Ange Pitou
514 pages
Français

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Ange Pitou , livre ebook

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Description

Alexandre Dumas (1802-1870)



"Combien de temps dura cette confidence, nous ne saurions le dire ; elle se prolongea cependant, car, vers les onze heures du soir seulement, on put voir la porte du boudoir de la reine s’ouvrir, et sur le seuil de la porte, Andrée, presque à genoux, baisant la main de Marie-Antoinette.


Puis, en se relevant, la jeune femme essuya ses yeux rougis de pleurs, tandis que, de son côté, la reine rentrait, le front baissé, lentement dans sa chambre.


Andrée, au contraire, comme si elle eût voulu échapper à elle-même, s’éloigna rapidement.


À partir de ce moment la reine demeura seule. Quand la dame du lit entra pour l’aider à se dévêtir, elle la trouva l’œil étincelant, et se promenant à grands pas dans sa chambre.


Elle fit de la main un geste rapide qui voulait dire : Laissez-moi.


La dame du lit se retira sans insister.


La reine avait défendu qu’on la dérangeât, à moins que ce ne fût pour d’importantes nouvelles venant de Paris.


Andrée ne reparut pas."



3e roman du cycle "Mémoires d'un médecin".


Tome II.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 21 décembre 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782384421701
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Mémoires d'un médecin
III


Ange Pitou

Tome II


Alexandre Dumas


Décembre 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-170-1
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1168
XXXI
Ce à quoi la reine songeait dans la nuit du 14 au 15 juillet 1789

Combien de temps dura cette confidence, nous ne saurions le dire ; elle se prolongea cependant, car, vers les onze heures du soir seulement, on put voir la porte du boudoir de la reine s’ouvrir, et sur le seuil de la porte, Andrée, presque à genoux, baisant la main de Marie-Antoinette.
Puis, en se relevant, la jeune femme essuya ses yeux rougis de pleurs, tandis que, de son côté, la reine rentrait, le front baissé, lentement dans sa chambre.
Andrée, au contraire, comme si elle eût voulu échapper à elle-même, s’éloigna rapidement.
À partir de ce moment la reine demeura seule. Quand la dame du lit entra pour l’aider à se dévêtir, elle la trouva l’œil étincelant, et se promenant à grands pas dans sa chambre.
Elle fit de la main un geste rapide qui voulait dire : Laissez-moi.
La dame du lit se retira sans insister.
La reine avait défendu qu’on la dérangeât, à moins que ce ne fût pour d’importantes nouvelles venant de Paris.
Andrée ne reparut pas.
Quant au roi, après s’être entretenu avec M. de La Rochefoucauld, qui essaya de lui faire comprendre la différence qu’il y avait entre une révolte et une révolution, il déclara qu’il était fatigué, se coucha et s’endormit ni plus ni moins tranquillement que s’il eût été à la chasse, et que le cerf (courtisan bien dressé) fût venu se faire prendre dans la pièce d’eau des Suisses.
La reine, de son côté, écrivit quelques lettres, passa dans la chambre voisine, où dormaient ses deux enfants sous la garde de Mme de Tourzel, et se coucha, non pas pour dormir comme le roi, mais pour rêver tout à son aise.
Mais bientôt, quand le silence eut envahi Versailles, quand l’immense palais se fut plongé dans l’ombre, quand on n’entendit plus au fond des jardins que les pas des patrouilles criant sur le sable, dans les longs corridors que la crosse des fusils tombant discrètement sur la dalle du marbre, Marie-Antoinette, lasse de son repos, éprouvant le besoin de respirer, descendit de son lit, chaussa ses pantoufles de velours, et s’enveloppant d’un long peignoir blanc, vint à la fenêtre aspirer la fraîcheur montant des cascades, et saisir au passage ces conseils que le vent des nuits murmure aux fronts brûlants, aux cœurs oppressés.
Alors elle repassa dans son esprit tout ce que cette journée étrange lui avait apporté d’événements imprévus.
La chute de la Bastille, cet emblème visible du pouvoir royal, les incertitudes de Charny, cet ami dévoué, ce passionné captif qu’elle tenait depuis tant d’années sous le joug et qui, n’ayant jamais soupiré que l’amour, semblait, pour la première fois, soupirer le regret et le remords.
Avec cette habitude de synthèse que donne aux grands esprits l’habitude des hommes et des choses, Marie-Antoinette fit, à l’instant même, deux parts de ce malaise qu’elle éprouvait, et qui renfermait un malheur politique et un chagrin de cœur.
Le malheur politique était cette grande nouvelle qui, partie de Paris à trois heures de l’après-midi, allait se répandre sur le monde et entamer dans tous les esprits la révérence sacrée accordée jusque-là aux rois mandataires de Dieu.
Le chagrin de cœur, c’était cette sourde résistance de Charny à l’omnipotence de la souveraine bien-aimée. C’était comme un pressentiment que, sans cesser d’être fidèle et dévoué, l’amour allait cesser d’être aveugle, et pouvait commencer à discuter sa fidélité et son dévouement.
Cette pensée étreignait cruellement le cœur de la femme et l’emplissait de ce fiel amer qu’on appelle la jalousie, âcre poison qui ulcère à la fois mille petites plaies dans une âme blessée.
Toutefois, chagrin en présence de malheur, c’était une infériorité pour la logique.
Aussi, plutôt par raisonnement que par conscience, plutôt par nécessité que par instinct, Marie-Antoinette laissa d’abord son âme aux graves pensées du danger de la situation politique.
Où se tourner : haine et ambition en face ; faiblesse et indifférence à ses côtés. Pour ennemis, des gens qui, ayant commencé par la calomnie, en venaient aux rébellions.
Des gens qui, par conséquent, ne reculeraient devant rien.
Pour défenseurs, nous parlons de la majeure partie du moins, des hommes qui peu à peu s’étaient accoutumés à tout endurer, et qui, par conséquent, ne sentiraient plus la profondeur des blessures.
Des gens qui hésiteraient à riposter dans la crainte de faire du bruit.
Il fallait donc tout ensevelir dans l’oubli, faire semblant d’oublier et se souvenir, semblant de pardonner et ne pardonner point.
Ce n’était pas digne d’une reine de France, ce n’était pas surtout digne de la fille de Marie-Thérèse, cette femme de cœur.
Lutter ! lutter ! c’était là le conseil de l’orgueil royal révolté ; mais lutter, était-ce prudent ? Calme-t-on les haines avec du sang répandu ? n’était-il pas terrible, ce nom de l’Autrichienne ? Fallait-il, pour le consacrer, comme avaient fait Isabeau et Catherine de Médicis du leur, le consacrer en lui donnant le baptême d’un égorgement universel ?
Et puis le succès, si Charny avait dit vrai, le succès était douteux.
Combattre et être vaincu !
Voilà, du côté du malheur politique, quelles étaient les douleurs de cette reine qui, à certaines phases de sa méditation, sentait, comme on sent un serpent sortir des bruyères où notre pied l’a réveillé, sentait émerger du fond de ses souffrances de reine le désespoir de la femme qui se croit moins aimée quand elle l’a été trop.
Charny avait dit ce que nous lui avons entendu dire, non point par conviction, mais par lassitude ; avait-il, comme tant d’autres, bu à satiété à la même coupe qu’elle les calomnies ? Charny, qui, pour la première fois, avait parlé en termes si doux de sa femme Andrée, créature hier encore oubliée jusqu’au mépris par son époux ; Charny s’était-il aperçu que cette femme encore jeune fût toujours belle ? Et à cette seule idée qui la brûlait comme la morsure dévorante de l’aspic, Marie-Antoinette s’étonnait de reconnaître que le malheur n’était rien auprès du chagrin.
Car ce que le malheur n’avait pu faire, le chagrin l’opérait en elle : la femme bondissait furieuse hors du fauteuil où s’était tenue, froide et vacillante, la reine contemplant en face le malheur.
Toute la destinée de cette créature privilégiée de la souffrance se révéla dans la situation de son âme pendant cette nuit.
Comment échapper à la fois au malheur et au chagrin ? se demandait-elle avec des angoisses sans cesse renaissantes ; fallait-il se résoudre, abandonnant la vie royale, à vivre heureuse de la médiocrité ; fallait-il retourner à son vrai Trianon et son chalet, à la paix du lac et aux joies obscures de la laiterie ; fallait-il laisser tout ce peuple se partager les lambeaux de la royauté, hormis quelques parcelles bien humbles que la femme pourra s’approprier avec les redevances contestées de quelques fidèles qui s’obstineront à rester vassaux ?
Hélas ! c’était ici que le serpent de la jalousie se reprenait à mordre plus profondément.
Heureuse ! serait-elle heureuse avec l’humiliation d’un amour dédaigné ?
Heureuse ! serait-elle heureuse aux côtés du roi, cet époux vulgaire à qui tout prestige manquait pour être un héros ?
Heureuse ! près de M. de Charny, qui serait heureux près de quelque femme aimée, près de la sienne, peut-être ?
Et cette pensée allumait dans le cœur de la pauvre reine toutes les torches flamboyantes qui brûlèrent Didon bien plutôt que son bûcher.
Mais, au milieu de cette fiévreuse torture, un éclair de repos ; au milieu de cette tressaillante angoisse, une jouissance. Dieu, dans sa bonté infinie, n’aurait-il créé le mal que pour faire apprécier le bien ?
Andrée a fait à la reine ses confidences, a dévoilé la honte de sa vie à sa rivale ; Andrée a, les yeux en pleurs, la face contre terre, avoué à Marie-Antoinette qu’elle n’était plus digne de l’amour et du respect d’un honnête homme : donc Charny n’aimera jamais Andrée.
Mais Charny ignore, Charny ignorera toujours cette catastrophe de Trianon, et les suites qu’elle a eues : donc pour Charny, c’est comme si la catastrophe n’existait pas.
Et tout en faisant ces diverses réflexions, la reine examinait au miroir de sa conscience sa beauté défaillante, sa gaieté perdue, sa fraîcheur de jeunesse envolée.
Puis elle revenait à Andrée, à ces aventures étranges, presque incroyables, qu’elle venait de lui raconter.
Elle admirait la combinaison magique de cette aveugle fortune qui prenait au fond de Trianon, dans l’ombre de la cabane, et dans la fange des fermes, un petit garçon jardinier, pour l’associer à la destinée d’une noble demoiselle, associée elle-même à la destinée de la reine.
« Ainsi ! se disait-elle, l’atome perdu dans les régions basses serait venu, par un caprice des attractions supérieures, se fondre, parcelle de diamant, avec la lumière divine de l’étoile ? »
Ce garçon jardinier, ce Gilbert, n’était-ce pas un symbole vivant de ce qui se passait à cette heure, un homme du peuple, sorti de la bassesse de sa naissance pour s’occuper de la politique d’un grand royaume, étrange comédien qui se trouvait personnifier en lui, par un privilège du mauvais génie qui planait sur la France, et l’insulte faite à la noblesse, et l’attaque faite à la royauté par la plèbe ?
Ce Gilbert devenu savant, ce Gilbert vêtu de l’habit noir du tiers, ce conseiller de M. Necker, ce confident du roi de France, le voilà qui se trouverait, grâce au jeu de la Révolution, parallèlement avec cette femme dont il avait la nuit, comme un larron, volé l’honneur !
La reine redevenue femme, et frissonnant malgré elle au souvenir de la lugubre histoire racontée par Andrée ; la reine se faisait comme un devoir de regarder en face ce Gilbert, et d’apprendre par elle-même à lire sur des traits humains ce que Dieu a pu

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