Le Rhinocéros de Wittgenstein

Françoise Armengaud

Description

Dans l'Europe en guerre, les spécialistes du Chiffre sont sur les dents : que signifient les propositions découvertes dans le carnet de l'agent secret Ludwig Wittgenstein, lancé à la poursuite d'un animal qui peut-être n'existe pas ?

Sujets

• Philosophie
• El rinoceronte
• Langage Power Station
• Rhinoceros (play)
• Espion
• Langage
• Album illustré
• Rhinocéros
• Vérité
• Enfant
• Première Guerre mondiale

Informations

• Publié par: Les petits Platons
• Date de parution: 01 septembre 2013
• Nombre de lectures: 11
• EAN13: 9782361650636
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 4 Mo

Extrait

Ludwig Wittgenstein (1889 — 1951)
Nous allons suivre l’agent Wittgenstein dans la laborieuse enquête qu’il conduisit sur les fins ultimes de l’existence. Il fut un détective hors pair dans le royaume des significations. Il a compris que ce n’est qu’en pensant des choses encore plus folles que les autres philosophes qu’on pouvait prétendre au titre de penseur. Il fut un moraliste intransigeant dans les sables mouvants de la morale. Il fut surtout un homme qui ne s’accommoda de rien et qui opposa un refus sans concession à tous les compromis qui permettent en général aux hommes de survivre en passant à côté de leur vie.
d’après Roland Jaccard, L’Enquête de Wittgenstein

Françoise Armengaud a enseigné la philosophie du langage et l’histoire de l’art à l’université de Paris X — Nanterre. Elle a également écrit des albums et des recueils de poésie pour les enfants. Elle s’intéresse beaucoup aux animaux, même aux périssodactyles islandais.
Diplômée de l’École Estienne et des Arts décoratifs de Strasbourg, Annabelle Buxton est née à Basingstoke, non loin de Cambridge où l’on cherche encore à comprendre ce que voulait dire Wittgenstein lorsqu’il y parlait de rhinocéros...
Cambridge — Trinity College — 1912
Un petit homme d’âge mûr avec une cravate noire et un grand jeune homme vêtu d’une chemise au col ouvert retournent une à une les tables et les chaises d’une salle de cours. Peut-être cherchent-ils quelque chose ?


Soudain, le plus âgé s’interrompt, l’air agacé.
— Monsieur Wittgenstein, finissons-en. Et regardez-moi s’il vous plaît ! Vous suivez mes cours de logique et de mathématiques, et vos écrits me semblaient jusque-là témoigner d’une certaine maturité. Mais là vraiment vous nous faites perdre notre temps pour des enfantillages ! Il n’y a pas de rhinocéros dans cette salle, rendez-vous à l’évidence !
— Professeur Russell, je ne plaisante pas ! Comment peut-on affirmer que quelque chose n’existe pas et être certain que cette affirmation est vraie ? Je peux dire : « Il y a dans cette salle un grand professeur » et cela est parfaitement exact, en dehors de la question de votre taille, si je puis me permettre... Mais lorsque je dis : « Il n’y a pas de fantôme ici, ni de trésor, ni de rhinocéros », en fait je n’en sais rien : c’est juste que je n’en vois pas !
— Wittgenstein, vous me fatiguez... Cessez de faire semblant de chercher un animal cornu au beau milieu de l’université de Cambridge, ou je vous renvoie dans votre Autriche natale ! Je ne veux plus vous voir avant la semaine prochaine et vous encourage à vous mettre au vert d’ici là !


À la sortie du cours, Wittgenstein retrouve son ami David Pinsent, qui l’attend.
— Tu en as mis du temps ! s’exclame ce dernier.
— Tu n’as pas vu un rhinocéros sortir avant moi ?
— Pardon ?
— Russell affirme comme ça, sans aucune raison, qu’il n’y a pas de rhinocéros à Cambridge, et m’a conseillé de m’aérer... Je vais le prendre au mot. Ça te dirait, une excursion en Islande ?
— Certes, mais je crains que là-bas non plus, tu ne trouves guère de rhinocéros !
— Tu ne vas pas t’y mettre à ton tour ! Allons faire nos bagages, et retrouvons-nous demain matin à la gare ! Tu verras, on va lui ramener son rhinocéros qui n’existe pas, à Russell...

Arrivé dans sa chambre d’étudiant, Wittgenstein entreprend de préparer quelques affaires... De quoi a-t-on besoin pour chasser un animal qui n’existe peut-être pas ? De livres ? Il y a plein de choses qui n’existent pas dans les livres, pourtant on peut en parler donc ça existe, et en même temps, non...

Wittgenstein finit par fourrer dans sa valise tout ce qui passe
— et ne passe pas — à sa portée : livres, vêtements, souvenirs, des choses visibles et des choses moins visibles...
Il sort en claquant la porte.


À peine a-t-il fait trois pas dans la rue qu’une calèche lancée à vive allure manque de le renverser.
Au passage, elle effraie également un jeune garçon qui lâche sa balle dans un caniveau, et fond en larmes.
— Ma baaaaalle !
— On en retrouvera une autre, mon chéri, le console sa mère.
— Y’a plus ma baaaaalle !
Wittgenstein songe : « Alors voilà, une balle bleue disparaît et c’est la fin du monde ! »

« En fait, se dit-il, ce n’est pas la fin du monde, c’est exactement le monde. Ce qui compte, c’est que la balle était dans la main de cet enfant, que sa maman le promène, que la calèche les dépasse, et tout cela. Quand on en parle, on peut dire si c’est vrai ou non… »