Les portes de Doregon

Carina Rozenfeld

Description

« La solution s’imposa à moi comme un coup de poing au plexus solaire. Ma respiration s’interrompit avant de reprendre, haletante. Non... je ne pouvais pas ! Je n’avais pas le droit. Jouer avec le temps était interdit, punissable ! Mais, si je laissais mon ennemi s’emparer du Secret, cet interdit n’aurait plus lieu d’être, comme tout le reste... Et c’était le seul moyen de sauver le Secret, de sauver Doregon et de sauver Josh en même temps, alors, il n’y avait pas à hésiter. Je l’entendis hurler mon nom, sa rage se répercutant jusqu’à moi... — MIA ! » Jeune étudiante aux Beaux-Arts particulièrement douée, Mia peint depuis des années un monde qu’elle a baptisé Doregon. Mia aime Josh, libraire ingénu et passionné. Mia aime son frère, photographe brillant mais tourmenté, pour lequel elle rêve d’une existence apaisée. Alors, quand elle reçoit le Secret, ce pouvoir singulier qui lui permet de pénétrer dans ses peintures, d’entrer physiquement en Doregon, elle ne peut résister au bonheur de partager avec chacun d’eux la vie dans cet univers fascinant, sans se douter qu’elle va le mettre en danger.

Sujets

• Fiction Jeunesse
• International Conference on Automated Reasoning with Analytic Tableaux and Related Methods
• Beaux arts
• Secrecy
• Art
• Monde
• Secret
• Ombre
• Jeunesse
• Étudiant
• Littérature d'enfance et de jeunesse
• Portes
• Culture
• Littérature

Informations

• Publié par: Editions L’Atalante
• Date de parution: 03 décembre 2012
• Nombre de lectures: 23
• EAN13: 9782367931531
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Carina Rozenfeld
DOREGON
Les portes
de Doregon




L’ATALANTE
Nantes
Pour Léo, qui ouvre des portes magiques avec chaque dessin qu’il m’offre.

Pour Sacha, grâce à qui chaque mot et chaque rire devient une émotion à écrire…
LIVRE PREMIER
Ce qui se passe…
Entre-Temps, dans une librairie…
O N M ’ AVAIT TRAHIE . Je savais que cela devait arriver. Moone était bien trop prévisible pour que j’ignore ses intentions. L’histoire n’est jamais toute tracée, mais certaines voies semblent plus évidentes que d’autres.

Allongée sur mon lit, les yeux écarquillés dans le noir, le corps raidi par l’inquiétude, mon esprit bondissait d’une idée à l’autre à toute allure, à la recherche de la meilleure solution pour protéger le Secret. Mon Secret, celui dont j’étais la gardienne. Celui qui était sous ma responsabilité. Dans l’obscurité à peine trahie par la lueur argentée de la lune, je distinguais les ombres dessinées par le mobilier familier de ma chambre, le tableau accroché au mur représentant le fleuve dans ses méandres scintillants – il me semblait l’avoir peint dans une autre vie –, le drapé des rideaux qui tombaient en motifs étranges dans la nuit, masquant la fenêtre monumentale, le tapis tissé de dessins entrelacés et compliqués, le mobilier en bois craquant. Et puis il y avait sa photo posée sur la table de chevet, qui me confortait dans l’illusion qu’il me regardait encore avec tendresse. Tout était parfaitement à sa place et, pourtant, je savais intuitivement que c’était la dernière fois que je voyais mon monde tel qu’il était en cet instant. Moone venait pour le détruire, le piétiner, le modeler à son image : brutale, haineuse, asservie à son immense ego. Je retins ma respiration quelques instants, guettant les sons encore lointains qui résonnaient dans le couloir.
Moone était en route pour voler le Secret, me l’arracher. C’était tellement prévisible que, depuis plusieurs nuits, je me couchais tout habillée afin d’être prête à fuir… Il était urgent que je trouve où le dissimuler. Me cacher, moi, n’aurait aucun intérêt. Moone avait le moyen de me dénicher facilement. Il n’aurait alors aucun scrupule à le récupérer, quitte à me tuer pour cela. Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale. Comment en étions-nous arrivés là ?
Instinctivement, mon bras se tendit sur le côté, dans un geste familier. J’avais beau savoir que je ne trouverais que le drap vide et froid près de moi dans le grand lit, mon cœur se serra en redécouvrant l’absence. Il n’était plus là pour m’apporter son réconfort, ses conseils. Pourtant, j’en aurais eu besoin, plus que jamais, en cette heure sombre.
Lui seul aurait pu me venir en aide. Lui seul… Il aurait su trouver les mots pour m’insuffler le courage, pour me donner la force d’affronter Moone. Il aurait levé une armée de lymbiotes ou que sais-je encore en son pouvoir. Mais il ne reviendrait jamais. Je fermai les yeux. Le noir sous mes paupières se stria de rouge. Mes larmes étaient sur le point de déborder mais je les retenais. L’heure n’était ni à la tristesse ni aux souvenirs. Je devais agir, et vite. Tout en entendant les pas se rapprocher, j’explorai les lignes du temps à la recherche de la faille, celle qui avait permis sa disparition.

L’histoire n’est jamais toute tracée. Le futur peut se modifier en fonction de nos décisions. Mais le passé est également malléable, si l’on sait retrouver l’embranchement qui précède le présent. Celui qui est à l’origine de la ligne d’événements qui mène jusqu’à aujourd’hui. Et je trouvai sans problème la voie qui m’avait menée à ce jour.

La solution s’imposa alors à moi, comme un coup de poing au plexus solaire. Ma respiration s’interrompit avant de reprendre, haletante. Non… je ne pouvais pas ! Je n’avais pas le droit. Jouer avec le temps était interdit, punissable ! Mais si je laissais mon ennemi s’emparer du Secret, cet interdit n’aurait plus lieu d’être, comme tout le reste… Le plus important, c’était que je l’empêche de se l’approprier. Le reste… j’en mesurerais les conséquences plus tard. Le bruit de ma lourde porte de bois malmenée par les assauts violents de Moone me confirma dans cette certitude. Je n’avais pas à réfléchir plus longtemps. Je savais que cette décision allait changer le présent et le futur. J’ignorais encore au juste comment j’allais réécrire l’histoire, mais si c’était le seul moyen de sauver le Secret, de sauver Doregon et de le sauver, lui, en même temps, alors il n’y avait pas à hésiter.
Ma décision prise, je me redressai d’un coup dans mon lit, me levai, saisis ma cape posée sur le dossier d’un fauteuil, m’en enveloppai et disparus de la chambre instantanément, au moment où Moone brisait le panneau de bois dans un bruit effroyable. Je l’entendis grogner de loin et je me permis de laisser traîner mon rire moqueur dans le couloir du temps, dans le présent où Moone trouvait la pièce vide, le lit défait.
Je l’entendis hurler mon nom, sa rage se répercutant jusqu’à moi, même là où j’étais, en arrière dans l’histoire…
MIA !

Il avait deviné que j’étais partie dans le passé et que j’allais modifier la course des événements. C’était dangereux, mais Moone l’était plus encore. Garmon n’aimerait certainement pas ce que j’étais en train de fomenter, mais il n’était plus là pour le savoir.
J’avais quelques minutes pour agir. Et espérer que tout se déferait pour se reformer autrement…

*

Josh passa une main dans ses épais cheveux châtains en soupirant. Une journée de plus s’achevait. Identique à la précédente et certainement à la suivante. Il était heureux d’avoir décroché ce job à la librairie, en dehors de ses heures de cours, mais la routine de son quotidien lui pesait certains jours plus que d’autres. Et c’était le cas ce soir. Au programme des prochaines heures : fermeture de la boutique, réchauffage de pizza au micro-ondes, rédaction de son devoir pour la fac… Rien de bien passionnant, quoi. La nuit tombait sur cette froide soirée d’hiver. La neige avait même menacé, mais les flocons trop légers ne tenaient pas sur le bitume, ne laissant qu’une humidité glacée qui s’insinuait dans chaque espace, même le plus minuscule. De l’autre côté de la vitrine, la rue ressemblait à un long couloir sombre et désert. Tout le monde avait dû se calfeutrer au chaud et au sec. Machinalement, Josh abaissa les stores et tourna le petit panneau sur la porte du côté « fermé ». D’habitude, il verrouillait aussi la porte, mais il fut interrompu par le téléphone et se précipita vers le comptoir.
Allô ?
…
Allô ?
Silence au bout de la ligne.
Josh haussa les épaules et raccrocha. Il avait déjà oublié qu’il n’était pas allé au bout de ses gestes quotidiens et il entreprit de vérifier la caisse et de faire les comptes de la journée, ce qu’il détestait le plus dans son boulot. Côtoyer des livres, les conseiller, partager sa passion avec les clients, voilà ce qui lui plaisait. Compter les euros dans une boutique froide et silencieuse, c’était forcément moins exaltant.
C’est à ce moment que la porte de la librairie s’ouvrit en tintant. Josh releva la tête pour protester.
Le magasin est fermé… commença-t-il.

La jeune femme qui était entrée n’avait rien d’une cliente habituelle. Seule une parcelle de peau pâle surgissait de la lourde cape noire qui enveloppait sa silhouette menue. Doucement, de ses deux mains, elle repoussa l’épaisse capuche qui masquait en partie son visage. Une nappe de cheveux brillants aux reflets auburn s’en échappa et fit ressortir, d’une façon extraordinaire, ses immenses yeux vert émeraude aussi profonds qu’un monde entier à explorer. Elle ressemblait à un personnage de manga. Irréelle et superbe.
Le libraire ne fit pas un geste, pétrifié devant sa caisse par cette apparition. La femme lui sourit. Dans son regard, un éclat particulier brillait, comme du soulagement, de l’amour même. Elle paraissait heureuse de le voir. Josh ne pensait pas que quelqu’un pût exprimer une telle joie à son contact.
En quelques pas silencieux, elle fut devant lui et il remarqua que ses yeux luisaient de larmes.
Josh, murmura-t-elle dans un souffle à peine audible.
Avant qu’il ait eu le temps de lui demander qui elle était, comment elle connaissait son nom, elle se mit sur la pointe des pieds, enroula ses bras derrière sa nuque et l’embrassa.
Josh sentit son goût de miel sur ses lèvres et sa langue, mêlé au sel de ses larmes. Son corps ferme et mince se serra contre le sien. Incapable de la moindre pensée cohérente, il se laissa faire sans bouger. Mais, à l’intérieur, il ressentait tout un feu d’artifice de sensations. Ce baiser était à la fois une découverte et familier, d’une certaine manière.
L’échange dura longtemps, intense, passionné, désespéré, empli d’un amour inimaginable. En lui s’éveilla une vibration presque douloureuse, comme une chaleur diffuse qui envahissait son corps.
Quand elle se sépara de lui, Josh ressentit une souffrance intolérable, un manque, un vide intérieur impossible à combler. Il aurait voulu la retenir, lui poser mille questions.
Mais elle releva ses yeux baignés de larmes afin de les plonger dans les siens et son élan s’interrompit face à tant de douleur.
Josh, murmura-t-elle. Maintenant, tu possèdes le Secret. Prends-en grand soin. Tu vas bientôt me rencontrer pour la première fois, mais je ne te connaîtrai pas. Vis l’histoire et tu sauras à quel moment tu pourras me rendre ce que je t’ai confié.
Josh ouvrit la bouche, mais elle posa un doigt sur ses lèvres :
Chuuuut. Écoute-moi. Bientôt, toute ta vie va changer. Tu n’appartiendras plus à ce monde, mais tu ne seras pas complètement dans le mien. Fais attention… L’histoire se modifie déjà et je ne sais pas encore comment l’avenir, mon passé et mon présent vont changer. Je t’aime… Ici, ailleurs et pour toujours…
Puis elle disparut. Pouf…
La rencontre
L’ ENTRE- T EMPS m’accueillit dans le velours de sa nuit éternelle. C’était un refuge provisoire, le temps que Moone me retrouve, et je savais qu’il finirait par y arriv