonnant est que ni les intellectuels ni la gauche ni la droite ni Sartre ni de Gaulle 3 ne s’étaient découvert assez d’intérêt à rechercher la vérité et, quand ils la connaissaient, à la faire partager à leurs concitoyens.
C’est à croire qu’ils n’en voulaient pas de la vérité. Ou qu’elle ne les arrangeait pas. Sans doute les aurait-elle obligés à accorder aux communautés autochtones une autre sorte d’attention, à leur reconnaître une égale légitimité à vivre sur cette terre et à rechercher les solutions propres à leur permettre de coexister dans la paix, l’égalité, la justice. Camus leur avait montré ce chemin. Mais ça ne rentrait pas dans leurs catégories et ils lui avaient ri au nez.
Eux et lui n’étaient pas sur la même longueur d’onde. Lui évoquait l’Algérie réelle qu’il connaissait, peuplée d’habitants réels qui lui étaient proches, confrontés à un drame singulier qui réclamait des réponses appropriées.
Eux débattaient du rôle exemplaire que la France avait à tenir dans la Civilisation 4 et du « système colonial » qui la déshonorait.
Eux étaient d’abord des Européens foudroyés. On oublie que l’Europe sortait de la guerre, on oublie ce que cette guerre avait signifié. La barbarie avait surgi au cœur d’une civilisation où s’étaient cristallisés durant des siècles d’invraisemblables espoirs de progrès. Soixante millions de morts. Six millions de Juifs éliminés dans les camps de la mort ! Et puis Hiroshima !
Cette civilisation avait promis au monde le meilleur, elle lui avait réservé le pire.
L’intelligentsia se posait la question : cette civilisation était-elle Le mal ? Irrésistiblement, la tentation a

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