L éducation des sourds et muets, des aveugles et des contrefaits au Siècle des Lumières
212 pages
Français

L'éducation des sourds et muets, des aveugles et des contrefaits au Siècle des Lumières , livre ebook

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212 pages
Français

Description

Au milieu du XVIIIe siècle, siècle des Lumières, la préoccupation des élites éclairées était la circulation des biens et des hommes, le commerce. Il apparut donc nécessaire de faire participer le peuple, de l'instruire pour lui enseigner ses droits et ses devoirs. Le projet de l'éducation de ceux qui faisaient nombre et notamment celle des infirmes finit par s'imposer. Cet ouvrage interroge sur les méthodes et les objectifs des acteurs de ces premières expériences d'éducation spécialisée.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2010
Nombre de lectures 83
EAN13 9782296261464
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Introduction L’éducation des infirmes, c'est-à-dire l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ainsi que celui du comput et des règles de civilités, a été souhaitée, voulue même, par les notables français e dès le XVIIIsiècle, mais c’est le peuple qui a fourni les outils et les moyens de la mettre enœuvre.e Au midi du XVIII siècle, moment où furent publiées nombre des œuvres majeures des Lumières commel’Essai sur l’origine des connaissanceshumaines de Condillac et l’Encyclopédiede Diderot et d’Alembert, la préoccupation des éliteséclairées était la circulation des biens et des hommes, le commerce. Il fallait laisser libre la voie : construire des canaux, des routes et des ponts; mais, aussi, voyager aisément sur des chemins sûrs, sans vagabonds ni bandes armées. Il fallait aussi pouvoir écrire sans empêchement, ni censure ; fairecourir la postesans risques. Il apparut donc nécessaire de faire participer le peuple, de l’instruire pour lui enseigner ses droits et ses devoirs, lui apprendre comment lire, écrire et compter, comment produire des marchandises, comment faire des routes... En conl’éducation de ceux quiséquence, le projet de faisaient nombreet notamment celle des infirmes, ceux qui encombraient le plus, finit par s’imposer.Qui étaient ceux qui participèrent aux premières expériences d’éducation particulière,spéciale, comme on dira dès la fin du siècle? Comment purent-ils entrer en contact avec ceux dont ils voulaient prendre soin et, surtout, leur faire comprendre ce qu’ils attendaient d’eux ?Quels discours légitimaient ces entreprises, ces initiatives? A quels besoins sociaux, à quels impératifs de société, voire de civilisation, répondaient-elles ? Enfin quel était le rôle des décideurs, des gouvernants : comment s’amorça,en catiminipresque, une politique de l’Etat en faveur des déshérités, des infortunés, qui fût autre chose que
1 la charité ou la simple bienfaisance? A cette époque, on commençait à croire que les infirmes étaient devenus tels par accident, négligence ou fatalité, et non plus du fait de la volonté divine ou d’une faute contre les lois de Dieu, encore moins de la malice du diable. Les muets, les sourds, les aveugles, les bègues, les valétudinaires étant, parmi les infirmes, les plus tolérés, les plus proches de l’humanité et de la civilisation, on pensait pouvoir les éduquer et les secourir sans trop de risques d’échec ou d’être démenti, voire d’être tourné en dérision. Ils ont fourni des éléments de prise de conscience, parce qu’ils étaient comparables aux autres êtres humains; soit parce qu’ils avaient été à un moment donné, ordinaires, soit parce que leur infirmité ne les avait pas trop éloignés des autres; ils étaient lesmoins atteintscomme on dira e 2 à la fin du XIX siècle. Helvétius, proche des Encyclopédistes et savant éclairé, n’écrivait-il pas : « On peut être sourd, aveugle, bossu, boiteux et avoir le même désir de sa conservation, la même haine pour la douleur et le même amour 3 pour le plaisir. » On appelaitmuets tous ceux qui parlaient un autre langage, comme lesbarbaresdu temps d’Aristote, ou ceux atteints d’hottentotismeet ne pouvant proférer qu’une seule consonne comme le T ou le K, ceux qui gesticulaient comme les sourds ou bien encore ne parlaient pas du tout, car paralysés de la langue. Tous ceux qui boitaient ou claudiquaient étaient desestropiés, desmutilés, sans plus de précision. Mais tous étaient desinfortunéset on pensait, de plus enplus, qu’ils pouvaient, qu’ils devaient être éduqués. Parallèlement, l’émergence des pratiques de bienfaisance ainsi que le transfert des mendiants et autres infirmes vers les Dépôts de mendicité après 1764, révélèrent des catégories de déviants ou autresinadaptés, qui jusqu’à présent n’avaient pas fait l’objet d’interventions spécifiques. Ce dévoilement était consécutif au sentiment de scandale ressenti par certains lettrés, au spectacle de la misère bariolée qu’offraient le Grand Bureau 1 Pour les autres infortunés (vagabonds, enfants trouvés, etc.), voir M. Capul. 2 On acceptera dans les classes de perfectionnement lesmoins atteints parmi lesanormaux. 3 Helvétius, C.-A.,De l’Homme, 1771, section 4, chapitre 23, p. 349. 8
des pauvres, l’Hópital Général et les Dépôts de mendicité dans lesquels on mélangeait femmes abandonnées et enfants trouvés, vieillards et scrofuleux, prostituées et vagabonds... L’idée qu’il fallait trier les miséreux et sérier les infirmités s’imposa, de plus en plus, au fur et à mesure que l’on s’approchait de la fin du siècle. Ce processus de prise de conscience ou de changement des mentalités, peut se décrire, après coup, comme tel :d’une part, les empiristes, prosélytes, comme Voltaire ou Condillac, des conceptions lockéennes et newtoniennes, prescrivaient l’idée detable rase :on n’était plus tel par la volonté de Dieu, mais par l’effet des aléas de la vie ou de la Nature,marâtreselon certains : on devenait tel ; et d’autre part, ceux chez qui on pouvait constater des progrès physiques ou moraux n’étaient pas tout à fait tels qu’on les imaginait. Ainsi, tous les aveugles célèbres (Du Moulin, Malaval, l’aveugle de Cheselden, Saunderson, Melle Paradies, François Le Sueur) étaient des devenus tels, mais présentés commede naissance. Pour justifier, après coup, les pratiques de guérison ou d’éducation, on fit semblant de croire que les êtres qui avaient subi un traitement (abaissement de la cataracte par exemple), ou qu’on avait éduqués avec succès étaient tels depuis toujours, et que c’était même leur état naturel, alors que ce n’était pas le cas. Encore, faut-il relativiser cette illusion :l’abbé de l’Epée ne cherchait pas véritablement à savoir si ses élèves étaient sourds ou non, pourvu qu’ils fussent pauvres etmuets, au sens de l’époque.Les limites de cette prise de conscience, par conséquent, apparurent vite, ainsi que les désillusions; les différents instituteurs durent en tenir compte, soit en changeant les concepts initiaux, soit en adaptant les pratiques. Par exemple, l’Epée s’aperçut rapidement qu’accorder la priorité aux signes des sourds posait le problème de leur apprentissage, de leur transmission, ainsi que celui de leur traduction. Pereire, quant à lui, se contenta de faire parler les muets, puisque c’était ce que lui demandaient les parents ou les tuteurs. Ses disciples, Ernaud et Deschamps, pour leur part, axèrent leur pratique sur les devenus et les demi-sourds à l’aide du concept desurdité 9
relative, abandonnant même le parti d’éduquer des sourds de naissance. Deschamps, après 1780, proposa carrément une éducation pour les sourdspar accident. Celui qui réussit le mieux cette prise de consciencede l’éducabilité ou du traitement possible des infirmes fut, sans doute, Philippe Pinel. Il lui fallut néanmoins un concours de circonstances, comme un séjour dans la Maison Belhomme, pension recevant des insensés ou des libertins, puis à Bicêtre, où eut lieu la rencontre avec un couple perspicace, le gouverneur J.-B. Pussin et sa femme.L’œuvre inaugurée par Pussin et Pinel consista en ceci : on pouvait guérir les insensés qui présentaient des restes de lucidité, qui n’étaient pas tout à fait fous ou qui l’étaient devenus des suites d’un choc ou d’une agression. Mais pour cela, il avait fallu, sans doute, les expériences de l’abbé de l’Epée, de Verdier, de Haüy, voire de Mesmer et Puységur. Ces derniers introduisirent dans les années 1780 l’idée de traitement par la suggestion. Les rapports des médecins enquêteurs demandés par Necker et de Breteuil sur les hôpitaux avaient, de leur côté, développé les notions de douceur et de médecine expectante, ainsi qu’attiré l’attention sur les expériences anglaises des Quakers en matière de soins prodigués aux insensés. Les questions de philosophie sur l’origineidées, la des nature de la pensée humaine ou les fondements du bien et du mal imposèrent le recours aux sourds et aux aveugles, comme administration de la preuve. Pas un de ceux qui lisaient ou écrivaient avec un certain succès comme Saboureux de Fontenay, Marie Marois, Solar, Le Sueur ou bien qui réussirent à se faire remarquer comme Melle Paradies ou Pierre Desloges, n’échappa à la visite ou au questionnaire des curieux de la trempe de Court de Gébelin, Diderot, d’Alembert, Condillac, Copineau ou La Condamine. Objets philosophiques, les sourds et les aveugles le furent à satiété. Ils furent aussi parmi les infortunés, et sans doute à cause de cet intérêt philosophique, ceux que l’on jugea les plus dignes de l’exercice de la bienfaisance et de l’éducation,que l’on estima les plus aptes à sortir de la misère dans laquelle ils végétaient ou à être soustraits des hôpitaux et despensions obscures. 10
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