Caméra rebelle
202 pages
Français

Caméra rebelle , livre ebook

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202 pages
Français

Description

Réalisateur atypique et passionné, Benoît Ramampy est né à Ambalavao en 1947, il a traversé les grands événements de son pays, Madagascar. Agitateur pudique mais déterminé, il n'a eu de cesse de vouloir faire des films, offrant au cinéma malgache ses premières récompenses internationales. L'histoire de cette cinématographie méconnue se déroule sous couvert des relations ambigües entretenues entre la France et Madagascar.

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Informations

Publié par
Date de parution 15 janvier 2015
Nombre de lectures 17
EAN13 9782336367187
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

KarineBlanchon
CAMÉRA REBELLE
Un portrait du réalisateur Benoît Ramampy
Préface du Pr. Françoise Raison-Jourde
II mages plurielles I I I I
CAMÉRA REBELLE
Collection Images plurielles dirigée par Olivier Barlet (cinéma) et Sylvie Chalaye (théâtre)
Face à la menace de standardisation occidentale, la collection Images plurielles se donne pour but de favoriser la recherche, la confrontation et l’échange sur les scènes et écrans oeuvrant de par le monde, dans les marges géographiques aussi bien que dans la marginalité par rapport aux normes dominantes, à une pluralité de l’image. Elle est ouverte aux champs de l’écriture, de l’esthétique, de la thématique et de l’économie pour le cinéma, l’audiovisuel et le théâtre. Elle privilégie, hors de toute chapelle de pensée, la lisibilité du texte, la liberté des idées et la valeur documentaire.
Dans la même collection :
Bernadette PLOT, Un manifeste pour le cinéma : les normes culturelles en question dans la première Revue du cinéma, 288 p. (Prix Simone Genevois 1994). Littérature et cinéma en Afrique francophone : Ousmane Sembène et Assia Djebar, sous la direction de Sada NIANG, 1996. Kof KWAHULÉ, Pour une critique du théâtre ivoirien contemporain, 288 p., 1997. Olivier BARLET, Les Cinémas d’Afrique noire : le regard en question, 352 p, 1997. (Prix Art et Essai du CNC 1997). Antoine COPPOLA, Le Cinéma sud-coréen : du confucianisme à l’avant-garde - Splendeurs et misères du réalisme dans le nouvel ordre spectaculaire, 224 p., 1997. Yves THORAVAL, Les Cinémas de l’Inde, 544 p., 1998. Sylvie CHALAYE, Du Noir au nègre : l’image du Noir au théâtre (1550-1960), 454 p., 1998. Jean-Tobie OKALA, Les Télévisions africaines sous tutelle, 224 p., 1999. Roy ARMES, Omar Gatlato, de Merzak Allouache : un regard nouveau sur l’Algérie, 128 p., 2000. Paulo Antonio PARANAGUÁ, Le Cinéma en Amérique Latine : le miroir éclaté – historiographie et comparatisme, 288 p., 2000.
Karine BLANCHON
CAMÉRA REBELLE
Un portrait du réalisateur Benoît Ramampy
Préface du Pr. Françoise Raison-Jourde
Préface
Ayant mené une première étude de caractère général sur le cinéma à Madagascar, publiée en 2009, Karine Blanchon s’attache maintenant à sortir de l’ombre une gure particulièrement attachante, celle de Benoit Ramampy, disparu en 1996 à l’âge précoce de 49 ans. Je salue sa ténacité car la mémoire des artistes est peu entretenue à Madagascar et les copies de lms sont bien mal sauvegardées. Restituer une œuvre est de ce fait un dé face à une certaine indifférence. Restituer sa genèse au sein d’une famille, d’une génération de cinéastes dont plusieurs sont également disparus relève d’une longue obstination et d’un talent véritable de chercheuse. Certes durant l’hiver des Hautes-Terres, en août 1999, la sœur de Charles et de Benoit a procédé à un grandiose Famadihanapour le transfert de leurs restes mortels dans un splendide et ostentatoire tombeau, avec feu d’artice sur le bourg betsileo d’Ambalavao, exposition de photos et projection publique du lm de Benoit :Dahalo, Dahalo. Mais on reconnait là le paradoxe bien malgache qui 5
consiste pour les vivants à glorier de manière grandiose leurs morts avec l’excuse de la piété familiale, en augurant des retombées positives pour leur propre image : à cette date, les élections municipales approchent et leur sœur, active en politique, est une ainée protectrice mais aussi une maitresse-femme, telle l’andriambavitoalahy, « la noble dame qui assume le rôle d’un homme » dans les contes. Inversement le l du destin de Ramampy fut trop tôt coupé, on le pensera sans doute en lisant ce livre. Mais en s’attachant à la genèse de sa personnalité, à son mode de vie sur fond d’un réseau d’amitiés, en campant les déceptions dus au manque de crédits pour ce qui était le premier cinéma d’auteur de l’Île, Karine Blanchon nous restitue en fait un « air du temps » rarement perçu. Au l de cet itinéraire, nous passons d’une coopération très (trop ?) généreuse qui permet un temps de mener une vie de bohème, au temps des vaches maigres, qui suit assez rapidement la chute du président Ph. Tsiranana, en 1972.
La genèse d’une personnalité Karine Blanchon note chez B. Ramampy une bascule fréquente entre deux personnages comme s’il s’était construit en double. Elle éclaire bien ce fait en revenant sur l’ascension remarquable du père, grâce au métier des armes dans la période de la première guerre mondiale, qui lui permet de sortir de Madagascar. On pense à un autre Betsileo qui s’est engagé lui aussi, pour partir : Ralaimongo.
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Si ce dernier demande au long de sa vie de militant l’accès de tous les Malgaches à la citoyenneté française, Ramampy père refusera de la demander pour lui seul, comme sa carrière militaire le lui aurait permis. Les deux attitudes ne sont pas opposées : ni l’un ni l’autre ne veulent « lâcher » leurs compatriotes. La répression du soulèvement de 1947, à laquelle il n’est pas amené à participer, bloque l’ascension politique des élites merina mais accélère celle des Betsileo jugés a priori loyalistes. Parti pour Paris en 1948, élu sénateur de l’Union Française en 1952, le père entraine les enfants, au grand dam de la mère illettrée, qui s’adapte très mal. Cela ne signie chez elle aucune incapacité puisque, devenue veuve, elle fait vivre la famille : petit commerce, achat de terres, construction de maisons à louer. Restée très malgache, elle fera sa cuisine à Ambalavao, non pas dans une pièce fermée à cet usage, mais sur le palier à ciel ouvert entre deux volées d’escalier de sa maison à varangues. Dedans/ dehors, cette expérience vécue à Paris par Benoit dans une classe où il est le seul élève « de couleur », est redoublée du fait de la divergence entre ses parents dans le lien intériorisé ou non à la France. Le basculement est souvent déroutant pour son entourage entre son allure de cinéaste cultivé (voiture, moto, costumes sur mesure) et son aspect volontiers rustre, intimidant le tananarivien dont il toise la taille en général modeste du haut de son mètre quatre-vingt-deux, coiffé à l’afro, en pantalons larges. Fruit de ces contradictions, il mène dans la capitale une vie de bohème, au sens des artistes et rapins du XIXe siècle :
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changements d’adresse fréquents à une époque où la ville n’est pas surpeuplée et le logement bon marché, amours brèves ou impossibles, réunions musicales impromptues, recours à l’alcool qui est à la fois rempart contre la médiocrité du quotidien, carburant de la création, passeur vers une vie en double et consolateur de fréquents échecs. Ces traits identient plusieurs générations de créateurs locaux, dont certains l’ont précédé. Rabearivelo et ses paradis articiels, marqué jusqu’au suicide par l’échec de son projet de voyage en France, Dox, poète et traducteur de théâtre anglais et français sorte de Verlaine malgache, Dama Ntsoha, brillant jésuite sorti de son ordre, écrivant, publiant sur l’héritage boudhiste qu’il croit déchiffrable dans le passé malgache, tout en sombrant dans la misère. Mais, et nous suivons ici le l de « la vie en double », chacun de ces traits prétendument exotiques prouverait aussi bien l’enracinement dans l’héritage betsileo. La musique ? Les Betsileo sont de fabuleux joueurs dekabosy, cette guitare traditionnelle, construite par des artisans locaux ou les jeunes paysans, souvent pourvue de freins de vélo en guise de cordes, que Jean-Emilien porte à un niveau d’audience mondial, entre 1983 et 1989, années où Benoit, qui a fait du piano à Paris, fait, lui, du jazz avec les copains à ses heures perdues, d’où le surnom de Monk, par référence à Thelonious Monk, célèbre jazzman noir qui vécut de 1917 à 1982 et se trouvait dans les années 70 au fait de la célébrité. La musique, mais aussi l’alcool. Les missionnaires et les services de santé n’ont cessé de vitupérer les grands
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rituels betsileo et l’enterrement au premier chef, pour les ots d’alcool qui y coulent et la licence des mœurs qui s’y étalerait. La levée de tous les interdits signie en fait l’afrmation collective de la fécondité de la vie triomphant de la mort. Une amie chercheuse se trouve invitée par la famille Ramampy à la suivre non loin d’Ambalavao, pour y assister à la prise de possession d’une propriété qui nécessite l’accomplissement d’un rite. Sur cette terre se trouve un vaste tombeau en forme de caveau comme il est d’usage et la famille des vendeurs qui ont là leurs ancêtres, s’est déplacée pour participer au rite qui exige son agrément. La nouvelle venue assiste, médusée sans rien y comprendre, au sacrice d’un bœuf dont la queue coupée est installée à la place de la tête et vice versa. Elle n’en note pas moins que le frère de Benoit, plus âgé que lui, Charles, s’est avancé pour recevoir la queue et que c’est à sa sœur, de fait l’aînée, mais une femme, qu’elle est remise par les anciens propriétaires. Tout le monde boit énormément, conformément à la coutume, beaucoup à s’en rendre malades. On boit dutoaka gasy, alcool artisanal fait sur la falaise forestière de l’Est, parfois frelaté, on boit de plus en plus de vodka et de whisky sous la seconde République.
 La genèse d’une œuvre
 Dans ces conditions peut-on analyser l’œuvre cinématographique comme une forme de rébellion et si oui, rébellion contre quoi ?
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