Francophones et plurilinguismes
93 pages
Français

Francophones et plurilinguismes , livre ebook

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Description

Dans les années à venir, les personnes non francophones "de souche" contribueront sans aucun doute à la définition du statut qu'aura le français dans un marché linguistique globalisé. Du point de vue de ceux qui s'efforcent de promouvoir son rayonnement, la connaissance de la place que le français occupe dans les pratiques et les identités de personnes auxquelles il a été transmis parmi d'autres langues est utile en vue d'établir des politiques linguistiques adéquates...

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Date de parution 08 juin 2015
Nombre de lectures 4
EAN13 9782875255358
Langue Français

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Extrait

Silvia Lucchini, Philippe Hambye, Gilles Forlot & Isabelle Delcourt FRANCOPHONES Fr ET PLURILINGUES Le rapport au français et au plurilinguisme des Belges issus de l’immigration Français&Société 1S9(2008)o
Silvia Lucchini, Philippe Hambye, Gilles Forlot & Isabelle Delcourt
FRANCOPHONES ET PLURILINGUES
Le rapport au français et au plurilinguisme des Belges issus de l’immigration
Cette recherche a été financée par une subvention accordée par le Ministère de la Communauté française – Service de la langue française
 E.M.E.
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© E.M.E. & InterCommunications, s.p.r.l., BE – 1040 Bruxelles et 5380 Fernelmont, 2008
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Préface
Dans la vie quotidienne, les rêves débouchent toujours sur la réalité des ré veils. Les premiers sont habituellement parés de qualités que ne révèlent géné ralement pas les seconds. Dans la vie de l’humanité, l’histoire souligne parfois, mais nécessairementa posteriori, la grandeur de projets collectifs qui éclairent, ensuite et pour un temps, les générations suivantes, comme si les modèles de nos prédécesseurs étaient les meilleurs garants de nos propres cheminements. Parmi les grands projets collectifs occidentaux, élargis éventuellement aux di mensions de la planète, la constitution des EtatsNations prend, en Europe occidentale, la relève du projet impérial romain. Initialement, la diversité eth nique, culturelle et linguistique, des communautés qui les constitueront, de gré ou de force, n’entre pas en ligne de compte dans ce grand projet politique, au point que la France où le processus débute fort tôt ne compte au moment de la Révolution de 1789 qu’environ trois millions de sujets qui comprennent le français, soit environ dix pour cent de la population totale du pays. Ailleurs, en Italie ou en Espagne, dans le RoyaumeUni ou en Allemagne, l’unification est ou plus tardive ou moins poussée. En Italie, par exemple, au moment du Risorgimento, le pourcentage de ceux qui pratiquent ce qui deviendra l’italien littéraire est encore bien plus faible. Historiquement, la langue, dans nos pays, n’a donc pas constitué un facteur d’unification, ni un élément de regroupe ment. D’ailleurs, en plusieurs endroits, des communautés linguistiques sont aujourd’hui encore partagées entre plusieurs Etats.
Certains évoqueront le fait qu’une langue commune n’était pas indispensa ble à ces époques puisque durant tous ces siècles le latin, survivance de l’Em pire romain moribond et expression du Catholicisme romain triomphant, continua de servir de langue commune pour le faible pourcentage de ceux que leurs fonctions conduisaient à entrer régulièrement en contact avec des personnes allophones. Il n’empêche que de Dante à Cavour en passant par François Ier et Luther, les langues vulgaires, les langues parlées par les com munautés, cantonnées d’abord dans des usages locaux ou, progressivement et pour des motifs variables, dans des fonctions plus officielles commencent à se manifester. Après l’agonie de l’Ancien Régime et les soubresauts de la Révolution, la Restauration mesura mal combien la question des nationalités modifierait radicalement les rapports entre les communautés. Sur le Vieux
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Continent dans les interstices des grands ensembles héritiers des siècles pré cédents ou dans ceux qui se mettent en place sur leurs ruines, le principe des nationalités suscite un peu partout des exigences linguistiques et culturelles portées par des Vuk Karadzic ou des Guido Gezelle. Partout en Europe, les parlers locaux sont étudiés, mis par écrit, parlés et utilisés comme langues na tionales. Dans les passions romantiques, une équation se forge visant à poser la langue comme premier et principal vecteur de l’identité d’un peuple.
Dans le même temps, des paradis nouveaux, contemporains, se forgent, dans les imaginations du moins, prônant, en opposition aux souffrances et à la misère ambiantes, des projets politiques novateurs dont l’ambition est d’ap porter, dans un avenir encore incertain, mais dès icibas, un bonheur juste et équilibré aux humains ou, au contraire, de promettre dès à présent une prospérité à ceux qui auraient le courage de migrer vers de Nouvelles Fron tières. Les deux modèles connaissent leurs succès de foule. Mais la réussite américaine, car celleci frappe fortement les esprits surtout après les grandes Guerres mondiales et le déploiement impressionnant d’une superpuissance, se conjugue à la mondialisation qui survient pour laisser croire que la seule solution pour l’avenir de l’humanité serait l’uniformisation progressive et la disparition de la diversité des langues et des cultures, rendue responsable des dissensions et des conflits entre les communautés.
Dans ce contexte, la reconstruction d’une Europe meurtrie par les guer res s’accompagne heureusement d’une volonté de construction d’un monde différent. L’unification européenne apporte des résultats tangibles dans de nombreux domaines. La nécessité de travailler quotidiennement en commun et la liberté de circulation des biens et des personnes renforcent en Europe occidentale les effets de flux migratoires, rendus indispensables et importants par la dénatalité et par les guerres, et ceux de communications fréquentes entre les membres de l’Union. Un monde totalement nouveau naît ainsi sous nos yeux : un monde où la mixité des langues et des cultures ne doit pas obligatoirement se dissoudre dans une langue et une culture communes. Le modèle européen oscille en effet entre deux pôles : même si toutes les langues officielles de l’Union n’ont pas concrètement le même statut, ni des usages identiques, elles sont toutes reconnues et chacun peut librement s’exprimer et s’éduquer dans celle qui lui convient ou dans celle dont il provient. Par ailleurs, nombre d’immigrés récents proviennent de pays proches, devenus entretemps des partenaires. Si bien que les migrants économiques de la pre mière heure, fréquemment assimilés par nécessité pratique au peuple qui les accueille, sont rejoints peu après par des compatriotes, migrants individuels, instruits, nantis, appartenant aux cadres dirigeants ou destinés à le devenir.
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L’Europe de la diversité vécue comme un état naturel et positif est née. Le modèle européen fonctionne et séduit, on le cite, on le copie, on le prend en exemple. L’avenir de l’humanité cesse d’être uniforme, après qu’on ait craint qu’il soit pour tous sous l’uniforme. Ce qui a changé, ce qui change, ce sont les attitudes identitaires, individuelles et collectives. À cet égard, l’étude qu’on va lire fait date. D’abord parce qu’elle donne la parole aux témoins réels des changements qui interviennent et qui conditionnent notre avenir, européen notamment. Ces témoins ont leur histoire, leur trajet de vie, ils sont issus de leur communauté d’origine, mais dans le même temps ils ont établi des ponts solides avec les francophones de notre pays et ils font désormais partie des premiers de même qu’ils sont chez eux ici. Certains veulent conserver des traits identitaires originaires, dont la langue bien souvent, d’autres préfèrent s’assimiler : les trajets individuels diffèrent, les identités deviennent plus com plexes. Chacun doit prodiguer d’importants efforts pour réussir la rencontre avec l’autre.
Ce sont toutes ces histoires qui apparaissent dans ce volume. Le passé ré cent, l’avenir immédiat, les réussites, les échecs, tout se joue encore, mais maintenant. Les auteurs de la présente étude ont combiné leurs savoirs, ils nous apportent un éclairage double, original, qui porte sur l’intersection entre des attitudes, des choix, des opinions individuelles et d’autre part des com portements et des projets collectifs. Les auteurs nous donnent, par leurs ana lyses, les moyens de bâtir une terre diverse et hospitalière. La francophonie de demain, à l’instar des autres communautés linguistiques importantes, se bâtit par ces patients métissages où les francophones d’hier reçoivent d’allophones étrangers un apport qui dépasse largement le cadre strict de l’économie pour nous enrichir réciproquement pourvu qu’on puisse les accueillir, les compren dre, leur parler aussi… dans leur langue et dans la nôtre, même si celleci est devenue également la leur. C’est pour chacun la meilleure défense et la meilleure illustration du français comme des autres langues. Voilà le message que le lecteur retire de la lecture de cette recherche plurielle, fouillée et géné reuse.
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Guy Jucquois
1.1. Repères théoriques
Chapitre I Ouverture
a recherche que nous avons réalisée et que nous présentons ici traite de questions en relation avec l’immigration et la langue aseulofnralneçsLsieailseuqitarpsel:suenglaxautgesdeslanguesgniutsqieusu(aseuat),rseslttanimrofngueslatatus(sseetiduselvnreelav,stac,sru dans le contexte de la Belgique francophone. Nous avons es sayé de décrire et comprendre, grâce à des entretiens semidiri gés, trois aspects du rapport des Belges issus de l’immigration ractéristiques attribués aux langues) et les identités linguistiques (sentiment d’appartenance à telle ou telle communauté, affects reliés à la pratique de telle ou telle langue, etc.).
Dans les années à venir, les personnes non francophones « de souche » contribueront sans aucun doute à la définition du statut qu’aura le français dans un marché linguistique globalisé. Du point de vue de ceux qui s’effor cent de promouvoir son rayonnement, la connaissance de la place qu’il occu pe dans les pratiques et les identités de personnes auxquelles il a été transmis parmi d’autres langues est utile en vue d’établir des politiques linguistiques adéquates.
Plus généralement, l’un des enjeux des prochaines décennies est celui du maintien d’un monde linguistiquement pluriel, où le français a certainement sa place parmi d’autres langues. Or, les sociétés où coexistent une multitude d’idiomes et de cultures en sont déjà, en quelque sorte, la préfiguration. Si on se place du point de vue des personnes issues de l’immigration, ces sociétés représentent un terrain d’analyse des conditions qui permettent une intégra tion, non génératrice de violence symbolique, des différentes composantes linguistiques et culturelles.
Notre perspective est celle d’aborder ces questions du point de vue de ceux qui les vivent. Il ne s’agit donc pas d’élaborer, à partir de cadres théoriques préconstruits, des hypothèses qui seraient confirmées ou infirmées par les propos de notre population d’étude, notre recherche étant essentiellement exploratoire. Cependant, un certain nombre de repères théoriques, que nous
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synthétisons cidessous, nous ont été nécessaires. D’une part, ils ont été à la base de l’élaboration du guide d’entretien et ont fourni des outils d’interpré tation des résultats. D’autre part, les analyses du discours de nos informateurs ont tenu compte des discussions qui animent la communauté scientifique, de manière à ajouter une voix supplémentaire au débat.
1.1.1. Les rapports entre langue et identité
Les individus se définissent en termes personnels et en termes de catégories sociales ayant une valence positive à leurs yeux, catégories indispensables à l’être humain pour simplifier la complexité des informations (Leyens et Yzer byt, 1997). Selon la théorie de l’identité sociale (voir Tajfel, dans Leyens et Yzerbyt, 1997), la valorisation de soi passe par la valorisation du groupe auquel on appartient en contraposition à un autre groupe auquel on le compare. Les identités sociales sont multiples, parce que les groupes d’appartenance le sont également.
Les individus définissent donc aussi les autres individus selon des caté gories sociales qui s’accompagnent d’une hiérarchie de valeurs, négociées au sein des groupes d’appartenance. L’identité collective n’est pas pour autant le produit d’une coconstruction d’acteurs libres et égaux. Il existe au sein de tout groupe social des rapports de pouvoir qui permettent à certaines voix de se faire entendre plus que d’autres et à certains discours d’avoir une légitimité dont d’autres ne jouissent pas.
Plusieurs discours sur l’identité collective se retrouvent par conséquent au sein d’une même communauté, mais ils occupent des espaces et statuts distincts. Lorsque des traits, des catégories sont dévalorisés à l’intérieur du groupe d’appartenance, diverses stratégies sont mises en place en vue d’éta blir un sentiment de valeur personnelle au sein de ce groupe. Ces stratégies, en grande partie décrites dans Camilleri, Kastersztein, Lipiansky, Malewska Peyre, TaboadaLeonetti et Vasquez (1990), comportent entre autres une sé lection plus ou moins consciente, dans le champ des possibles, des catégories sociales que l’on choisit de mettre en avant, ou de mettre en sourdine.
La définition positive de soi et le sentiment d’appartenance à un groupe social (identité personnelle et sociale) sont par conséquent le résultat de la dynamique interactive entre des individus inégalement positionnés au sein de groupes.
Les langues que l’on parle font très certainement partie des traits défini toires possibles des individus et des communautés. Cependant, la langue, la
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religion, la couleur de peau, ou le lieu de naissance des parents, ne sont pas partout et pour tout le monde des éléments centraux de la représentation que les individus se font de leur identité. Comme pour les autres catégories sociales, l’importance qu’ils prennent ou non dépend largement des expérien ces personnelles et du contexte social dans lequel cellesci s’inscrivent et de leur valeur (légitimité, désirabilité sociale) au sein de ces contextes (Hambye et Siroux, 2007). L’inclusion de la langue dans les identités sociales apparaît par conséquent comme le résultat de trajectoires et de discours, plutôt que comme le fruit d’une association « naturelle » et immuable entre une langue et une identité donnée (Hambye et Siroux, 2007 ; Pujolar, 2008).
Dans le contexte qui est le nôtre, on peut s’attendre à ce que l’investisse ment identitaire des langues qui composent la constellation linguistique des Belges issus de l’immigration et le choix de se présenter comme locuteur de telle ou telle langue soient régulés de manière dynamique par des stratégies visant à parvenir à une définition positive de soi. Nous tâcherons de définir comment se construit cette dynamique ainsi que, dans la mesure du possible, les éléments qui contribuent aux configurations que nous pourrons mettre en évidence.
1.1.2. Les langues de l’immigration
La question des statuts et des valeurs attribués aux langues se pose d’une manière particulière dans les contextes d’immigration où la langue du pays de résidence occupe une place prépondérante en raison de l’accès aux ressources matérielles et symboliques qu’elle permet.
Au niveau des pratiques, des recherches mettent en évidence la tendance 1 à l’affaiblissement de l’usage des langues minoritaires , et le passage, au fil des générations, du bilinguisme au monolinguisme (voir Hamers et Blanc, 1983). Cette situation a été qualifiée de « soustractive » (par Lambert, 1977, initialement), la langue du pays de résidence finissant par remplacer la lan gue minoritaire même dans les contextes intrafamiliaux, par rapport à une situation « additive » où les deux langues se maintiennent et se renforcent mutuellement.
La responsabilité de ce transfert de langue et de l’arrêt de la transmission intergénérationnelle est en général attribuée à la dévalorisation que subissent les langues minoritaires, considérées comme moins prestigieuses. En ce sens,
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