Combats pour l école laïque en Alsace-Moselle entre 1815 et 1939
240 pages
Français

Combats pour l'école laïque en Alsace-Moselle entre 1815 et 1939 , livre ebook

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240 pages
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Description

Dans cette région de l'Est de la France, le statut de l'école est le fruit d'un passé complexe. De l'aube du XXe siècle, alors que s'achèvent les troubles révolutionnaires, à la Deuxième Guerre mondiale, les Eglises voient invariablement dans l'école primaire publique un moyen efficace de conquérir une influence politique. Mais les Etats-Nations en construction, la France et l'Allemagne, assignent à l'école un autre objectif : la formation de citoyens autonomes et productifs, par l'initiation aux sciences et aux techniques utiles à l'agriculture et à l'industrie, ainsi que par la connaissance du monde et de l'histoire de la patrie.

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Date de parution 01 février 2011
Nombre de lectures 114
EAN13 9782296455122
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

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Extrait

Combats pour l’école laïque en Alsace-Moselle entre 1815 et 1939
Historiques dirigée par Bruno Péquignot et Denis Rolland La collection "Historiques" a pour vocation de présenter les recherches les plus récentes en sciences historiques. La collection est ouverte à la diversité des thèmes d'étude et des périodes historiques. Elle comprend deux séries : la première s'intitulant "Travaux" est ouverte aux études respectant une démarche scientifique (l'accent est particulièrement mis sur la recherche universitaire) tandis que la seconde, intitulée "Sources", a pour objectif d'éditer des témoignages de contemporains relatifs à des événements d'ampleur historique ou de publier tout texte dont la diffusion enrichira le corpus documentaire de l'historien. Série Travaux Yves CHARPY,Paul-Meunier, Un député aubois victime de la dictature de Georges Clemenceau, 2011. Jean-Marc CAZILHAC,Jeanne d’Evreux et Blanche de Navarre, 2011 André FOURES,L’école du commissariat de la Marine (Brest 1864-1939), Regard sur soixante-dix promotions et un millier d’anciens élèves, 2010. Nenad FEJIC,Dubrovnik (Raguse) au Moyen-Age, espace de convergence, espace menacé, 2010. Jean-Paul POIROT,Monnaies, médailles et histoire en Lorraine, 2010.Michel GAUTIER,Un canton agricole de la Sarthe face au « monde plein ». 1670-1870, 2010. Tchavdar MARINOV,La Question Macédonienne de 1944 à nos jours. Communisme et nationalisme dans les Balkans,2010. Jean-René PRESNEAU,L'éducation des sourds et muets, des aveugles et des contrefaits,1750-1789, 2010. Simone GOUGEAUD-ARNAUDEAU, Le comte de Caylus (1692-1765), pour l'amour des arts, 2010.
Jean-Pierre Hirsch
Combats pour l’école laïque en Alsace-Moselle entre 1815 et 1939
L’HARMATTAN
© L'HARMATTAN, 2011 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-54100-9 EAN : 9782296541009
Dans les trois départements de l’est de la France, la création d’un es-pace public neutre idéologiquement n’a jamais été possible. Les principes qui régissent les rapports de la religion à l’école y sont restés ceux de la Paix d’Augsbourg de 1555 : l’État demande à ses agents de mettre leur enseignement en conformité idéologique avec les clergés qu’il rémunère. Même si aujourd’hui les pratiques ont quelque peu estompé le droit, les trois départements d’Alsace et de Moselle sont le seul endroit de la chré-tienté où l’on demande aux parents un acte volontaire pour obtenir une dispense d’enseignement religieux. Cette législation d’un autre temps fait de l’Est de la France, «eine verwahrloste Insel» d’après l’expression de H.-U. Wehler, une île abandonnée. En fait, cet état de la législation est un héritage récent, fortuit, mais défendu pied à pied par une Église unifiée, compacte, qui a su tirer profit de la menace séparatiste dans des provinces dont l’appartenance nationale fut, dans la deuxième moitié de notre période, régulièrement contestée. Les enjeux de ce combat qui a duré un siècle et demi nous sont devenus absolument étrangers.
Les limites chronologiques de ce combat sont nettement posées par l’histoire : il commence avec l’école primaire elle-même, l’apparition d’une méthode capable d’instruire des masses d’enfants à la fois. Il se termine avec l’apparition d’un ennemi commun, le nazisme totalitaire, dont l’antihumanisme brutal a réveillé tardivement certaines consciences chrétiennes et fait découvrir des valeurs communes qui requéraient un engagement bien plus risqué.
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1˚ Qu’est-ce que la laïcité ?
Le culte est public en France et en Allemagne, même pendant leKul-turkampf, même après la la loi de 1905. Mais les esprits ont gardé le souvenir, périodiquement réactivé par des publications, de la fermeture des églises sous la Terreur, la mutilation des statues, la transformation de l’abbatiale de Marmoutier en écurie. Les manifestations du culte ne sont pas systématiquement renfermées dans des églises, il peut même se dérouler en cortèges extérieurs.
Au-delà du culte, il y a la foi qui se place au fond des consciences et est sujette à des variations au cours d’une existence. Ni la révocation de l’Édit de Nantes, ni les mesures antireligieuses du stalinisme athée, ni la chasse aux Cathares, ni la Terreur n’ont éteint le foi ni même mis fin au culte. La laïcité — le mot laïque a été utilisé pour la première fois par V. Hugo en 1848 et désigne à partir de ce moment ce qui est extérieur à toute Église institutionnalisée — n’est pas le droit de croire ou de ne pas croire, ni celui d’organiser un culte publiquement. C’est, au cours de notre période, la liberté d’assister ou de ne pas assister à ce culte public, de refuser les voies du salut que les Églises proposent, et donc aussi de refuser une étiquette confessionnelle qui vous est attribuée par votre origine familiale. Dans cette Alsace-Lorraine où les opposi-tions confessionnelles, imprimées depuis 1555, structurent les aires de nuptialité, le recrutement des clientèles, le choix du parti politique, l’ap-parition de personnes neutres, refusant toute confession publique de leur religion, brouille les lignes : par rapport à la situation établie par la Paix d’Augsbourg, les principes de 1789 constituent une grande nouveauté.
Depuis le siècle des Lumières, la cité ne s’organise plus autour de la responsabilité collective, où la faute d’un seul retombe sur tous, où cha-cun est responsable du salut de chacun et le souverain chargé du salut de tous. La loi ne vient plus d’un texte sacré d’où découlent les règles de la vie en commun, elle devient une invention humaine : c’est nous, citoyens égaux, qui nous donnons les lois. Dans Ovide, Jupiter vient dis-cuter, assis côte à côte avec Numa, avant que le roi n’établisse les lois de Rome. Les dieux conseillent, ils n’imposent pas. Nous sommes loin de la loi telle qu’elle fut remise sur le Sinaï, écrite en toutes lettres. Cet État où le langage commun de la raison permet d’aboutir à des compromis politiques toujours soumis à des révisions épisodiques, où la religion est exclue de l’espace public parce qu’elle est facteur de division, est l’État
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laïque. « La laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, mais le plan où les options spirituelles apprennent à se transcender pour que puisse apparaître ce qui est commun à tous les hommes.[. . . ] L’unité dulaos, du peuple, en deçà de ses différenciations, est bien la référence 1 décisive de l’émancipation laïque . » Depuis les grands ancêtres Locke, Condorcet, en passant par la Charte de 1814, la Constitution de la Con-fédération d’Allemagne du nord, on a inventé un espace neutre d’où les religions se sont retirées. Une fois que l’on a admis l’existence d’un espace collectif où chacun vient confronter son opinion avec celle de tout le monde, il faut dé-limiter ses pourtours. L’école du peuple peut-elle être incluse dans cet espace neutre, à l’intérieur duquel les individus, les maîtres et les élèves, vont taire tout ce qui risque de diviser ? Pendant ces cent vingt ans où les hommes même agnostiques, même non-pratiquants, continuent d’en-voyer leurs enfants — et leur femme — à l’église parce que l’influence du clergé leur semble la plus efficace pour inculquer les principes de la morale terrestre, il n’est pas évident pour tout le monde de laisser la con-fession hors du jeu. Les maîtres étaient-ils prêts à appliquer le principe énoncé par Jules Ferry lors de la discussion de sa loi : « . . . oui, la société laïque peut donner un enseignement moral, oui les instituteurs peuvent enseigner la morale sans se livrer aux recherches métaphysiques. » ? Et même si, progressivement, en France et en Allemagne, on conçoit que les règles de la morale à enseigner puissent se passer de la Révélation, la religion présente des aspects qui débordent le dogme et les prescriptions morales ; les fêtes, les cérémonies, les récits pittoresques constituent un vécu, une culture. Le débat a animé les milieux de l’enseignement pen-dant toute notre période, et n’est pas clos. L’école n’est pas un prolongement de la place publique. La laïcité ne s’y réduit pas à la seule tolérance, qui permettrait aux communautés religieuses de se manifester, de s’exprimer, de se perpétuer, de conver-tir : « L’école relève d’un domaine fondateur des droits, et [qu’] elle n’est pas un lieu de « consommation » ou d’exercice des droits . . . les affichages ostensibles d’appartenances religieuses rendentde factoimpos-sible l’acte même d’enseignement en abolissant l’espace critique commun 2 dans lequel l’école doit évoluer . » En effet, pour Condorcet déjà, l’école
1. Henri Pena-Ruiz,Dieu et Marianne. philosophie de la laïcité, Paris, PUF, 1999. 2. Catherine Kintzler,Qu’est-ce que la laïcité ?, Paris, Librairie Philosophique Vrin, 2007.
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est le lieu où l’on crée la liberté de penser par soi-même, où l’on arme les citoyens contre l’erreur ; en d’autres termes, elle donne la possibilité au futur citoyen de s’extraire des communautés auxquelles il appartient en prenant ses distances avec ce qu’elles lui ont transmis ; combat jamais 3 achevé de soi contre soi-même . Jules Ferry déjà, si respectueux pour-tant de l’opinion des pères de familles, avait lui aussi refusé de réduire la laïcité à la seule neutralité : « Pour la société civile, pour le pouvoir qui la représente et la dirige, le premier des biens, le plus précieux, c’est la liberté de conscience, la liberté de l’examen, la liberté du savoir. » Au congrès de la Fraternelle du Haut-Rhin en juillet 1935, Madame Picharel en fait un impératif : « Nous devons défendre notre école contre les empiètements de l’Église militante qui vient faire de nos enfants des esclaves et des résignés. Nous, au contraire, voulons des esprits libres. » Les diverses opinions débattent et se confrontent non seulement dans l’espace public, mais au fond de la conscience de chacun. C’est au nom de cette liberté du choix personnel que, dans les moments de tension les plus vifs, au sein de l’école publique, les membres des congrégations enseignantes ont été considérés comme des sujets autonomes libres de vivre leur métier comme ils l’entendent.
2˚ Qu’est-ce que le cléricalisme ? Ce n’est pas l’influence de la prédication du clergé. L’enseignement e de l’Église a été suivi avant le 19 siècle ; il continue de l’être lorsque le cléricalisme a disparu. Ce n’est pas non plus la volonté des Églises consti-tuées d’intervenir dans le gouvernement des États. Celle-ci date de fort e longtemps : la construction au 11 siècle d’un clergé séculier interdit de mariage, mais doté d’une arme ultime, la confession auriculaire, marque le début des pressions du pape sur les pouvoirs politiques. Dans le monde e e pré-laïque, celui d’avant la grande rupture des 18 -19 siècles, l’homme, pensé comme créature de Dieu, doit respecter les devoirs que lui impose Celui qui l’a porté à l’existence. Dans cette ère théologico-politique, l’É-tat, né de la volonté de Dieu, est enrôlé au service de son ordre : ses principes, ses lois sont chargés de faire régner dans le royaume le désir de Dieu, qui est d’amener au salut l’ensemble des sujets. Le souverain, en France, mais aussi dans les États luthériens, est le lieutenant de Dieu dans son royaume. Bossuet le rappela pour justifier les pires des actes
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3. Claude Nicolet,Histoire, Nation, République, Paris, O. Jacob, p. 14.
politiques de Louis XIV. Tout change lorsque le pouvoir politique cesse d’être de droit divin, pour relever du contrat librement négocié entre des hommes également doués de raison. En assurant l’ordre et la paix, il doit permettre à chacun de construire, comme il l’entend, son propre univers de vie. L’Église a perdu sa fonction universelle qui est de mener, de gré ou de force, et par l’utilisation du bras séculier, l’ensemble de l’humanité vers le salut. Sa parole n’est plus la vérité, mais une opinion 4 comme les autres . e Peu à peu, dans la première moitié du 19 siècle, et le phénomène apparaît au grand jour après la Révolution de Juillet, certains hommes, tout en continuant de participer aux cérémonies religieuses, expriment ouvertement leur scepticisme face aux dogmes de la religion révélée : ce mouvement, Philippe Boutry le nomme fin de l’unanimisme paroissial. En Alsace-Lorraine, deux religions sont confrontées au refus de la soumis-sion au dogme religieux : le catholicisme ultramontain et le luthéranisme orthodoxe. Avec l’apparition du suffrage universel en 1848, la possibilité s’ouvre au clergé de reconquérir le pouvoir politique pour imposer à tous les individus ce qui est supposé être leur bien. Comme sous le Roi Très-Chrétien, le pouvoir de l’État doit se fixer comme but le salut de tous les hommes. Le cléricalisme correspond à cette politisation de la religion, par la formation d’un parti clérical qui veut conquérir le pouvoir ou, à dé-faut, monnayer son influence pour ramener à la pratique religieuse et au contrôle de la vie privée. Le parti catholique naît au moment où l’Église catholique connaît une profonde déconvenue. En effet, après la période d’euphorie des années 1815-1849, de « nouvelle confessionnalisation de l’Europe », où l’on invente de nouvelles liturgies, où se multiplient les con-fréries de laïcs, où les ordres charitables, missionnaires se multiplient, où l’on reconstruit quantité de lieux de culte, la peur de la ruine de l’Église est de retour. La révolution romaine de 1848 menée par Mazzini oblige Pie VII à prendre la mer et à se réfugier dans le royaume de Naples. Les partis catholiques se créent alors, pour s’emparer des leviers de l’É-tat, et lui imposer d’abord un programme de politique étrangère. Au milieu d’une flambée ultramontaine, marquée par la proclamation des
4. Antoine Prost, « La laïcité et l’école de 1905 à 1945 »,La laïcité. . ., Colloque au Sénat, 4.2.2005. Jean-Marie Gillig,La Question scolaire en Alsace de 1918 à 1939 : e confessionnalisme et bilinguisme à l’école primairecycle, Strasbourg,, Thèse de 3 1979, p. 588.
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dogmes de l’Immaculée Conception, puis de l’infaillibilité pontificale, les partis cléricaux ne cessèrent d’enjoindre aux États d’intervenir militaire-ment pour défendre le pouvoir temporel du Pape. Même s’ils réussirent en 1849 à provoquer l’intervention française à Rome, qui dura jusqu’en 1870, après 1858 ni Napoléon III, ni Bismarck, ni d’ailleurs Thiers et Mac Mahon ne se prêtèrent à la politique aventureuse qui leur aurait fait attaquer le jeune État italien pour rétablir le Pape dans ses droits. Ainsi, le parti clérical, pendant la longue période qui s’étend de la Deuxième République à la chute du Front Populaire, resta, en règle générale, éloigné du pouvoir. Les exceptions furent rares, réduites à quelques périodes où un exécutif flottant se fit dicter sa loi par une cham-bre élue sur un coup de peur : les années Frayssinous sous la Restaura-tion, de 1824 à 1826 ; de 1849 à 1852. Ce fut tout pour les deux provinces de l’Est. Dans ces diocèses ultramontains, où les décisions de Rome sont plus impératives que celles qui se prennent à Paris et à Berlin, le pes-simisme l’emporte. Alors que le nombre des chrétiens déclarés diminue, qu’il n’y a plus de foi unanime, que la perspective du Salut universel s’éloigne, les États refusent d’utiliser le pouvoir de contrainte qui est le leur pour préserver la foi. « Il arrive en effet que parfois les exigences de l’État envers le citoyen contredisent celles de la religion à l’égard du chrétien, et ces conflits viennent de ce que les chefs politiques tiennent 5 pour nulle la puissance sacrée de l’Église ». Tour à tour, en Italie, dans le jeune Empire allemand, puis dans la République française, au Me-xique après 1890, sous prétexte de respecter la liberté de conscience, le pouvoir abandonne le clergé à ses propres forces. Le parti clérical développe alors une culture d’opposition systématique et de plus en plus détachée des réalités. Il n’est pas exagéré de parler à son propos de millénarisme, de vision apocalyptique, de religion de l’expiation. Pour avertir tout le monde, ceux qui font le mal et ceux qui laissent faire, Dieu envoie ses fléaux, la sécheresse, la grêle, la maladie, la guerre de 70. LeVolksfreunddu 15.3.1885 voit dans le vandalisme qui a dévasté le chalet du Grand Ballon une punition pour le Club Vos-gien qui dévoie le dimanche chrétien en organisant systématiquement ses sorties ce jour-là. Car la marche à la purification est collective. Dans e l’épopée du Peuple d’Israël, telle qu’elle fut écrite à la fin du 7 siècle avant Jésus-Christ, la déviance de quelques-uns peut amener la chute
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5. Léon XIII,Encyclique Sapientae Chritianae, 10.1 1890.
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