Corps-à-corps oeuvre-public :
286 pages
Français

Corps-à-corps oeuvre-public : , livre ebook

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286 pages
Français

Description

Ce livre s'intéresse particulièrement à l'installation interactive sous toutes ses formes, de la scénographie aux jeux artistiques à réalités alternées. Si l'étude de l'art interactif n'est pas nouvelle, notre approche originale consiste à étudier les fondements biologiques, psychologiques et culturels de sa réception. Le résultat de cette étude consiste à proposer une typologie des oeuvres interactives et de leurs publics mais aussi à proposer aux acteurs institutionnels des médiations créatrices adaptées au public visé.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2015
Nombre de lectures 32
EAN13 9782336389974
Langue Français
Poids de l'ouvrage 20 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Françoise Lejeune
CORPSÀCORPSOEUVREPUBLI : L’EXPÉRIENCE DES INSTALLATIONS INTERACTIVES
Préface d’Edmond Couchot
CORPS-À-CORPS OEUVRE-PUBLIC :
L’EXPÉRIENCE DES INSTALLATIONS INTERACTIVES
© L’HARMATTAN, 2015 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-06709-4 EAN : 9782343067094
Françoise Lejeune
CORPS-À-CORPS OEUVRE-PUBLIC :
L’EXPÉRIENCE DES INSTALLATIONS INTERACTIVES Préface d’Edmond Couchot
PREFACE D’EDMONDCOUCHOT
Une des grandes constantes des pratiques artistiques est d’osciller entre deux tendances opposées, l’une insistant sur la sensorialité, la richesse des formes, l’autre sur l’abstraction, l’économie des moyens : perceptvs concept. On la repère sitôt qu’émergent dans la préhistoire de notre espèce les premières occurrences symboliques dont les traces fragiles ont persisté sur les parois des cavernes (celle de la grotte Chauvet, par exemple, il y a plus de 30 000 ans), à la surface de petits blocs d’ocre rouge ou sur des objets de parure. On la suit pendant des millénaires tout au long des apparitions de ce que plus tard on appellera l’Art. Pour en rappeler quelques moments caractéristiques, j’évoquerai dans la Grèce antique l’art géométrique et pauvre en couleur défendu par Platon contre l’art coloré et réaliste des peintres ornant les céramiques et les demeures, au moyen âge l’art minimaliste et épuré des cisterciens contre l’art gothique dionysien glorifiant la lumière, la profusion des couleurs, l’éclat de l’or et des pierres e précieuses ; la peinture favorisant le coloris au XVII siècle contre celle qui avantage le dessin, le jeu contrasté entre formes et couleurs cher aux romantiques contre la sobriété et la rationalité du dessin néoclassique. Certes, je ne retiens que quelques moments où cette opposition perceptvs concept est particulièrement forte, mais les moments où ces deux pôles de l’expression artistique, loin de s’opposer, ont su faire alliance sont les plus fréquents, à titre d’exemple pendant la Renaissance où la géométrie perspectiviste a autorisé l’épanouissement de la sensorialité graphique et chromatique. Pour qu’une telle opposition — que l’on retrouve dans d’autres arts et dans d’autres cultures — persiste au cours des siècles, il est probable qu’elle se fonde sur des spécificités cognitives propres à notre espèce héritées d’un long passé phylogénétique : une attention aiguë aux formes fixes ou mobiles, naturelles ou artificielles, d’une part, et une capacité à la symbolisation, à l’abstraction et à l’exercice du langage, d’autre part.
Au milieu du siècle dernier, on a vu apparaître un courant artistique renouant avec les premières propositions de Duchamp, assez hétérogène
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mais très puissant — l’art conceptuel — qui s’érigea violemment contre les excès du formalisme et l’hégémonie de la perception. Un des initiateurs de ce courant, Joseph Kosuth, professait que la fonction de l’art visait à se débarrasser des « scories de la perception » et à privilégier les idées et le langage au profit non pas de la production d’objets mais d’un questionnement sur la production de ces objets. Conceptvs percept, processusvsproduits. Les artistes furent cependant nombreux à réagir contre cette injonction drastique et surent inventer d’autres modes d’expression pour y échapper, soit en réinterprétant la tradition figurative (nouveau réalisme, nouvelle figuration), soit en exaltant les vertus de l’objet lui-même sous des formes diverses (industrielles, commerciales, sociologiques ou métaphysiques), soit encore après la désaffection de l’objet, en explorant de nouvelles techniques, notamment les techniques de communication (vidéo, télévision, téléphone, fax, photocopie) ou en mettant en scène leurs propres corps (body art).
Au cours de ce même siècle, le monde connut une révolution technologique sans précédent historique — l’informatique — fondée sur le traitement par calcul automatique de l’information. L’informatique pénétra peu à peu pratiquement tous les secteurs des activités humaines, dont celui des arts dès le début des années soixante, en particulier la musique (synthèse du son instrumental et de la voix, composition à l’ordinateur) et timidement les arts plastiques et visuels. En raison de la pauvreté de ses moyens d’expression graphique, l’informatique semblait, dans ses tous débuts, plutôt servir l’art géométrique (Michael Noll) ou sériel (Manfred Mohr) plus proche du concept que du percept. Mais au fur et à mesure que l’ordinateur s’équipait d’interfaces permettant d’échanger avec lui des informations sur un mode « interactif » — au moyen d’abord des symboles alphanumériques du clavier et des données affichées en retour sur des écrans vidéo, puis au moyen de dispositifs permettant d’introduire en « temps réel » des données non symboliques telles que les gestes et les mouvements du corps, des paroles, de la musique et du bruit —, les artistes qui utilisaient ces techniques purent redonner à leurs œuvres une dimension sensorielle forte qui avait de surcroît l’intérêt d’élargir le champ kinesthésique.
Avec l’interactivité, les artefacts artistiques ne se contentent plus d’être appréciés à distance par la vue, mais exigent d’être agis, pénétrés, touchés, manipulés, modifiés, par le spectateur. Le regard peut plonger à l’intérieur des images affichées sur les écrans, y dessiner sa propre trajectoire, y laisser sa trace — s’yimmerger. On se trouve alors dans une situation assez
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comparable à celle de la Renaissance où un appareillage technologique complexe optico-géométrique reposant sur un langage abstrait (code et programmation) génère des effets sensoriels inaccoutumés et d’une grande intensité : le concept ne s’oppose plus au percept, il le produit. Loin d’être un gadget technologique soumis à une mode passagère, l’immersion sensorielle interactive est devenue une tendance forte commune à l’ensemble des technologies de la communication et de l’information (parmi lesquelles les réseaux et les jeux vidéo occupent une place de plus en plus importante). Elle fait aussi l’objet de recherches scientifiques et industrielles très avancées comme la réalité virtuelle et la réalité augmentée. Tandis que des artistes de plus en plus nombreux s’essayent à créer et à expérimenter des dispositifs immersifs interactifs non standardisés qui se distinguent de ceux que l’industrie impose ou qui en détournent l’usage. L’immersion introduit dans nos habitus une dimension nouvelle qui modifie les rapports cognitifs, sensoriels et émotionnels, avec l’environnement technologique et à travers ces rapports avec les individus composant la société contemporaine.
C’est à l’étude et à l’expérimentation de cette dimension immersive dans les arts que ce livre est consacré. Il existe déjà une abondante littérature plus ou moins spécialisée sur les arts interactifs et sur l’immersion, mais l’approche de Françoise Lejeune se singularise de plusieurs façons. Après avoir restreint son champ de recherche à l’art immersif interactifspatialisé qu’elle définit comme un art dont le but est d’ « amener le spectateur à quitter son face-à-face avec l’écran pour se mouvoir et se déplacer dans l’espace de l’œuvre », elle développe une triple approche heuristique. La première où elle fait une analyse critique d’œuvres significatives réalisées par des artistes ; la deuxième, théorique, où elle convoque les sciences cognitives (neurosciences, neurophysiologie), la philosophie, la psychologie, la sociologie, les sciences de l’information et de la communication, et propose des hypothèses judicieuses ; et une troisième, « expérientielle », où elle crée elle-même des dispositifs artistiques immersifs interactifs dont elle étudie la réception sur des groupes de spectateurs à l’aide de protocoles rigoureux.
Il en ressort que ce type d’œuvres d’art aurait la propriété de provoquer une rupture dans les rapports que notre corps entretient avec les œuvres d’art non immersives et de mettre en action des processus mentaux prémoteurs, sensorimoteurs et cognitifs qui ne sont pas habituellement présents aussi intensément dans la situation réceptive. Ces œuvres éveilleraient en nous une forme de pensée non intellectualisée, non abstraite, qui serait exprimée par le
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