Espaces d une vie
169 pages
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Description

« Qu'y a-t-il de commun entre toutes mes réalisations ? Quelle signification puis-je donner aujourd'hui à mon architecture ? Sans doute celle d'une volonté d'organiser l'espace. Apprentissage de la perception, observation et géométrisation de la nature, parcours historique : j'ai ainsi découvert que pour dépasser l'élan initial, je devais acquérir la maîtrise d'une véritable langue. »Ricardo Bofill est probablement l'un des architectes les plus célèbres et les plus controversés. Dans cet ouvrage illustré de croquis et de plans, il livre de son art une analyse qui est une invite à lire la ville.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 1989
Nombre de lectures 3
EAN13 9782738163875
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , SEPTEMBRE 1989 15, rue Soufflot, 75005 Paris
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6387-5
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
www.centrenationaldulivre.fr
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
A toute l’équipe du Taller, qui fait la réalité de mon métier d’architecte.
Parcours

Nomade, je suis devenu un nomade. Un voyageur sans port d’attache, contraint de se fixer lui-même, au fil de son parcours, ses propres points de repère.
Je suis né à Barcelone, de père catalan et de mère vénitienne. Au croisement, déjà, de deux cultures, qui s’affrontèrent et se mêlèrent dans l’histoire. On n’a pas le choix quand on grandit en Catalogne, sous le régime franquiste. On rêve de liberté et de grands départs. Mes rêves d’adolescent ont toujours été mêlés d’amertume : l’impression de vivre dans un pays à part, à l’écart de tous les grands événements sociaux ou culturels de notre époque, la dure sensation d’être relégué dans une banlieue de l’Europe.
Dès que j’ai pu, je suis parti.
Le Sud tout d’abord. L’Andalousie, avec ses couleurs, ses volumes simples. Mariage de l’Islam et de l’Italie, sous le soleil vibrant de midi. Initiation à la lumière. Très vite, je m’y sens chez moi.
J’ai traversé alors la Méditerranée. J’ai découvert, dans la vallée du Dra, au Maroc, des villages faits de cubes empilés, construits au jour le jour, au rythme de l’expansion des familles, et pourtant mystérieusement ordonnés.
Tout autour, le désert. Les formes étranges qu’y prennent les dunes, sans cesse recomposées par des vents profonds, m’apparaissent comme les éléments essentiels, bien que sous-jacents, de tout ce que nous pourrons jamais dessiner. Les sables roses du Ténéré qui se découpent sur un ciel bleu marine, les espaces infinis de roches et de pierres sont ma première initiation à l’absolue beauté.
J’y ai rencontré aussi des hommes. Plusieurs de ces nomades qui vivent dans une civilisation totalement étrangère à la mienne sont devenus mes amis. J’ai découvert en eux les meilleurs connaisseurs d’espace qui soient. Ils savent tout le prix d’un repère, la course du soleil et celle de l’ombre, précieuse quand le feu du ciel ne pardonne pas quelques mètres d’erreur. Ces hommes bleus m’ont enseigné aussi une philosophie. Une vie suspendue aux éléments, prête à basculer, à tout moment, du côté de la tragédie ou de l’absolue beauté. Un sens aigu de l’élégance, qui ne doit rien à la richesse. Comme si le geste le plus quotidien, le moindre drapé ou le plus léger chatoiement d’étoffes pouvait être, tout simplement, beau.
J’avais mes frères du Sud. Le Nord m’était encore terre étrangère. J’ai découvert Paris. Cette ville parfois démesurée, parfaitement tracée, noyée sous un ciel trop gris me resta longtemps étrangère. Même les usages sociaux me déconcertaient. Puis j’y ouvris un bureau. J’y vécus et j’y eus un enfant. La capitale m’était plus proche.
Il y eut encore le Danemark, la Suède, la Hollande et les États-Unis, dont j’essaie aujourd’hui encore de percer les secrets mécanismes. Je ne désespère pas d’y parvenir. Car c’est vrai : la Catalogne n’est pas un centre. Si j’étais né à Londres, Paris ou New York, j’aurais été de plain-pied dans la course internationale. Mais ma terre d’exil a au moins le mérite de disperser les illusions : peut-être faut- il venir des marges pour savoir écouter. Comment s’ouvrir au monde, si l’on a soi-même la sensation d’en occuper le centre ?
Parce qu’elles m’ont rendu plus disponible, plus attentif aux civilisations que j’ai croisées, mes origines catalanes, périphériques, m’ont donc été précieuses jusque dans mon métier d’architecte.
Car cette discipline repose sur une lecture des paysages qui remonte jusqu’à l’inconscient des gens qui les peuplent. On peut tout voir dans une ville : la structure de la propriété, à travers la taille des maisons ou leur décoration, le rapport qu’entretiennent pauvres et riches à travers la répartition des quartiers, le style de vie tourné vers l’extérieur ou l’intérieur, le prix qu’une civilisation attache à la rencontre. Contraste entre les palais somptueux et les bidonvilles ; architecture triomphante des gratte-ciel consacrés au culte de l’argent ; monuments à la française, sans cesse investis des ambitions du politique ; patios coupés des regards indiscrets du passant dans certains palais d’Orient, pour une civilisation qui privilégie l’observation, le jeu des regards et l’enchevêtrement des passions.
Être architecte, c’est, à travers l’espace organisé par l’homme, savoir regarder, décrypter les comportements et les mouvements spontanés d’une population, et, au-delà, percevoir les besoins de changement qu’elle peut laisser, inconsciemment, transparaître. Il faut savoir repérer ces manques pour apporter, soi-même, sa propre contribution.
Mais pour lire chaque geste comme un signe, il faut s’immerger totalement dans une culture, descendre jusqu’aux grains du détail, et préserver en même temps l’extériorité de son regard. La vie que m’impose la multiplication des projets aux quatre coins du monde, entre Boeings et grands hôtels, n’a peut-être pas la poésie de celle de Palladio, enraciné dans sa terre de Vicence. Mais elle a le mérite, à chaque voyage, de laver mon regard.
Ce parcours de différentes civilisations se fait aussi à travers l’histoire. Comme l’avait vu Malraux, nous vivons l’époque du musée imaginaire, qui fait cohabiter, sans heurts, baroque et classicisme, romantisme et surréalisme. L’heure des débats de style, comme celle des écoles excluant avec cérémonie les disciples dissidents, est aujourd’hui passée. On peut, dans sa vie, reconnaître différentes influences sans pour autant faire varier le but de sa recherche ; on peut utiliser, à l’intérieur d’une création, plusieurs éléments hérités des époques passées, sans tomber dans le collage. Là encore, tout l’art est de savoir s’immerger, tout en préservant une indispensable distance critique. Là encore, pas de domicile fixe, mais de multiples points de référence. Les repérer n’est possible qu’à condition de maîtriser parfaitement son propre processus de création. Très vite, celui-ci a été tourné chez moi vers l’architecture. Question d’origine : mon père, lui-même constructeur, m’emmenait tout enfant sur les chantiers. Il m’a appris l’art de travailler la brique catalane, de poser une céramique sur une façade. J’ai touché, très tôt, la matière. On me parlait aussi de l’ancêtre de la tribu, qui portait le même prénom et le même nom que moi, et qui avait construit la grande cathédrale de Gérone. L’homme avait les pieds sur terre : c’est, dit-on, par manque d’argent qu’il ne dota la cathédrale que d’une seule nef, réalisant ainsi un espace voûté d’une taille impressionnante.
Sur les chantiers, je découvrais un autre univers. Celui que l’on ne pourrait jamais m’enseigner à l’Université. En discutant avec les chefs de chantier, j’essayais de comprendre comment faire tenir des briques au sommet d’une cheminée terminée en forme d’hélice. Je mettais mes premiers plans à l’épreuve ; je tentais de voir, aussi, toutes les limites d’un savoir-faire impuissant à dépasser la tradition. Je me risquais à proposer de nouvelles façons de procéder, fondées sur de simples raisonnements logiques. Parfois tout s’écroulait ; parfois ça marchait.
Ces ouvriers, dont j’admirais l’agilité quand je les voyais progresser, les épaules chargées de briques, sur les échafaudages suspendus dans le vide, me parlaient aussi de la guerre perdue. Dans les cafés, après le travail, ils me racontaient les défaites de l’armée républicaine. Une autre initiation.
La politique, comme le lycée ou le service militaire, a renforcé chez moi cette sensation d’être là tout en étant ailleurs. Du plus loin que je me souvienne – ce devait être en 1951 –, lors de la première grève qui marquait le début de la résistance, je revois ce gamin de onze ans qui voulait faire comme les grands, et s’acharnait à pousser les tramways hors des rails. A seize ans, entré à l’Université, j’ai fondé le premier syndicat libre. Une provocation au régime de Franco. J’ai fréquenté les communistes espagnols, qui étaient les seuls, alors, à mener véritablement le combat. A Paris en 1956, j’ai rencontré Santiago Carrillo. Pourtant même si j’ai été très proche de mes camarades, même si j’ai, à mon échelle, aidé le PC a élaborer sa politique de réconciliation nationale, je n’ai jamais participé aux actions de masse du parti. En 1976, il était reconnu officiellement. J’ai cessé alors toute collaboration. Les mécanismes de la résistance et de la prise de pouvoir m’avaient intéressé. Son exercice éventuel me laissait indifférent. J’ai, depuis, toujours refusé d’appartenir à un gouvernement.
Volonté de comprendre, donc, mais en même temps distance. Ma pratique de l’architecture est née de cette schizophrénie. C’est sans doute la raison pour laquelle le service militaire m’a été plus pénible que la prison. J’y ai été traîné plusieurs fois. Les prisonniers politiques n’avaient aucun droit sous Franco. Mais ils avaient au moins celui de résister. Je me souviens de ces bruits de serrure qui résonnaient dans les couloirs, le matin, des portes qui grinçaient, des pas des matons qui encadraient l’inspection solennelle du directeur de la prison. Une prison modèle que celle de Barcelone, construite en étoile, comme une utopie du XVIII e  siècle

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