À la poursuite de Dame Tartine
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À la poursuite de Dame Tartine , livre ebook

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Description

Devant le silence qui l'entoure suite à un drame de la vie, Léna enfant se renferme dans son monde et refuse les apprentissages scolaires. Mais dans son école, il y a un Réseau d'Aide Spécialisées aux Elèves en Difficultés. Devenue une jeune adulte, elle se souvient de ce qu'elle doit à la rééducatrice, qu'elle a surnommée Dame Tartine. Elle veut tenter de comprendre ce qui s'est joué en ce temps-là, et devenir à son tour rééducatrice. Mais pour cela elle doit d'abord être enseignante. Un chemin vers Dame Tartine sur lequel elle croisera d'autres personnages, qui l'aideront à lever le voile sur le mystère de ces séances oubliées.

Informations

Publié par
Date de parution 27 mai 2016
Nombre de lectures 1
EAN13 9782304045673
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0012€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À la poursuite de Dame Tartine


Myriam Dardé

2016
ISBN:978-2-304-04567-3
Cet ebook a été réalisé avec IGGY FACTORY. Pour plus d'informations rendez-vous sur le site : www.iggybook.com
Du même auteur
 
Chemin de traverse Le Manuscrit, 2009
 
Traits de plume Le Manuscrit, 2006
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ISBN 978–2–304–04566–6 © 2016 Éditions Le Manuscrit Paris
1
 

 

Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours entendu dire que ma mère était décidée. Quand mon père m’avait inscrite à l’école, quand il m’avait emmenée chez le docteur parce que d’après lui j’avais besoin de fortifiants, et quand j’avais vu la dame avec lui pour la première fois, chaque fois qu’on lui posait une question sur ma mère, il répondait qu’elle était décidée. Peut-être qu’elle avait décidé de partir, parce qu’il y avait si longtemps qu’elle n’était plus avec nous à la maison… Mais un jour, elle pouvait tout aussi bien décider de revenir. Alors je l’attendais.
Je m’appelle Léna, j’ai vingt-deux ans maintenant. Je prépare un master à l’université Lyon Lumière. J’aime ce nom, qui m’évoque un grand fauve auréolé de soleil, assis devant une grande porte, au bout de l’allée. Dans quelque temps, si je réussis mes examens, il se lèvera pour me laisser passer, me tendra la clef, et me permettra d’ouvrir la porte pour suivre ma route loin de lui. Je jetterai un dernier regard vers sa crinière rayonnante, puis je pourrai m’élancer vers le métier qui m’a fait désirer arriver jusqu’ici, le métier de la dame. Parce que si je n’avais pas rencontré cette dame, je n’aurais peut-être pas eu la force d’être là, dans cette chambre universitaire, à étudier les sciences de l’éducation. Dans quelques jours je passerai l’écrit du concours, puis les épreuves du master, puis je devrai enseigner dans une classe quelques années, et enfin je pourrai me spécialiser pour me consacrer aux élèves en difficulté. Je ne suis pas au bout de mes peines, mais j’ai déjà parcouru tant de chemin, je viens de si loin…
Je n’ai aucune image nette de ma mère. La dernière fois que je l’ai vue, c’était à travers la vitre de cette voiture blanche, avec ce bruit de sirène qui hurlait à mes oreilles, cette voiture qui s’éloignait de moi, si vite, si vite, pour disparaître dans le flot de la circulation. J’étais restée debout sans comprendre. Personne ne m’avait parlé. On m’avait amenée chez ma grand-mère, la mère de mon père. C’était là que j’avais dormi le soir, puis le lendemain, puis les soirs suivants. Papa dormait là aussi, et il ne parlait pas. Alors moi non plus, je ne me risquais pas à ouvrir la bouche. C’était comme si le sol sous nos pieds s’était ramolli. Il était lourd et collant comme de la boue, de la terre mouillée, dans laquelle nos pieds pouvaient s’enfoncer. L’air était devenu épais comme de la fumée. On osait à peine respirer.
Mes grands-parents veillaient sur moi, mais je n’avais pas de jouets, ils étaient restés dans ma chambre, la vraie. Celle de notre appartement. Alors pour m’occuper, et m’échapper de ces murs de silence, j’inventais des histoires dont les personnages étaient figurés par les ustensiles de cuisine, les objets du bureau ou de la salle d’eau, suivant la pièce où je me trouvais. La pince attrape-plat était un dauphin, les ciseaux un crocodile aux mâchoires qui claquaient, les cuillères à soupe et à café un père et sa petite fille, et la nappe bleu ciel sur la table de la salle à manger était la mer, la mer omniprésente. Quand ce n’était pas la nappe, c’était la serviette de toilette, dans laquelle se débattaient des poissons brosses à dents, avant de se faire dévorer par le gant. Personne ne soupçonnait l’existence de mes compagnons secrets, mon père était entré en lui-même, mes grands-parents me regardaient avec des yeux tombants, toujours prêts à me tapoter les cheveux d’un geste prudent, comme s’ils craignaient les effusions, comme s’ils consolaient quelqu’un qui a du chagrin. Moi je n’avais pas de chagrin, j’attendais maman. Chaque fois que j’entendais le son d’une sirène, je demandais : « c’est maman qui revient ? » Et chaque fois je voyais mon père, silencieux, qui furtivement s’essuyait les yeux.
 
Allons ça suffit. Ce n’est pas le moment de céder à mes rêveries, de me laisser envahir par ces souvenirs. Assise au bureau de ma chambre universitaire, je me ressaisis. J’ai devant le nez les cours à réviser. Armée de mon feutre fluo, je dois surligner les passages à retenir. Il me reste pour ce soir au moins trois heures de lecture.
2
 

 
Après une soirée studieuse, je me suis couchée, sans pouvoir m’endormir. Lire les écrits de grands pédagogues me rappelait ma propre scolarité. Et me replongeait dans ma petite enfance, au point où je l’avais laissée.
Papa et moi n’étions jamais revenus chez nous, dans notre appartement, nous étions installés chez mes grands-parents. Alors papa avait dû me changer d’école. Et je n’ai plus jamais revu les enfants que je connaissais. Papa a dit que ma mère était décidée, et je suis arrivée dans la Moyenne Section maternelle de ma nouvelle école en milieu d’année. Je n’avais pas envie de leur parler, à ces enfants qui n’étaient pas « ceux-que-je-connaissais ». La maîtresse non plus ne me plaisait pas. Alors mes oreilles se sont fermées. J’ai traversé la fin d’année dans le désert. Je m’asseyais où on me le disait, j’employais toute mon énergie à devenir transparente, pour que personne ne puisse me voir. J’étais absente, tout en suivant le mouvement. Je ne prenais aucune part à ce qui se passait. Je m’appliquais à écrire des lettres en recopiant le modèle, je ne parlais pas, ou juste un peu, le minimum, pour ne pas énerver les adultes, qui n’aiment ni un silence provoquant, ni un bavardage incessant… Ainsi j’ai réussi à me faire oublier. Cette stratégie a fonctionné encore en Grande Section. Mais au CP, c’était une autre chanson. Au CP, il y a la grande affaire de la lecture, pour laquelle la société entière met tout le monde sous pression. Et c’est là que les choses se sont gâtées. Comment les enseignants de la maternelle avaient-ils pu me laisser passer à travers le filet ? Les maîtres discutaient à la récré. Je devais être comme une sorte de brosse à dents, échappée du gant… Être sage et s’appliquer à former de jolies lettres, ce n’était pas suffisant. Je n’étais plus du tout transparente, tout le monde me voyait. Je gardais la tête baissée, je me recroquevillais, incapable de comprendre ce que la maîtresse écrivait au tableau, ce qu’elle expliquait. Je n’avais pas le niveau, j’aurais dû redoubler ! C’est d’ailleurs ce qui allait m’arriver.
En milieu d’année de mon deuxième CP, ce fut encore pire. La nouvelle maîtresse était très gentille. Mais elle s’inquiétait vraiment quant à mes capacités. Jamais je ne pourrais suivre au Cours Élémentaire, on devait envisager de me mettre dans une classe adaptée. Une Classe d’Intégration Scolaire pour déficients intellectuels. Pour cela, je devais être vue par Madame Dubois, puis faire un dossier pour demander le statut de handicapée, et enfin accéder à cette classe dont les places étaient comptées. Mon père était d’accord, prêt à tout pour que l’école me soit moins pénible. Madame Dubois était la psychologue scolaire. Je me demande comment j’ai retenu son nom, alors que j’ai oublié celui de « la dame ». Sans doute parce que son nom me faisait penser à un paysage de verdure et à une chanson, promenons-nous, dans les bois… Madame Dubois était une jeune femme sympathique, qui me posa, un chronomètre à la main, une longue liste de questions. Je ne me souviens que d’une ou deux de ces devinettes, une en particulier :
— Qu’est-ce qui est très haut dans le ciel, et qui brille la nuit ?
J’avais répondu du tac au tac :
— Maman ! »
Madame Dubois m’avait regardée d’une drôle de façon. Elle devait être embêtée pour comptabiliser ce genre de réponse… Comment transformer une souffrance en chiffre ? Le fait est qu’après analyse du test, elle ne donna pas de nombre correspondant à mon quotient intellectuel, elle ne se prononça pas comme on le lui demandait, pour m’ouvrir la voie vers une classe adaptée. Elle a parlé à ma maîtresse et lui a conseillé, avant de prendre une dé

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