Où va la création artistique en Afrique francophone ?
248 pages
Français

Où va la création artistique en Afrique francophone ? , livre ebook

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Description

Tentative de bilan de la création contemporaine africaine francophone de la dernière décennie, ce dossier dégage l'évolution des pratiques esthétiques et la recomposition des paysages culturels. Les mutations liées à la mondialisation et aux nouvelles technologies, la priorité donnée aux industries culturelles et l'évolution des financements ne vont pas sans contradictions ni questions. Mais une subversive liberté se joue à travers une redéfinition des appartenances et des identités.

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Date de parution 01 janvier 2006
Nombre de lectures 360
EAN13 9782296406070
Langue Français
Poids de l'ouvrage 92 Mo

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Extrait

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Africultures 65  octobre  décembre 2005 Oùvalacréationartistique enAfriquefrancophone? dossierréaliséparlarédactiondAfricultures
Développer l’économie de la culture : un enjeu pour demain Séverine Cappiello
Les réseaux, remède miracle du développement culturel ? Ayoko Mensah
Des festivals pour rapprocher les hommes François Campana
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Les nouveaux paradoxes des cinémas d'Afrique noire 39 Olivier Barlet
Filmer en Afrique, filmer l'Afrique Défier les stéréotypes Balufu BakupaKanyinda
Les chorégraphes cassent leur image Ayoko Mensah
« Être Africain n’est plus suffisant pour que l’on se rassemble » entretien avec Faustin Linyekula
Les plasticiens africains sur le pont des arts Virginie Andriamirado
« Les arts plastiques restent les plus mal compris en Afrique » avec Joëlle Busca
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63
68
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Les Rencontres de Bamako : coexistence de deux mondes ? Erika Nimis82
Et si les talents étaient aussi dans la marge ? entretien avec Bruno Boudjelal
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L’Afrique ne se laisse plus dire par procuration Sylvie Chalaye
La littérature africaine, éternelle périphérie ? Taina Tervonen
Des littératures d’outremer aux littératures francophones entretien avec JeanLouis Joubert
97
105
114
Zone Franche : bilan d’une décennie de « sono mondiale » 120 entretien avec Philippe Gouttes
Tour de chant dans l’espace francophone Soro Solo
Le regard de la différence Réflexions autour du mot « francophonie » Tanella Boni
125
128
La Francophonie, un bouclier contre l’uniformisation culturelle 137 entretien avec Abdou Diouf
Senghor, « le profane et le sacré » Dominique Ranaivoson
Le dernier texte de Mongo Beti* Nicolas MartinGranel
Langue française et francophonie sontelles compatibles ? Mongo Beti
« Que la France se taise devant la majorité que nous sommes* » Greta RodriguezAntoniotti
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De la colonisation à la convivialité 171 entretien avec Ariel de Bigault
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Rebonds
La République et sa Bête : À propos des émeutes dans les banlieues de France Achille Mbembe
La fracture coloniale entretien avec Pascal Blanchard
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Théâtre Avignon 2005 : crise et renouvellement 199 Sylvie Chalaye Vertiges scéniques d’une mort annoncée 204 Sylvie Chalaye
Arts plastiques
Images sacrées, images politiques 215 entretien avec Hassan Musa
Littérature Quand tout finit au bar 227 Dominique Ranaivoson Dans l’atelier de Sony 234 Dominique Ranaivoson La fin du monde racontée par GastonPaul Effa et LouisPhilippe Dalembert 236 Phase critique 12 (par Nimrod) La mort du poète 241 Tanella Boni
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Cahier critique
Diaspos
Notre Dame de la Garde… Pascal Blanchard
Musique
187
De Douala à Bahia 192 Entretien avec Richard Bona
Amadou & Mariam, il était une fois… 195 Soro Solo
Cinéma Les cinémas africains à l’AEGIS 2005 208 Samuel Lelièvre
Photo « Un regard assumé par un Africain » 223 entretien avec Simon Njami PORTFOLIO Zetaheal 230 Francis Nii Obodai
Danse Limoges met la danse à l’honneur 244 Ayoko Mensah
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« Nous sommes tous postexotiques »
" Requalifier le rôle de l'art, signifie pour l'artiste reconquérir son propre territoire reporter sa propre pratique audedans des frontières spécifiques d'une opération qui ne se mesure pas avec le monde, mais avant tout avec sa propre histoire et avec l'histoire de son propre langage. " Achille Bonito Oliva, " La Transavantgarde italienne "
" Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l'accomplir ou la trahir. " Frantz Fanon
l y a quelques mois, dans le cadre de l'exposition Africa Remix, un artiste d'origine angolaise, Fernando Alvim, présentait une œuvre intitulée " We are all post exotic ". Inscrite en lettres capitales, noir sur blanc, cette déclaration se détachait très lisible ment sur une large toile carrée. Audessus de ces mots, les observateurs pouvaient voir leur visage se refléter dans un miroir rond collé à hauteur d'homme. Surprenante sensation que de croiser sur la toile sa propre image audessus du slogan. Comme le dévoilement d'une évidence qui renvoie, audelà de soi, à l'Autre… tous les autres. Œuvre interactive par excellence.
Après le postmodernisme et le postcolonialisme, serionsnous donc entrés dans l'ère du postexotisme ? Dans ce dossier, Africultures revient sur la création contemporaine africaine de la dernière décennie. 19952005 : dix années innovantes, bouillonnan tes, marquantes. Tant dans l'évolution des esthétiques que dans la recomposition des paysages culturels. Les deux domaines se révèlent d'ailleurs étroitement liés.
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Rédaction : Les Pilles  F  26110 Nyons Tel : ++33 (0)4 75 27 74 80 Fax : ++33 (0)4 75 27 75 75 Email : redac@africultures.com Directrice de la publication :Ayoko Mensah Responsable de la rédaction :Olivier Barlet Comité de rédaction : Arts plastiques : Virginie Andriamirado, Alexandre Mensah Cinéma : Olivier Barlet Danse : Ayoko Mensah Diaspos : Soeuf Elbadawi Musique : Gérald Arnaud, Soro Solo Littérature/édition : Boniface MongoMboussa, Taina Tervonen Photographie : Corinne Julien, Samy Nja Kwa Théâtre : Sylvie Chalaye Afriphoto :info@afriphoto.com Maquette :Franck Lépinay Graphisme :William Wilson Site internet : www.africultures.com Smahanne Ellouz, Frédéric Lecloux, Franck Lépinay, JeanMarc Mariani. Traductrice :Allyson McKay Rédacteurs associés ayant participé à ce numéro : Virginie Andriamirado, Gérald Arnaud, Balufu BakupaKanyinda, Olivier Barlet, Pascal Blanchard, Mongo Beti, Tanella Boni, François Campana, Séverine Cappiello, Sylvie Chalaye, Soeuf Elbadawi, Thierry William Koudedji, Samuel Lelièvre, Nicolas MartinGranel, Nimrod, Achille Mbembe, Ayoko Mensah, Samy Nja Kwa, Erika Nimis, Marian Nur Goni, Dominique Ranaivoson, Greta RodriguezAntoniotti, Soro Solo, Taina Tervonen, Lucie Touya Diffusion :Editions L’Harmattan 57, rue de l’EcolePolytechnique  F  75005 Paris Abonnements :voir dernière page Vente au numéro:en librairies ou à L’Harmattan et sur www.africultures.com Tous droits de reproduction réservés, sauf autorisation préalable. n°65  ISBN :274758819XISSN : 12762458 Commission paritaire : 1203G74980
Revue publiée avec le concours du Centre national du Livre et du F.A.S.I.L.D.
Couverture : …although I live inside… my hair will always reach towards the sun…(2004), solo chorégraphié par Robyn Orlin pour Sophiatou Kossoko. © Elise FitteDuval
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Une création de plus en plus mondialisée
Qu'il semble loin le temps de la Négritude et des indépendances où la culture était brandie par les jeunes nations comme vecteur de leur nouvelle identité nationale ! Au fil des ans, sur fond d'appauvrissement, de désengage ment des Etats et de restriction de la liberté d'expression, la fracture n'a cessé de croître entre artistes et pouvoirs publics. Ce n'est que depuis les années 90, dans un contexte de timide démocra tisation et de mondialisation conjuguées, que de nouvelles dynamiques privées voient le jour et plus seulement dans le domaine musical, qui, au grè de multi ples initiatives, comme le stipulent l'article de Soro Solo (p. 125 et l'interview de Philippe Gouttes (p. 120), a rapide ment popularisé les voix de l'Afrique. Dans son article introductif (p. 8), Séverine Cappiello revient sur les muta tions du champ culturel africain franco phone et sur les enjeux de son dévelop pement. Saiton qu'au Mali la filière musicale contribue davantage au produit intérieur brut (PIB) que le secteur indus triel classique ? C'est tout dire des riches ses potentielles que recèle la culture. Mais cellesci ne pourront être exploitées et avoir un impact local que si l'économie de ce secteur se structure, soutenue par de réelles politiques culturelles, à tous les échelons territoriaux. En dix ans, les pratiques artistiques et leurs financements se sont profondé ment modifiés sur le continent. Le déve loppement de la coopération NordSud y est pour beaucoup. De véritables cir cuits d'aide internationaux se sont mis en place, favorisant l'émergence d'artistes africains sur les scènes et les marchés occidentaux de l'art.
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Positive par bien des aspects, cette mondialisation des moyens de production mais aussi de diffusion ne va pas sans contradictions ni questions. C'est ce qu'analyse François Campana à travers son étude des festivals de théâtre subventionnés en grande partie par des bailleurs de fonds euro péens (p. 28). S'ils favorisent une certaine liberté de création et de circulation, ces systèmes de coopération ont aussi ten dance à couper les artistes de leurs publics locaux et à lier leur survie à des institutions occidentales. Nombre d'acteurs culturels prennent peu à peu conscience de ce risque. Pour tenter de sor tir de cette dépendance et mett re en place des dynamiques régionales ou continentales, ils se regroupent en réseaux afin de coordonner leurs actions et de mutualiser leurs moyens. Encouragée par des partenaires au Nord et le développement d'internet aidant, cette tendan ce s'est généralisée ces derniè res années. Mais estce vrai ment un remède miracle ? L'article qui leur est consacré met en lumière les limites de ces réseaux… riches d'enseigne ments (p. 17). Pas facile en effet de concilier développement local et diffu sion mondiale avec des mar chés aux logiques et aux atten tes différentes pour ne pas dire opposées, comme le soulignent Virginie Andriamirado (p. 68) et Joëlle Busca (p. 75) au sujet des arts plastiques. Erika
Nimis dresse un constat similaire dans le domaine de la photographie (p. 82) où des photographes tentent de concilier la construction d'une œuvre personnelle et l'adéqua tion avec le marché local (inter view de Bruno Boudjelal p 89). C'est sans doute la tension qu'implique la gestion de ces contradictions  mises en exergue dans le champ littéraire par l'article de Taïna Tervonen (p. 105) et les propos de Jean Louis Joubert  qui définit le mieux la création contemporai ne africaine. Une tension qui se retrouve tant au plan écono mique qu'artistique.
L'ère de la déconstruction
Ces dix dernières années, l'in térêt de l'Occident pour les artistes africains n'a cessé de croître. Sur les cinq continents, les lieux les plus prestigieux s'ouvrent désormais à eux. Pour ne citer que deux exemples parmi des centaines : la compa gnie burkinabè Salia Nï Seydou s'est produite entre autres au Centre Barbican de Londres et au New National Theater de Tokyo. Et les portes du Centre Georges Pompidou à Paris et de la Hayward Gallery londonien ne se sont récemment ouvertes aux plasticiens du continent à l'occasion de l'exposition itiné rante Africa Remix. Mais cette visibilité et ce succès ne trahissentils pas parfois encore une approche ghéttoïsante ?
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Ce n'est sans doute pas un hasard si la question du regard est devenue centrale chez de nombreux créateurs, notam ment chez les chorégraphes et les danseurs. Depuis deux ans, ils sont quelquesuns à affirmer sur scène une nouvelle liberté de parole qui casse les clichés, déconstruit leur image (p. 57). Pour le chorégraphe congolais Faustin Linyekula, véritable empêcheur de danser en rond, il est temps de sortir des " identités collectives " : " Pendant longtemps, les artis tes du continent ont affirmé une identité collective : ils représentaient " l'esthétique africaine ", rappelletil. Mais si l'on ne veut pas se répéter à l'infini, il faut revenir à des regards subjectifs, à une multi plicité de voix. On ne peut pas vivre dans des sociétés qui condamnent les dictatures et la pensée unique et fonctionner dans ce type de système en tant que créateur. L'artiste doit être le rêveur d'une autre société possible. […] Aujourd'hui, nous affirmons des individualités. Etre Africain n'est plus suffisant pour que l'on se rassemble. Audelà d'un engagement esthétique commun, il faut se relier par affinités éthiques, politiques. " (p. 63) Cette remise en question de la réception des œuvres comme des processus de créa tion prend des formes diver ses. Comme le note Sylvie Chalaye, " le théâtre d'Afrique
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ne se pense plus comme une cons truction identitaire, comme une image identitaire à tendre aux autres. Les expressions scéniques africaines disent la responsabilité commune face aux atrocités du monde. Elles disent la diversité et la ressemblance. Elles mettent en scène l'humanité et ses paradoxes. […] L'africanité s'affirme où on ne l'attend pas, elle se joue audelà de la couleur et des frontières de l'Afrique, pour affirmer une iden tité contemporaine hybride et iri sée. " (p. 97) En cela, la déclaration du plas ticien Fernando Alvim prend tout son sens : à l'ère de la déconstruction et du soupçon partagés, ne sommesnous pas tous " postexotiques ", amenés à dépasser nos représentations collectives, à repenser le mouve ment dialectique entre soi et les autres ? La grande modernité de l'Afrique tient dans cette refor mulation des identités, dans leur multiplicité et leur mobilité assu mées. Le continent ne se laisse plus dire par procuration et affirme des artistes singuliers. On ne peut s'empêcher de penser à la poétique d'Edouard Glissant. " Il n'y a plus de centre, que des périphéries : chaque périphérie devient un centre en soi " constate le penseur de la créolisation du monde. Cette vision appelle non seule ment des esthétiques mais aussi un discours subversif qu'analyse Olivier Barlet à travers les nouveaux para doxes des cinéastes africains (p. 39).
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Ce que la création contempo raine africaine laisse entrevoir désormais, c'est bien le réin vestissement du champ poli tique par les artistes franco phones,  mais aussi par ceux issus des autres sphères lin guistiques de l'Afrique post coloniale (cf. l'interview d'Ariel de Bigault concernant l'espace lusophone p. 171)  tant dans la danse et la musique que dans le cinéma et les arts plastiques. Le réalisateur congolais Balufu Bakupa Kanyinda ne dit pas autre chose dans son texte poi gnant intitulé " Filmer en Afrique " (p. 51). Les prochai nes années devraient encore affirmer cette tendance. De plus en plus de créateurs font référence dans leurs oeuvres, plus ou moins directement, à l'histoire économique et poli tique de l'Afrique (de Faustin Linyekula au plasticien maro cain Mohamed El Baz en pas sant par la vidéaste Michèle Magema). Alors que plusieurs pays dont la France s'apprêtent à célébrer en 2006 les cultures francopho nes et le centenaire de la nais sance de Léopold Sédar Senghor, il nous a semblé important d'inclure dans ce dossier les propos éminem ment politiques de deux gran des consciences du XXème siècle au sujet de la Francophonie : les écrivains Sony Labou Tansi et Mongo Beti. Les chercheurs Greta Antonietti et Nicolas Martin
Granel, à qui l'on doit la parution de trois volumes d'i nédits du visionnaire congo lais*, recontextualisent l'acuité de leur parole à la lumière des événements à venir. " De quel le Francophonie s'agiratil exactement ? interroge ainsi Greta Antonietti. Celle du 'NégroAfricain' si chère à Senghor ou celle du 'Négro Humain' que revendiquait Sony Labou Tansi ? " (p. 151, 158 et 164). A cette question notamment, deux figures renommées répondent chacune à leur façon : la philosopheécrivaine ivoi rienne Tanella Boni (p.128) et le secrétaire général de l'Orga nisation internationale de la Francophonie (OIF), l'ancien président sénégalais Abdou Diouf (p. 137). Vous l'aurez compris, ce dossier fourmille de contribu tions et de points de vues diffé rents, de réflexions et de ques tions, de mises en perspectives et de rapprochements. Nous espérons ainsi rendre compte de la complexité et de l'intérêt de la création africaine du XXIème siècle.
Bonne lecture !
* " L'Atelier de Sony Labou Tansi ", cof fret de trois volumes paru aux Editions Revue Noire, Paris, 2005.
Ayoko Mensah
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Développer l’économie de la culture : un enjeu pour demain par Séverine Cappiello
lors que les indépen dances avaient insufflé un élan sans précédent à la vie artistique et cul turelle d’Afrique francophone, renforcée dans certains États par la volonté politique d’affirmer une identité aux fondements d’une nouvelle souveraineté, les lendemains ont déchanté. Entre appauvrissement exponentiel et centralisation à outrance des États francophones, les artistes s’en trouvèrent abandonnés, souvent limogés ou contraints à émigrer. De nouvelles dyna miques émergent dans les années 1980, sur fonds de désen gagement de l’Etat. Plus de dix ans après, les enjeux d’une véri table politique de développe ment culturel se confirment au plan politique et s’imposent éco nomiquement, dans un contexte de mondialisation.
Si la majorité des États franco phones se sont tous ponctuelle ment investis dans le champ cul turel depuis les indépendances, peu d’entre eux ont formulé une véritable politique culturelle (le dernier en date étant le Burkina Faso en 2005) et moins encore ont pu la doter de moyens. Le Mali fait exception : quatre millions d’euros ont été inscrits pour quat re ans au titre de la culture, dont le flambeau est porté par des ministres charismatiques tels
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Aminata Traoré ou le cinéaste Cheikh Oumar Cissoko. En quarante ans, les États se sont concentrés sur l’émergence d’une vie culturelle nationale, à travers la création et le soutien à des institutions permanentes (bal lets, orchestres et théâtres natio naux), la mise en place de grands événements culturels nationaux, le soutien d’événements à voca tion internationale. Le bilan de ces actions reste pourtant mitigé et ressemble plus à un saupoudrage symbolique minimal dans la majorité des États, faute de moyens ou de volonté politique. Contrairement à leurs voisins anglophones, les États d’Afrique francophone n’ont pas non plus développé de mesures fiscales ou économiques suffisamment incitatives pour que le secteur privé s’investisse dans ce champ culturel, laissant peu d’alternatives. Aujourd’hui, des secteurs entiers dépendent quasi exclusi vement de la reconnaissance ou des ressources internationales pour s’épanouir et se développer, voire pour exister (le cas le plus extrême étant celui du cinéma). Cela aboutit à des effets pervers mal contrôlés, tant sur les plans artistique qu’économique et poli tique… à commencer par l’émi gration massive des talents les plus sûrs.
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Des politiques culturelles inexistantes ou limitées
Analysons de plus près certai nes limites de ces actions éta tiques et prenons le cas de la poli tique culturelle du Bénin, énoncée en 1990. Très ambitieuse dans ses termes, elle propose une large panoplie de mesures incitatives pratiques. En matière d’aide à la création par exemple, elle recom mande de détaxer les moyens de production ou reproduction des œuvres et biens culturels, ou encore de créer un fonds d’aide. Mais ces intentions se heurtent vite à la réalité d’une activité éco nomique nationale en grande par tie informelle, où l’État ne contrô le rien et ne saurait par consé quent prélever de taxes suffisam ment consistantes pour les
redistribuer et en faire un instru ment réel au service de sa poli tique. Les autres pays ayant mis en place un fonds d’aide à la créa tion (Côte d’Ivoire par exemple) sont confrontés à la même situa tion, aggravée par les aléas de la situation politique qui plombent la cohérence des politiques enga gées. Même dans un pays stable comme le Sénégal, les ministres de la Culture ont changé dix fois au cours des trois dernières années.
Le manque de moyens ne sau rait dissimuler l’absence réelle de volonté politique aux plus hauts niveaux et le peu de considération accordée aux potentialités de développement des secteurs artis tiques… La question des droits d’auteur et de leur redistribution illustre bien ce propos.
Artiste en création a regroupé à Tripoli au Liban des plasticiens au sein d'un atelier collectif. Une exposition au centre culturel de Tripoli a cloturé 1 mois de création. Ali Garba, peintre, comédien, musicien peint les couleurs de l'Afrique © Pierre Zabbal/Agence Francophonie
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Chanteurs en duo lors de l'Africafête en République Centrafricaine. © Boubacar Touré Mandemory/Agence Francophonie
De Madagascar au Cap Vert, en passant par la Mauritanie, le Congo, le Tchad ou l’Algérie, des bureaux ou offices des droits d’auteurs existent, à l’exception notable du Gabon. Certains ne parviennent pas à mettre en œuvre la collecte (Mauritanie, Niger), tous connaissent de gros dysfonctionnements. Les plus efficaces sont réputés être ceux du Sénégal, du Mali, de la Guinée et du Burkina, mais là encore beau coup reste à faire.
Au Sénégal par exemple, des organismes publics comme la RTS (Radiotélévision sénégalaise) ne reversent pas de droits, quand il faut par ailleurs les payer pour
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diffuser un spot de promotion d’un événement culturel. Dans ce même pays, chaque exemplaire d’un produit musical mis en vente doit porter un hologramme acheté auprès du Bureau des droits d’auteur (BSDA), en plus de l’acquittement d’un droit de reproduction. Que se passetil en fait ? Les pirates achètent l’holo gramme auprès du BSDA, sans avoir payé de droits de reproduc tion puisqu’ils piratent, et ven dent ainsi leur produit en toute légalité.
En Côte d’Ivoire, la Radiotélévision ivoirienne (RTI) acquittait en 1982 un forfait annuel de 40 millions de FCFA au titre des droits d’auteur, 15 millions en 1989 et ne les a jamais versés en 1990 alors qu’elle avait évalué ces droits à moins de 4 millions de FCFA la même année (1).
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