Brûlant secret
56 pages
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Brûlant secret , livre ebook

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Description



Dans des situations diverses, et à travers les récits qui composent ce recueil, Zweig explore avec audace des sentiments troubles et fascinants, avec une grande maîtrise de son art de romancier. Il nous montre comment le désir et la passion, enracinés au fond de chaque être, peuvent le révéler à lui-même et bouleverser son destin : l’éveil de la jalousie chez un garçon de douze ans, la dérive nocturne d’un homme qui découvre une part inconnue de lui-même, le mystère d’une jeune femme qui se donne sans vouloir révéler son identité, la rivalité de deux sœurs, l’une religieuse et l’autre courtisane...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 28 décembre 2017
Nombre de lectures 21
EAN13 9782374535173
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0022€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Présentation
Dans des situations diverses, et à travers les récits qui composent ce recueil, Zweig explore avec audace et une grande maîtrise de romancier, des sentiments troubles et fascinants. Il nous montre comment le désir et la passion, enracinés au fond de chaque être, peuvent le révéler à lui-même et bouleverser son destin : l’éveil de la jalousie chez un garçon de douze ans, la dérive nocturne d’un homme qui découvre une part inconnue de lui-même, le mystère d’une jeune femme qui se donne sans vouloir révéler son identité, la rivalité de deux sœurs, l’une religieuse et l’autre courtisane…
Brûlant secret
Stefan Zweig
Traduction par Alzir Hella et Olivier Bournac
Les classiques du 38
Brûlant secret
« Qu’est-ce qui les a tellement changés ? » pensait l’enfant assis en face d’eux dans la voiture en marche. « Pourquoi ne sont-ils plus à mon égard ce qu’ils étaient avant ? Pourquoi Maman évite-t-elle toujours mon regard, lorsque je le dirige vers elle ? Pourquoi cherche-t-il toujours devant moi à dire des plaisanteries et à faire le polichinelle ? Tous deux ne me parlent plus comme ils le faisaient hier et avant-hier ; je pourrais presque dire que leurs visages ne sont plus les mêmes. Maman a aujourd’hui les lèvres toutes rouges ; elle doit se les être rougies, jamais je ne l’avais vue ainsi. Et lui a toujours le front plissé, comme si je l’avais offensé. Je ne leur ai rien fait pourtant ? Je n’ai dit aucune parole qui pût les choquer ? Non, ce n’est pas moi qui peut être la cause de leur changement, car ils sont eux-mêmes, l’un à l’égard de l’autre, tout différents de ce qu’ils étaient. On dirait qu’ils ont projeté une chose qu’ils n’osent pas se confier. Ils ne parlent plus comme hier ; ils ne rient pas non plus ; ils sont gênés, ils cachent quelque chose. Il y a entre eux un secret qu’ils ne veulent pas me révéler. Un secret qu’il faut à tout prix que je connaisse. Je m’en rends déjà compte, ce doit être ce secret devant lequel ils me ferment toujours les portes, ce secret dont il est question dans les livres et dans les opéras, lorsque les hommes et les femmes chantent l’un en face de l’autre en écartant les bras, lorsqu’ils s’embrassent et se repoussent : Ce doit être quelque chose comme ce qui est arrivé avec ma maîtresse de français qui se comporta si mal avec Papa et qui ensuite fut renvoyée. Tout cela s’enchaîne, je le sens, mais je ne sais pas comment. Oh ! le savoir, le savoir enfin, ce secret, la saisir cette clé qui ouvre toutes les portes ! N’être plus un enfant devant lequel on cache et dissimule tout ! Ne plus se laisser duper et tromper ! Maintenant ou jamais ! Je veux le leur arracher, ce terrible secret. » Un pli se creusa à son front ; ce chétif gamin de douze ans avait presque un air vieillot, en méditant ainsi gravement, sans avoir un seul regard pour le paysage qui se déployait tout autour de lui en couleurs harmonieuses : les montagnes dans le vert épuré de leurs forêts de conifères et les vallées dans l’éclat encore délicat de la fin du printemps tardif. Il ne prêtait attention qu’aux deux visages qui lui faisaient face sur la banquette de la voiture, comme si, avec ses regards ardents, il eût pu, comme un pêcheur, harponner le secret caché dans les profondeurs luisantes de leurs yeux. Rien n’aiguise mieux l’intelligence qu’un soupçon passionné ; rien ne déploie mieux toutes les possibilités de l’intellect non encore mûr qu’une piste qui se perd dans l’obscurité. Parfois ce n’est qu’une seule et mince cloison qui sépare les enfants de ce que nous appelons le monde réel, et un souffle de vent fortuit la leur ouvre brusquement.
Edgar se voyait tout à coup plus près de l’inconnu, du grand secret, qu’il ne l’avait encore jamais été ; il le sentait là devant lui, encore inaccessible et indéchiffré, mais proche malgré cela, tout proche. Cela l’excitait et lui donnait une gravité solennelle et soudaine. Car inconsciemment, il se rendait compte qu’il se trouvait au terme de son enfance.
Eux deux, en face de lui, sentaient une sourde résistance, sans pouvoir la définir, et sans se douter qu’elle venait de l’enfant. Ils étaient à l’étroit et gênés, à trois dans la voiture. Les deux yeux qu’ils voyaient devant eux, la sombre ardeur qui y flamboyait les embarrassaient. Ils osaient à peine parler, à peine se regarder. Ils ne retrouvaient plus maintenant le chemin de cette conversation légère et mondaine à laquelle ils étaient pourtant si habitués, déjà trop engagés dans la voie des confidences brûlantes, de ces mots dangereux dans lesquels tremble la lascivité caressante d’attouchements secrets. Leur entretien était hésitant, intermittent : ils s’arrêtaient, ils voulaient reprendre, mais sans cesse ils trébuchaient contre le silence obstiné de l’enfant.
Ce silence crispé était surtout pesant pour la mère. En regardant prudemment l’enfant de côté, elle venait de découvrir avec effroi, dans la manière dont il pinçait les lèvres, une ressemblance avec son mari quand il était énervé ou fâché. Il lui était pénible de se souvenir de celui-ci juste au moment où elle jouait avec une aventure amoureuse. Le gamin, avec ses yeux sombres et chercheurs, avec cette attitude de guetteur derrière son front pâle, lui semblait être un fantôme chargé de surveiller sa conscience et d’autant plus insupportable là, dans l’exiguïté de la voiture, à dix pouces d’elle. Soudain Edgar la regarda pendant une seconde. Tous deux baissèrent aussitôt les yeux : ils sentaient qu’ils s’épiaient, pour la première fois de leur vie. Jusqu’à présent ils avaient eu une confiance aveugle l’un dans l’autre ; mais maintenant, entre la mère et l’enfant, entre elle et lui, il y avait quelque chose de changé. Pour la première fois, ils commençaient à s’observer, à séparer leurs deux destinées, chacun ayant déjà pour l’autre une haine secrète, qui était encore trop nouvelle pour qu’ils osassent se l’avouer.
Ils eurent tous trois un soupir de soulagement lorsque les chevaux revinrent s’arrêter devant l’hôtel. Ç’avait été une excursion malheureuse, ils le sentaient, mais aucun d’eux n’osait le dire. Edgar descendit le premier de la voiture. Sa mère s’excusa en prétendant qu’elle avait des maux de tête et s’empressa de monter dans sa chambre ; elle était fatiguée et voulait être seule. Edgar et le baron furent plantés là ; celui-ci paya le cocher, regarda l’heure et se dirigea vers le hall sans faire attention au gamin qui n’avait pas bougé. Il passa devant lui, avec ses fines et sveltes épaules, avec cette démarche balancée et au rythme léger qui enchantait tellement l’enfant que, la veille, il avait essayé devant son miroir de l’imiter. Il passa sans hésitation. Visiblement il l’avait oublié et il le laissait là avec le cocher, avec les chevaux, comme un étranger.
Edgar sentit quelque chose se briser en lui en voyant faire son ami qu’il aimait encore, malgré tout, avec tant d’idolâtrie. Le désespoir jaillit en son cœur lorsque le baron fila, sans l’effleurer de son manteau, sans lui dire un mot, à lui qui, pourtant, n’avait commis aucune faute. Il fut incapable de garder cette contenance qu’il avait jusqu’à présent eu tant de peine à s’imposer ; le poids artificiel de sa dignité tomba de ses frêles épaules ; il redevint un enfant, petit et humble, comme la veille et comme toujours auparavant. Il fut emporté malgré lui. D’un pas rapide et tremblant, il courut derrière le baron, se plaça devant lui, alors qu’il allait monter l’escalier, et lui dit d’une voix oppressée, en contenant difficilement ses larmes :
— Que vous ai-je fait, pour que vous ne fassiez plus attention à moi ? Pourquoi, à présent, êtes-vous toujours comme un étranger avec moi ? Et Maman aussi ? Pourquoi voulez-vous toujours m’écarter ? Est-ce que je vous gêne ou bien me suis-je mal conduit ?
Le baron tressaillit. Dans cette voix il y avait quelque chose qui le rendait confus et le portait à la douceur. Il eut pitié de l’innocent gamin. « Edy, tu es un petit fou. J’étais tout simplement de mauvaise humeur, aujourd’hui. Tu es un charmant enfant, que j’aime bien. » En même temps, il lui tirait amicalement les cheveux, mais en détournant à demi son visage, pour ne pas voir ses grands yeux d’enfant humides et suppliants. La comédie qu’il jouait commençait à lui être pénible. Il avait honte vraiment d’avoir trompé d’une façon si indigne l’amour de cet enfant, et cette voix menue, secouée de sanglots contenus, lui faisait mal.
« Va-t’en dans ta chambre. Edy », lui dit-il d’un ton bienveillant, « ce soir nous nous réconcilierons, tu verras. »
— Mais vous ne permettrez pas que Maman m’envoie au lit tout de suite, n’est-ce pas ?
— Non, non, Edy, sois tranquille », fit le baron en souriant. « Monte chez toi maintenant, il faut que je m’habille pour le dîner.
Edgar s’en alla, plein de bonheur pour l’instant. Mais bientôt le battement de son cœur se fit de nouveau entendre. Depuis la veille il avait vieilli de plusieurs années ; un hôte étranger, la méfiance, avait pris place dans sa poitrine d’enfant.
Il attendit. C’était l’épreuve décisive. Ils étaient assis à table tous les trois. Neuf heures sonnèrent, mais sa mère ne l’envoya pas se coucher. Déjà il s’inquiétait ; pourquoi, justement aujourd’hui, lui permettait-elle de rester plus tard, elle qui d’habitude était si stricte ? Le baron lui avait-il fait part de leur entretien et révélé son désir ? Un brûlant regret de s’être confié à son ami avec toute la franchise de son cœur s’empara de lui. Soudain, à dix heures, sa mère se leva et prit congé du baron. Chose étrange, ce dernier ne paraissait nullement étonné de ce départ prématuré ; il ne chercha pas, non plus, comme il le faisait toujours, à la retenir. Le battement retentissait toujours plus fort dans la poitrine de l’enfant.
C’était vraiment l’épreuve, maintenant. Edgar, lui aussi, fit semblant de ne rien remarquer et suivit sa mère sans protestation. Mais brusquement ses yeux tressaillirent. Il venait de surprendre chez celle-ci un regard souriant qui, passant

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