L improvisation musicale
211 pages
Français

L'improvisation musicale , livre ebook

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Description

L'improvisation musicale est fréquemment décrite comme une distraction, dont on loue la parfaite spontanéité. Pourtant, on constate qu'elle relève généralement d'un véritable travail d'apprentissage et de préparation, le plus souvent invisible au public. Ce simple fait démontre qu'elle est au centre d'enjeux sociaux majeurs : face à un auditoire, le musicien qui improvise met en jeu sa dignité et son prestige social. L'improvisateur est par conséquent sujet à de fortes contraintes sociales : il doit absolument faire bonne figure.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2010
Nombre de lectures 391
EAN13 9782296254022
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

I) Avant-propos
Introduction
Dans sa définition la plus commune, improviser c’est concevoir et exécuter dans un même instant un discours ou un acte, qu’il soit musical, littéraire, théâtral ou autre. Ce fait présuppose l’absence de préparation, de préméditation de l’acte qui semble totalement spontané. Ainsi, l’improvisation apparaît souvent comme la réponse d’un individu à une situation impromptue. Du reste, il semble que le terme improvisation porte une connotation particulièrement ambiguë. D'une part, elle paraît valorisante : surmonter l’adversité, alors que l’on semblait à bout de ressources, acculé à l’obstacle. D’autre part, elle est souvent associée à l’idée de dilettantisme, de légèreté, si l’on considère qu’une personne improvise non par nécessité, mais par faute d’anticipation. À l’individu pris au dépourvu, face à un événement qui survient de manière imprévue, on suggère : improvise ! Mais a contrario, le peintre, désireux de faire valoir un savoir-faire nécessitant une grande expérience déclarera : — « on ne s’improvise pas aquarelliste ».En conséquence, le terme « improvisé » désigne tout autant la spontanéité, que l’urgence ou l’audace, l’insouciance, selon que l’improvisateur est contraint de recourir à cette pratique par un événement inattendu ou qu’il en use pour pallier une absence de planification, un manque de prévision. Qu’en est-il dans le domaine des arts ? L’acception commune du terme sous-entend une fraîcheur quasi totale, une absolue spontanéité. L’improvisateur, qu’il soit musicien,
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poète, ouacteur, serait apte à élaborer un discours dont il n’avait pas la moindre idée, un instant auparavant. L’instrumentiste semble créer une musique ex nihilo, ce qui s’apparente à un prodige.C’est du moins une vision romantique particulièrement répandue. Pourtant, un fait attire notre attention.L’existence de classes d’improvisation dans certaines écoles et la diffusion de nombreuses méthodes pédagogiques, en particulier dans le domaine du jazz, supposent qu’une telle musique repose sur un savoir transmissible, évaluable par des critères objectifs et qu’elle est donc potentiellement l’objet d’un travail, d’un apprentissage.Cela remet en question l’idée de don, d’inspiration, si fréquemment associée à l’improvisation musicale.Par ailleurs, on se plaît souvent à décrire ce type de musique comme une vétille, un objet sans réelle gravité. Qréellement ?u’en est-il L’improvisation n’est-elle pas le centre d’importants enjeux sociaux plus conséquents en tout cas qu’on ne veut en convenir ? En conséquence, il convient de replacer cet objet dans la réalité sociale qui est la sienne, afin de mieux comprendre les enjeux qui orientent l’improvisateur, les contraintes qui s’exercent sur lui et pèsent sur ses conduites.Car comme 1 l’écritVladimirJankélévitch : - «Improviser quand on est pris au dépourvu, qu’est-ce d’autre que bâcler ?» L’instrumentiste qui découvre la musique improvisée, se rend vite à la conclusion que la spontanéité affichée, n’est pas aussi absolue qu’il y paraît.Pourtant, on présente volontiers l’improvisation comme un élan, le jaillissement soudain d’une force mystérieuse, un don qu’il serait vain d’expliquer. Loin de cette vision simpliste et réductrice, le musicien
1 VladimirJankélévitch.Liszt. 1998.Flammarion. p 110.
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découvre que cettepratique requiert un apprentissage, des entraînements, certes différents de ceux qu’exige la musique écrite, mais pas nécessairement moins importants.Selon le fameux mot : « improviser ne s’improvise pas ».Alors, on s’aperçoit que l’improvisateur, hors de la scène, travaille ses gammes, étudie l’harmonie des morceaux qu’il doit jouer et parfois même, répète, et mémorise son discours musical, ce qui peut constituer une esquisse d’écriture.Parfois, on peut même parler de notation de l’improvisation. Ces cas extrêmes suscitent par conséquent bien des questions.Pourquoi avoir recours à l’improvisation, si sa pratique s’apparente en fait au travail et à l’exécution d’une pièce de musique écrite ?Pourquoi ne pas dire : « j’ai composé un solo », plutôt que de parler d’improvisation ? Pourquoi revendiquer une spontanéité qui n’est en partie qu’illusion ?La réponse à ces interrogations doit sans doute être recherchée dans la manière dont musiciens et public perçoivent la musique improvisée. Afin de mieux comprendre ces phénomènes, nous nous proposons donc d’étudier l’improvisation musicale, objet de recherche intéressant et pourtant rarement évoqué dans les travaux sociologiques.Préalablement, il convient de définir précisément les contours de l’improvisation, tant elle se rencontre dans de multiples domaines.
II) Définir l’improvisation ?
Avant tout, attardons-nous sur le sens que prend le terme improvisation dans son acception la plus large.Sa définition précise et univoque n’est pas forcément simple.Bien souvent, ce mot est employé sans que l’on juge utile de préciser les
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domaines qu’il recouvre.Le philosopheJean-François de 2 Raymond distingue de nombreux domaines d’application de l’improvisation : dans l’art bien entendu, mais aussi dans les pratiques de la vie courante, comme le dialogue (la répartie est une forme d’improvisation), la politique, etc. Devant des domaines d’application aussi nombreux et disparates, on peut légitimement se poser la question de la pertinence et de l’unité du concept improvisation.Cependant, quel que soit l’objet auquel elle s’applique, la définition du terme comporte quelques caractéristiques constantes qu’il faut clarifier.Improviser vient du latinimprovisus, ce qui signifie imprévu.Étymologiquement, improviser c’est faire face à une situation imprévisible.De cela découlent deux remarques. D'abord, elle se définit communément par l’absence de préparation.Préparer c’est anticiper, or, toute prévision est antinomique à la définition première : l’imprévu.Les articles de dictionnaire sont unanimes, une improvisation se pratique sans préparation aucune.De ce fait, toute idée d’un quelconque apport préalable à la réalisation, fait perdre son statut spécifique à l'improvisation : - «On présente souvent comme improvisations des pratiques qui tiennent de la répétition leur perfection, même si elle donne l’impression du naturel par la grande familiarité du sujet avec ce qu’il fait[…] ». Seconde remarque, l’improvisation se définit comme un fait en interaction avec le contexte dans lequel elle se déroule. Une pratique qui instaure une dialectique entre l’environnement et l’acteur. Un stratège militaire peut mettre au point un plan d’action qui prendra en compte des données théoriques et des spéculations sur le déroulement de la
2 Jean-François deRaymond.L’improvisation. 1980.Vrin.
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