Vertus et limites des usages de la parole en éducation
206 pages
Français

Vertus et limites des usages de la parole en éducation , livre ebook

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206 pages
Français

Description

On sait à quel point la parole est aujourd'hui investie, notamment à l'école, avec la valeur attribuée au dialogue, à l'explication, à l'argumentation, au débat. Il a semblé utile aux auteurs de prendre en compte, outre les ressources de cette médiation, ses obstacles, ses détours, ses alternatives. Notre visée est de donner à penser la force de la parole, les bénéfices de sa stimulation, mais aussi ses limites qu'en éducation il faut bien accepter pour respecter d'autres voies par lesquelles le sujet choisit de faire son chemin.

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Date de parution 01 octobre 2013
Nombre de lectures 14
EAN13 9782336325538
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

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Extrait

Coordonné par Renaud Hétier
Vertus et limites des usages de la parole en éducation
Vertus et limites des usages de la parole en éducation
Coordonné par Renaud Hétier Vertus et limites des usages de la parole en éducation
Groupe de Recherche sur Idées Pédagogiques
© L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-01323-7 EAN : 9782343013237
INTRODUCTION
SOMMAIRE
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PREMIÈRE PARTIE : L’ÉDUCATION AU-DELÀDU DISCOURS15La pédagogie à l’épreuve du langage 17Le visage, source du dialogue. Le « Dire » et le « Dit » 29De la parole magistrale à la parole pédagogique : parler aux élèves ou parler avec les élèves ? 43
DEUXIÈME PARTIE : AU-DELÀ DE L’ENFANT QUI PARLE,UN ENFANT PRÉSENT ET EN RELATION55Parole et silence dans les pédagogies de l’Éducation nouvelle 57Freinet et les langages de l’enfant : entre expression et communication 67Le geste, premier langage de l’enfant ! Mais quel geste ? 87
TROISIÈME PARTIE : ENFANTS « DIFFÉRENTS » ETALTERNATIVES PÉDAGOGIQUES99Quand la prise de parole est une prise de risque, le cas d’adolescents en souffrance 101Pour la « reconnaissance » des multiples formes que peut prendre l’humain. Quand la parole fait défaut, des faux… 119Une pédagogie du passage du « nous » au « je » : sentir un « soi » avant de dire « je » 131
QUATRIÈME PARTIE : DES ESPACES D’ÉMANCIPATIONPOUR LA PAROLE143Le « parler-jouer » avec l’enfant pour réinvestir l’apprentissage de la langue. Regard sur l’aide spécialisée auprès de Solène, élève de CP 145Le langage et la pédagogie de l’activité 161Les limites de la parole comme outil dans le cadre d’une pédagogie de l’explicitation. 177 BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE 189
INTRODUCTION Renaud HÉTIERLa question du langage/des langages de l’enfant, est une question prégnante en éducation, en pédagogie, en psychologie. Elle puise même son fonds dans la réflexion philosophique, puisque dès l’époque de Socrate, c’est un sujet vif qui va, pour Platon, rendre nécessaire que la philosophie se distancie des pratiques du langage promues par les Sophistes. Les puissances du langage – qui peuvent permettre de convaincre tout en s’éloignant de la vérité – sont dès lors l’objet d’un soupçon. Seule la méthode dialectique, dans la pratique du dialogue, peut, selon Platon, mettre le langage au service de la recherche de la vérité. Mais qu’est-ce que la méthode dialectique, sinon une méthode critique du langage, où il faut sans arrêt examiner la consistance de ce qui vient d’être dit ? En cela, c’est encore le langage qui est à lui-même son propre recours… pourvu qu’on l’asservît à une exigence rationnelle. Ce n’est donc pas un jeu d’enfants. Du point de vue des pédagogues, la méfiance n’est pas moindre, même si elle est d’un autre ordre. Érasme s’en prend aux grammairiens dans son Éloge de la folie(1511), et l’humanisme renaissant prend ses distances avec la vieille scolastique, qui est une véritable mise en abîme de notre problème : commentaire de texte, discours sur un discours, empilement langagier se perdant dans des subtilités jusqu’à la perte de sens. Cette fois, ce n’est plus la vérité qui dessine l’horizon perdu, mais plutôt le réel, les choses, et e bientôt, la nature. Déjà dans la querelle des Universaux (XIV siècle), l’opposition entre nominalistes et réalistes posait le cadre d’un tel questionnement. Pour les nominalistes, tel Guillaume d’Occam, seul l’individu est réel : tel ou tel homme existe, mais « l’homme » en général n’est qu’une abstraction, n’est qu’un mot, «flatus vocis». Pour les réalistes, les Universaux (disons, aujourd’hui, les concepts, ou les abstractions) existent, ils sont des choses réelles. Dans ce dernier cas, le langage restitue le réel (De Libéra, 1996). Il n’y a alors qu’un pas à faire pour investir le langage comme réel suffisant, et faire l’économie des choses…
On comprend, dès lors, que la rupture va être complète avec Rousseau qui promeut une « éducation des choses » dans:Émile ou de l’éducation « ne donnez à votre élève aucune espèce de leçon verbale ; il n’en doit recevoir que de l’expérience » (Rousseau, 1966, p. 110), ou encore « Maintenez l’enfant dans la seule dépendance des choses, vous aurez suivi l’ordre de la nature dans le progrès de son éducation » (Rousseau, 1966, p. 101). Et il ne faut pas s’étonner que ce « retour » aux choses s’accompagne d’une charge féroce contre l’abstraction du langage, qui trouve ses formes les plus abouties et les plus pernicieuses dans l’écrit – et notamment la fable – et dans la leçon de morale. Il y a à faire confiance à la nature (humaine), tout d’abord : « on se presse trop de les faire parler, dit-il des enfants, comme si on avait peur qu’ils n’apprissent pas à parler d’eux-mêmes » (Rousseau, 1966, p. 82). Un enfant trop sollicité, trop écouté, finit par s’exprimer à demi-mot, corrompant en quelque sorte la communication naturelle. Apprendre un texte par cœur, et laFable du corbeau et du renardsert alors d’objet martyr, c’est même éloigner l’enfant de la possibilité d’un langage clair en instituant un mauvais rapport à celui-ci. D’ailleurs, il en va aussi du rapport à la vérité, qu’il faut dire « nue aux enfants », et non pas la couvrir d’un « voile » (Rousseau, 1966, p. 139). D’une façon générale, ce « voile » des jeux de langage habitue à apprendre sans comprendre : « on achète l’agrément aux dépens de la clarté » (Rousseau, 1966, p. 140). On en arrive alors à une véritable théorisation du problème posé par le langage, mais en prenant en considération une contrainte psychologique en vertu de l’attention particulière que réclame un enfant en vue de son éducation : « ne substituez jamais le signe à la chose que quand il vous impossible de la montrer ; car le signe absorbe l’attention de l’enfant et lui fait oublier la chose représentée » (Rousseau, 1966, p. 218). La distinction nominaliste n’est plus posée dans l’absolu par une tentative de compréhension philosophique, elle est ici psychologiquement et génétiquement motivée. Certes, il s’y confirme que le signe n’est pas la chose, mais – subtilité rousseauienne –, il n’est pas pour autant sans rapport avec la chose. Il ne s’agit pas de prétendre qu’aux signes devraient être substituées – pour retrouver la « nature » – les choses, mais qu’à donner les premiers avant les secondes, on risque de tout perdre : les choses, certes, jamais senties, jamais connues, mais aussi les signes, insignifiants puisque appris dans l’ignorance de ce qu’ils recouvrent. On ne reprochera évidemment pas à Rousseau de ne pas penser en linguiste et de ne pas connaître la théorie saussurienne, et l’arbitraire du signe, qui n’est d’ailleurs pas son problème. Le problème – pleinement éducatif – est qu’à se concentrer exclusivement sur le rapport entre signifiant et signifié (quel mot pour quel concept ?), on en perd de vue l’ancrage que le signe trouve dans le réel par le référent. Le choix de Rousseau est, sur deux plans, psychologique et philosophique, cohérent : seul le référent (la chose) est d’abord sensible à l’enfant et c’est par lui qu’il faut commencer, et,
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de plus, ce rapport entretenu aux choses maintient dans le réel (souhait de tout philosophe stoïcien) comme il offre à la pensée une limitation raisonnable avant de raisonner. À l’inverse, les jeux de langage précipitent dans ce que nous nommons aujourd’hui le « virtuel », et favorisent un mode de pensée dans l’artificialité la plus complète qui a sans doute les pires conséquences morales. Toujours, chez Rousseau, le risque de « penser par un autre »… Comment passe-t-on de l’empire des signes au monde moral ? Deux facteurs ont ici une importance décisive. Tout d’abord, la considération des « bornes » ne se forme que dans la confrontation à des obstacles réels, éprouvés physiquement et intériorisés émotionnellement. Ce qui est de l’ordre de la loi – pour user d’une formulation neutre – ne peut plus « tomber du ciel », au risque d’être reçu comme parfaitement arbitraire, ce qui n’est plus concevable à l’heure de l’autonomie et de la démocratie. L’autonomie n’est pas pensable si toujours la loi est la loi de « l’autre », et qu’à aucun moment elle ne peut être sentie comme nécessaire. Seul recours : l’expérience. C’est par exemple dans l’expérience fondatrice, significative-ment traumatisante, de la dépossession (pensons à l’épisode où Émile voit sa plantation saccagée par le jardinier dont il ignorait qu’il était propriétaire de la terre que lui, Émile, avait investie (Rousseau, 1966, p. 119-122). Aucune « leçon » (verbale) ne saurait, à ce stade de l’enfance, avoir une telle force émotionnelle, et ne saurait s’ancrer de telle manière dans la mémoire. Et aucune anticipation verbale n’aurait pu, sans doute, suffisamment avertir l’enfant de la violence de cette découverte. Il y aura explication, certes, mais après-coup, dans l’éducation du citoyen Émile, après le choc des choses vécues. Les « choses » ne sont d’ailleurs pas réductibles à des objets, puisqu’il s’agit aussi de se confronter aux « choses » de la vie sociale. Mais l’autre (que n’est pas le transparent gouverneur), tel ce jardinier, est d’abord une force qui s’oppose, qui résiste, avant de s’inscrire dans la formulation d’un droit : le jardinier Robert retourne la terre où Émile a planté ses fèves parce que son droit l’y autorise, et il le fait sans avoir à se justifier. La négociation qui suivra, tournée vers l’avenir, n’est possible que sur cette base de rencontre d’une réalité nue, sans concession, aucunement recouverte ni détournée par la médiation du langage. La loi, et sa socialisation dans le contrat, au lieu d’apparaître comme abusive et arbitraire, se pose alors comme protectrice. L’enfant renonce certes à tout pouvoir, mais il évite ainsi d’être exposé aux pires surprises, et à la violence sociale la plus imprévisible. Ensuite, le langage est indissociable de l’implication relationnelle qui le porte et jusque dans la relation éducative elle-même. En un certain sens, le langage est certes une médiation qui évite le court-circuit du passage à l’acte dans le rapport à autrui, mais il est aussi un facteur de dépendance, dans la demande – où il s’agit de s’en remettre au désir de l’autre –, ou dans le questionnement – où il s’agit de s’en remettre au savoir de l’autre.
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