Exporter la prison américaine
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Exporter la prison américaine , livre ebook

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Description

« Le 10 mai 2001, ils m’ont transféré en avion militaire à la nouvelle prison de Valledupar. On savait bien que là-bas c’était le régime yankee. Ils m’ont tout pris, ils m’ont donné un uniforme [...] et ils m’ont rasé la tête. Les gardiens étaient très jeunes, ils nous ont traités de façon totalement inhumaine. On n’avait jamais connu ça auparavant [...]. Rapidement, les détenus ont lancé un mouvement de protestation, au sujet du droit de visite. La réponse a été brutale. Une répression à feu et à sang, à coups de matraque et de gaz lacrymogène. »
Le témoignage de ce prisonnier reflète le virage opéré au sein du système carcéral colombien suite à une réforme inspirée par le modèle de prison de sécurité maximale américain. Réalisées dans le cadre des accords du « Plan Colombie » – le vaste programme anti-drogue et antiguérilla de Washington dans ce pays – les transformations du système carcéral colombien sont révélatrices de la manière dont le « tournant punitif » initié aux États-Unis s’exporte au niveau international.
Cet ouvrage repose sur un riche matériel ethnographique, recueilli au cours d’une enquête de terrain en Colombie et aux États-Unis. L’étude est basée sur des observations dans les prisons colombiennes et sur des interviews approfondies avec des prisonniers, des membres de leurs familles, des gardiens, des représentants des autorités carcérales, des activistes des droits humains, ainsi que des architectes et entrepreneurs de l’industrie carcérale américaine. Les nouvelles prisons colombiennes y sont décrites comme un espace de dépossession et de contrôle sans précédent, mais également comme un lieu de résistances multiformes de la part de la communauté des prisonniers.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 2
EAN13 9782889301201
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0165€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre


J ULIE DE D ARDEL








E XPORTER LA PRISON AMÉRICAINE


L E SYSTÈME CARCÉRAL COLOMBIEN À L’ÈRE DU TOURNANT PUNITIF















É DITIONS A LPHIL -P RESSES UNIVERSITAIRES SUISSES
Copyright





© Éditions Alphil-Presses universitaires suisses, 2016
Case postale 5
2002 Neuchâtel 2
Suisse




www.alphil.ch

Alphil Distribution
commande@alphil.ch

EAN Epub : 978-2-88930-120-1

Ce livre a été publié avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique dans le cadre du projet pilote OAPEN-CH.

Photographie de couverture : Prison de haute sécurité de C ó mbita (au centre de la cordillère orientale des Andes en Colombie), mars 2009 (photo : FCSPP). Fruit d’une collaboration étroite entre le Ministère de la Justice colombien et le Bureau Fédéral des Prisons des États-Unis, cette prison ultra-sécurisée inaugurée en 2002 a été construite en suivant le modèle de la prison fédérale de Coleman en Floride.

Conception couverture : Nusbaumer-graphistes, Delémont, www.nusbaumer.ch

Responsable d’édition : Inês Marques
I NTRODUCTION
D epuis le début des années 2000, l’Amérique latine connaît une profonde transformation de ses relations avec Washington. La période précédente est marquée par une longue tradition de domination politique et économique des États-Unis, qui a été initiée dans les années 1820 par la doctrine Monroe consacrant le principe d’une zone d’influence exclusive de ces derniers sur tout le continent américain. Cette domination s’est traduite, au long des XIX e et XX e siècles, par une ingérence systématique dans les régimes au pouvoir, une forte dépendance économique des pays du continent, ainsi que de nombreuses incursions militaires des États-Unis visant à protéger leurs intérêts. Ce schéma hégémonique commence à entrer en déclin à la fin de la guerre froide : les États-Unis desserrent alors progressivement leur contrôle sur les gouvernements alliés. À la fin du XX e siècle, l’émergence d’une « Nouvelle gauche » latino-américaine prenant ouvertement ses distances avec les États-Unis ‒ révélée avec l’arrivée au pouvoir de Hugo Chavez au Venezuela (1999), puis d’Evo Morales en Bolivie (2006) et de Rafael Correa en Équateur (2007) - ouvre une ère de diversification des échanges commerciaux vers l’Europe et l’Asie et d’accélération de l’intégration régionale : ces nouvelles dynamiques économiques et politiques sont la marque d’une érosion manifeste de l’influence des États-Unis sur l’ensemble du continent.
Dans ce climat d’affaiblissement de l’emprise de Washington en Amérique latine, un pays fait exception en devenant le lieu de l’une des plus vastes interventions des États-Unis sur le sol latino-américain au cours des dernières décennies : la Colombie. En 2000, les gouvernements américain et colombien, alliés de longue date, signent un accord connu sous le nom de « Plan Colombie » qui fait de ce pays le troisième bénéficiaire mondial de l’aide américaine dans le monde, après Israêl et l’Égypte. Fer de lance de la guerre contre la drogue des États-Unis au niveau international, le Plan Colombie se présente principalement sous la forme d’un programme militaire d’une envergure sans précédent visant à anéantir le narcotrafic en Colombie, accompagné de mesures de renforcement institutionnel de l’État colombien. Alors que Bogota et Washington fêtaient en grande pompe, en février 2016, le 15 e anniversaire de ces accords, des voix plus critiques émanant des ONG, des chercheurs et des médias continuaient de dénoncer les piètres résultats du Plan Colombie en matière d’éradication des cultures illicites et de lutte contre les trafiquants, tout comme les dégâts environnementaux et les graves violations des droits humains qui ont entaché ces années d’intervention américaine 1 . Un volet marginal du Plan Colombie n’a pourtant fait l’objet d’aucun commentaire de la part des analystes des relations entre ces deux pays : celui de la réforme du système carcéral colombien.
Entre 2000 et 2005, le gouvernement américain envoie en Colombie une équipe d’experts du Bureau fédéral des prisons (BOP) afin de mettre en œuvre, en étroite collaboration avec l’Institut national pénitentiaire colombien (INPEC), une politique de modernisation des prisons que les autorités nommeront la « Nouvelle culture carcérale ». Le transfert du modèle américain de prison ‒ et plus précisément du modèle de la prison fédérale de Coleman en Floride ‒ est au cœur de la redéfinition de la politique carcérale colombienne conduite par le BOP. L’introduction de nouveaux standards architecturaux, disciplinaires et organisationnels du « modèle Coleman » représente un point d’inflexion dans l’histoire des prisons colombiennes, qui connaissent à partir de ce moment une transformation profonde et durable. La Colombie est ainsi devenue le laboratoire d’un aspect peu étudié de la mondialisation : celui de l’exportation des politiques pénales et carcérales américaines.
La manière dont s’exporte aujourd’hui le modèle de prison américain, icône du « tournant punitif » ou de la « nouvelle punitivité » 2 , et plus particulièrement l’impact de ce modèle en Colombie, est au centre de la problématique de ce livre. Cette discussion s’insère dans une réflexion sur une contradiction apparente de la mondialisation : communément décrite comme une dynamique d’ ouverture des frontières aux flux transnationaux de biens, de personnes et de connaissances, l’ère de la mobilité globale a également induit une forte accélération de la circulation des dispositifs de fermeture, de confinement et d’emprisonnement , sous l’effet d’une priorisation des impératifs de sécurité et de gestion des risques au niveau international. Parmi ces formes d’enfermement globalisées, on peut relever les mécanismes de surveillance, de ségrégation et de privatisation de l’espace public ; l’explosion des dispositifs anti-immigration et anti-réfugiés aux frontières des pays riches (constructions de murs, camps de détention pour migrants) et, bien sûr, les prisons. La plupart de ces procédés ont un dénominateur commun : celui de la mobilité globale de dispositifs visant à immobiliser des personnes. Cette mondialisation des formes d’immobilisation, de fermeture et de répression connaît un intérêt croissant au sein des sciences sociales. En géographie notamment, plusieurs publications ont abordé conjointement l’analyse des espaces de confinement des migrants et de l’enfermement pénal comme relevant d’une même problématique liée à la place croissante qu’occupent les « espaces carcéraux » dans les sociétés contemporaines 3 .
Peu évoquée dans la recherche jusqu’à ce jour, la circulation du modèle carcéral américain représente un volet non négligeable de cette mondialisation de l’enfermement. Le Bureau fédéral des prisons a participé au transfert du modèle américain dans le cadre d’interventions militaires des États-Unis à l’étranger, mais il a également organisé des visites de prisons pour de nombreux gouvernements désireux de s’inspirer des standards américains. À ce circuit « gouvernemental » se superpose, depuis plusieurs années, le circuit commercial des architectes et constructeurs privés qui diffusent le savoir-faire carcéral américain aux quatre coins du globe. Dans ce contexte, l’exportation du modèle carcéral américain vers la Colombie représente sans doute le cas le plus abouti, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, le transfert de modèle ne s’est pas appliqué à une seule prison, mais il a visé une transformation de l’ensemble du système carcéral colombien. La réforme de la Nouvelle culture carcérale visait, comme son nom l’indique, une sorte de révolution du mode de fonctionnement des prisons colombiennes non seulement par l’application de nouveaux standards architecturaux, mais également par l’apprentissage de nouvelles techniques de gestion des détenus et de nouvelles

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