Les sanglots longs , livre ebook
151
pages
Français
Ebooks
2024
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Graphiste : Valentine Flork/A&L Livres
Supervision éditoriale : Diana Tass
Distribution : Immatériel
ISBN papier : 9782385330569
ISBN numérique : 9782385330576
2eme édition
Dépôt légal : janvier 2024
Éditeur : Les éditions d’Avallon
342 rue du Boulidou
34980 Saint-Clément-de-Rivière
© 2024 Les éditions d’Avallon
Collection noire & suspense
Les sanglots longs
Du même auteur
TÉMOIGNAGES
Itinérances , éditions Placebo, 2021
ROMANS
Demain ne sait jamais , éditions Placebo, 2022
Le témoin d’Abbey Road , éditions Même pas peur !, 2020
Le Sang des Cerises , éditions Nord Avril, 2016
Mistral Gayant , éditions Ravet-Anceau, 2010
Requiem à Saint-Eloi , éditions L’écailler, 2009
Talmas Tango , éditions du Riffle, 2006
La Polka de Saint Pierre , éditions Septentrion Noir, 2004, éditions du Riffle, 2006
Septentrion Blues , éditions Nord Patrimoine, 2003, éditions du Riffle, 2006
JEUNESSE
Un chemin vers la mer , Placebo éditions, 2021
Accrabe-moi si tu peux ! , éditions SN Jeunesse, 2019
NOUVELLES
Rêve d’Aden , in Nouvelles Buissonnières (Arthur Rimbaud à Douai), éditions Nord Avril, 2021
À bicyclette , in Rouge cent , Arcane éditions, 2020
Dernière Carte , in Catalans , Arcane éditions, 2019
Le papillon Rouge , in 1917 , Arcane éditions, 2017
Zapping , in Mortelles Primaires , Arcane éditions, 2016
Premier café , in La Revue du Progrès, septembre 2012
Contrainte par corps , in Délicieux Beffrois , Le Geai Bleu éditions, 2007
Baraka Frite , in Le Nord de la Frite , Factory éditions, 2006
Philippe Masselot
Les sanglots longs
ROMAN
Chapitre 1
L’homme reposa la tasse de café, regarda devant lui. Un flot régulier de véhicules montait et descendait l’avenue, mais il n’y prêtait pas vraiment attention. Il étendit les jambes avec précaution sous la table métallique un peu instable. Quel bel après-midi… C’était toujours ça de pris, avant les mois de grisaille. Il tapota la poche de son veston, y plongea la main et en sortit un paquet de Gitanes un peu écrasé. C’est pour cela qu’il avait choisi cette place en terrasse, un peu à l’écart des autres. Il craqua l’allumette, plissa les yeux.
Marie regarda le premier panache de fumée monter dans l’air tiède et se confondre avec le ciel à peine voilé. Exceptionnellement, elle avait délaissé le linge pour l’accompagner. Le travail serait fait à l’heure, alors quelle importance ?
Il suivit du regard une passante habillée avec goût, et qui semblait hésiter sur la direction à prendre. D’une main, elle tenait un morceau de papier, de l’autre un sac de voyage où l’on distinguait nettement les initiales L et V entrelacées. Il observa un moment la façon dont cette femme marchait : le pied bien posé devant l’autre, sur la même ligne, à la manière des mannequins. Elle avait les mollets fins et musclés. Est-ce que toutes les femmes élégantes marchaient ainsi ? C’est vrai qu’il n’avait jamais prêté attention à ce genre de détail. Il préférait arrêter son regard à d’autres niveaux.
Celle-ci, par exemple. Non… Les pieds de la nouvelle venue progressaient en parallèle, beaucoup plus… comment dire ? Beaucoup moins mannequin en tout cas.
— Elle te plaît ?
Marie avait suivi son regard et s’en amusait. Lui soupçonnait dans ces mots une pointe de jalousie. Mais les consignes à la maison étaient claires : pas d’histoire entre employés. Pas d’histoire, ou la porte.
Il ignora la question de sa collègue et écrasa le reste de la Gitane sous sa semelle. Son portable venait de vibrer : un message de Gabriel, le chauffeur, le rappelait à son devoir de majordome.
Il regagna l’appartement de Monsieur par la porte de service, à deux pas du Café des Sports, vérifia machinalement sa tenue dans le miroir d’entrée et se glissa dans le boudoir, plateau d’argent sur la main droite. Il le vérifia une dernière fois : tasses dorées à l’or fin, cuillères, sucre, lait et bien sûr la cafetière. Les riches sont donc incapables de prendre le café dans des tasses ordinaires…
Il déposa la charge sur la table d’albâtre dressée exactement au centre de la pièce, entre les fauteuils de cuir, et lança un regard vers la porte entrouverte du bureau voisin. Monsieur est servi . Un large miroir bordé d’or lui renvoya l’image d’une nuque couverte de cheveux blancs un peu ondulés. Il devina une seconde présence.
— Enfin, quinze jours, je te demande de te tenir tranquille quinze jours ! Qu’est-ce que c’est, dans une vie, quand on a ton âge ?
Le majordome identifia une certaine lassitude dans la voix de son employeur. La réponse, un murmure indistinct. Il se demanda si le maître avait bien entendu son annonce, puis décida de se retirer discrètement. Il eut encore le temps d’entendre la voix qui répétait :
— Quinze jours !
C’est vrai. Quinze jours, dans une vie, ce n’est rien…
Sauf quand ce sont les derniers.
Chapitre 2
Les mains gantées refermèrent fébrilement la glissière du sac, et les deux pans de cuir brun masquèrent le Beretta 76. C’est le nom que le revendeur lui avait donné, cet après-midi, avec l’assurance que l’arme était d’un maniement facile, avec une pente de crosse agréable, un faible recul, et d’autres détails impossibles à retenir pour les non-initiés. Le type avait voulu lui en mettre plein la vue, tant il est vrai que l’ignorance en la matière se lisait sur son visage, ce que l’imprécision de ses exigences confirmait rapidement. L’autre pouvait lui raconter n’importe quoi, l’escroquer même, et empocher la confortable enveloppe remise en échange d’un coucou hors d’usage. Alors, à un moment donné, il avait fallu faire illusion.
— J’ai fait du tir en stand, à Saint-Ouen.
C’était vrai. Une concession face aux insistances de son entourage, quelques années plus tôt.
— Vous aviez quoi comme flingue ?
— Un 22, à air comprimé.
Précision ultime, au bout de ses connaissances :
— Je faisais du tir à 25.
L’autre avait hoché la tête.
— Demain, même lieu, même heure.
Puis l’homme avait quitté rapidement le banc, comme s’il venait de se souvenir d’une course à faire.
Même lieu, même heure. Un bon choix, après tout : au milieu de l’après-midi, le parc était surtout fréquenté par des couples âgés et quelques mamans qui poussaient des landaus. Peu de chance de se faire repérer par des flics à la chasse aux pervers, l’école la plus proche était à huit cents mètres et, à cette heure-là, les gosses étaient en classe.
Cela lui avait d’abord pris deux jours de recherche dans les troquets un peu borgnes de la banlieue. Une conso, puis un geste discret au patron.
— Je cherche une arme, non, sans déclaration en préfecture.
Les dix-huit premières tentatives s’étaient soldées par un regard réprobateur, ou alors le patron avait tourné les talons avec un étrange bruit de gorge qui concentrait toute sa désapprobation. Souvent c’est la présentation du ticket droit devant les yeux qui avait tenu lieu de réponse.
Il est vrai que sa silhouette frêle n’inspirait ni le respect, ni le sérieux, ni même aucune crédibilité. Au pire, c’était là une démarche de flic. On l’imaginait mal en train de soulever une arme, encore moins d’appuyer sur la détente, encaisser l’impact et le recul sans une ou deux fractures de ses bras fins qu’on devinait sous le manteau de laine noire.
La main gantée soupesa le sac. Ce n’était pas si lourd que ça… Juste le poids d’une délivrance.
Bientôt 17h30. Le rendez-vous était pour dans deux heures, cela lui laissait tout le temps d’aller sur place, prudemment, de voir si ce pourri avait bien respecté les consignes : venir seul, sans arme (ça, ce serait impossible à vérifier). À cette période de l’année, l’orée du bois serait déjà plongée dans une obscurité raisonnable qui lui permettrait d’agir tranquillement. Avant, arrêt obligatoire au parking 4. Il faudrait attendre le passage du RER sur le pont métallique proche pour essayer l’arme… le Beretta, au moins une fois avant d’agir.
Ses pensées étaient calmes, ordonnées, ce qui l’étonnait, certes, mais cet étonnement même ne venait pas voiler sa lucidité et sa détermination d’agir. Comme un chef, mesdames, messieurs, on avait traité ça comme un chef ! Et l’affaire irait au bout maintenant, c’était certain.
La voiture était au garage, et le sac put gagner le coffre sans se dévoiler aux regards indiscrets des voisins.
Comme prévu, la Ford s’immobilisa au bout du parking 4, complètement désert, à l’exception d’une vieille Peugeot que des gamins avaient dû faire brûler là depuis sa dernière reconnaissance. D’habitude, un tel lieu isolé lui faisait peur, mais aujourd’hui la présence de l’arme dans le coffre lui donnait une assurance surprenante devant les rangs serrés des arbres que l’obscurité naissante avait entrepris de souder et qui masquaient les lignes de chemin de fer.
Une légère vapeur s’échappait de ses lèvres. Ce soir il ferait froid, tant mieux, ce serait autant de promeneurs et gêneurs en moins. Un dernier regard circulaire avant d’ouvrir le coffre : personne, absolument personne. Le lieu ne devait décidément pas être sûr, c’était parfait.
Le glissement de la fermeture éclair couvrit un instant la rumeur du périphérique ouest, pas si éloigné, finalement. Puis l’arme vint se loger dans sa paume, trouva tout de suite sa place. C’est ce que l’autre appelait sans doute une… chose de crosse agréable.
Une légère transpiration lui monta le long du dos. C’était maintenant que tout allait se jouer : si l’essai n’était pas concluant, si le recul était trop fort, c’était fichu. Ses amis riaient toujours quand ils voyaient le héros d’un film bondir à l’horizontale, une arme dans chaque poing, arrosant ses adversaires déjà morts d’une pluie de plomb. Non mais, ces Américains, des comiques ! À deux mains déjà, tu as du bol si tu ne te casses rien ou si tu ne lâches pas le pétard au cours du vol plané ! Du cinéma…
L’arbre mort, là