Comment tuer Shakespeare
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Comment tuer Shakespeare , livre ebook

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Description

Depuis plus de vingt-cinq ans, Normand Chaurette écrit avec et contre Shakespeare. Dans Les Reines, la première pièce québécoise produite à la Comédie-Française, il a revu et corrigé Richard III du point de vue des personnages féminins. Entre un Othello inédit et sa récente traduction du Roi Lear, il a dû inventer une langue capable de rendre celle du dramaturge de Roméo et Juliette et du poète des Sonnets. Comment tuer Shakespeare est le récit de cet étonnant combat. Entre narration et essai, portraits et journal de création, ce livre est le regard singulier d’un homme de théâtre qui a l’audace de défi er la présence à la fois concrète et fantomatique d’un increvable Shakespeare. Dramaturge et traducteur reconnu, Normand Chaurette a écrit plus d’une douzaine de pièces de théâtre, notamment Le Petit Köchel, Stabat Mater II, Le Passage de l’Indiana, Les Reines, Fragments d’une lettre d’adieu lus par les géologues et Provincetown Playhouse, juillet 1919, j’avais 19 ans. Il a traduit pas moins de douze pièces de Shakespeare, qui ont connu un immense succès, et a signé des textes français d’oeuvres d’Ibsen et de Schiller. Il est également l’auteur d’un roman, Scènes d’enfants, et de quelques nouvelles. Ses pièces, créées à Montréal et traduites en plusieurs langues, ont été jouées dans les grandes villes canadiennes comme à New York, Paris, Bruxelles, Hambourg, Florence, Barcelone ou Édimbourg. Normand Chaurette est lauréat de nombreux prix et distinctions au Québec, au Canada et en Europe ; il a reçu l’Ordre du Canada en 2005.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 octobre 2011
Nombre de lectures 1
EAN13 9782760627154
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le prix de la revue Études françaises a été créé en 1967, à l’initiative du directeur de la revue, M. ῀ Georges-André Vachon, et grâce à la générosité d’un imprimeur montréalais, M. ῀ Alex-J. Therrien. Il a été décerné de façon irrégulière, entre 1968 et 1980, à des auteurs du Québec ou de la francophonie. Des œuvres romanesques, des recueils de poésie et des essais ont été couronnés durant cette période. Après une interruption d’une quinzaine d’années, le prix a été relancé et redéfini en 1995 et il est désormais décerné tous les deux ans à un auteur québécois ou à un auteur étranger francophone.
La revue Études françaises et les Presses de l’Université de Montréal désirent souligner une contribution exceptionnelle à la réflexion sur la littérature et l’écriture de langue française. Le lauréat, choisi par un jury de la revue, reçoit un prix d’une valeur de 5000 ῀ $ pour un manuscrit inédit. Cette année, ce jury était constitué de Francis Gingras, directeur de la revue Études françaises , de Jean-François Hamel, de Catherine Mavrikakis, de Benoît Melançon, directeur scientifique des Presses de l’Université de Montréal, et de Pierre Nepveu.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Chaurette, Normand, 1954-
Comment tuer Shakespeare
ISBN 978-2-7606-2275-3 PDF 978-2-7606-2714-7 ePub 978-2-7606-2715-4
1. Chaurette, Normand, 1954- - Romans, nouvelles, etc. I. Titre.
PS8555.H439C65 2011 C843’.54 C2011-941932-7 PS9555.H439C65 2011
Dépôt légal ῀ : 3 e trimestre 2011 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Les Presses de l’Université de Montréal, 2011
Les Presses de l’Université de Montréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour leurs activités d’édition.
Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).
IMPRIMÉ AU CANADA EN SEPTEMBRE 2011
Pour Alice Ronfard
I LES AMANTS
Une traduction de Macbeth
Le 23 ῀ janvier 1988 au matin, c’était un samedi, Bantcho Bantchevsky resta de longues minutes stupéfait après avoir ouvert les yeux. Son corps était complètement dénudé, lui qui n’avait jamais pu trouver le sommeil qu’à condition d’être emmitouflé jusqu’aux oreilles. Il régnait dans la chambre à coucher un climat de grande tiédeur. Bantcho ne suffoquait pas, ne grelottait pas. Il s’était pourtant endormi, comme toutes les nuits, dans des transes accompagnées de cauchemars sans fin. Mais ce matin-là, il s’éveillait apparemment dans la douceur d’une nouvelle vie. Il contemplait par la fenêtre mille et un cristaux pendant aux branches vitrifiées de l’hiver.
Encore interloqué par la légèreté de son état, il appela son ami Jorge pour lui confier qu’il était guéri, qu’il était sauvé, qu’il ne s’était jamais senti aussi bien de toute sa vie. Il appela ensuite son psychiatre. C’était le répondeur. Il annula ses rendez-vous. Il fit de même avec son neveu, lequel se faisait un devoir de lui apporter des plats cuisinés la fin de semaine. Bantcho avait envie de se faire à manger lui-même. Ça ne lui était pas arrivé depuis des années.
À Jorge, il avait dit que plus rien ne les empêchait d’aller à leur matinée hebdomadaire du Metropolitan Opera. Bantcho avait beau y aller de moins en moins souvent, il conservait le même abonnement depuis des années, première rangée au centre du troisième balcon – mais Jorge avait déjà quelque chose de prévu à son programme.
Bantcho hésita. Il adorait Verdi autant qu’il lui répugnait de prononcer à haute voix le titre de l’opéra qu’on jouait en matinée. Le faire risquait de vider l’enfer de tous ses diables, comme le dit Shakespeare dans La Tempête , et de les voir s’attrouper à ses talons. Bantcho réfléchit. Même des gens en bonne santé physique et mentale avaient déjà été victimes de maladies et d’accidents, parfois mortels, pour avoir prononcé à haute voix le nom de « ῀ Macbeth ῀ » dans des théâtres.
Et ses démons à lui ῀ ?
Comment ses humeurs avaient-elles pu se rétablir en si peu de temps, et sa tête se libérer des pensées morbides qui, la veille encore, lui avaient procuré des heures de paralysie et d’angoisse ῀ ? Des chagrins quotidiens, auxquels il aurait mille fois préféré la mort. Il ne les redoutait même plus ῀ ! C’est à peine s’il pouvait croire que ces terreurs lancinantes, qui remontaient jusqu’à son enfance, il les avait vécues.
Macbeth…
Il choisit d’y aller seul. Comme il choisissait de le faire la plupart du temps depuis qu’il s’était procuré son abonnement pour deux. Bantcho n’entendait jamais un opéra que lorsqu’il pouvait y pénétrer seul, la tête envahie, pesante, inclinée vers le banc vide à sa gauche. Impossible autrement de s’imprégner des images, des corps, de la violence, des sons.
Il regretta d’avoir désobéi à son instinct. Dès les premières mesures du prélude à l’orchestre, il sut que la guérison miraculeuse dont il était l’objet comportait un grave inconvénient ῀ : son esprit demeurait présent à toute chose concrète qui se produisait autour de lui. Toussotements, chuchotements dans l’assistance, mais aussi bruits secondaires provenant de la représentation. Dans la fosse, un grincement inhabituel dans la section des violons, et des vibrations surexposées des cuivres. Ceux-ci jouaient trop fort pour qu’on les entende vraiment. Les percussions sonnaient creux, vide.
Assis dans la grande salle de 3800 places, les autres spectateurs semblaient assister nonchalamment à ce début d’opéra tout en obscurité. Une bonne majorité devait penser comme lui que ce n’allait pas être une matinée mémorable.
Bantcho était, dans son âme, meilleur musicien qu’homme de lettres.
Cette ouverture de Verdi ῀ : un début virtuose sans que rien y paraisse, rapide, faisant alterner les cordes et les bois, suivi d’une mélopée, une plainte d’une douleur extrême jouée à tue-tête par les violons, avec accompagnement de clarinettes presque inaudibles.
Simplet. Où sont passés ses quinze ans où il tenait cette page de Verdi pour une des plus belles choses de la musique universelle ῀ ?
Rideau ῀ : apparition d’une friche enneigée.
Groupe de sorcières à leurs chaudrons.
Entrée pompeuse de Macbeth et de Banquo ῀ :
Salve, o Macbetto, di Scozia re ῀ !
Polyglotte et traducteur de son métier, Bantcho n’avait pas besoin de recourir aux surtitres pour comprendre le sens des paroles chantées. Le moniteur allumé devant lui le dérangeait. Il l’éteignit. La lumière provenant du moniteur de son voisin de droite l’irrita plus encore.
Salut, ô Macbeth, roi d’Écosse ῀ !
Bantcho aurait voulu y croire, à cette prédiction des sorcières. Mais il ne l’entendait pas. Il la connaissait trop. Il ne l’entendait plus. Ainsi chantée par une douzaine de voix grêles, cette annonce ne semait aucune anticipation dans son cœur. Sur scène, le baryton, dans le rôle de Macbeth, ne paraissait guère plus ému.
Bantcho se demanda si ce n’était pas son manque d’enthousiasme à lui qu’il communiquait aux chanteurs.
Il lui vint une envie de jouer au poker. Mais avec qui ῀ ? Il n’avait plus beaucoup d’amis. Et Jorge ne jouait pas.
Étrange, à ce moment-ci d’un opéra, cette rage. Il n’avait pas joué depuis son adolescence. Quoique ce fût par là que tout avait commencé. Le remords, la honte.
La seule à qui l’on croit dans cette production, la voici en vêtement de nuit, tout en soie blanche, au milieu de la scène. Elle ne chante pas, elle parle. Elle lit à voix haute une lettre l’informant de l’avancement de son époux.
C’est à partir de là que la force de Verdi se révèle. Un véritable orage à l’orchestre qui fait s’ascensionner des vents qui vont se résoudre, par une succession de tonalités, jusqu’à une descente chromatique que Wagner essaiera toute sa vie de copier.
Lady Macbeth entame son grand air… Non que la soprano Elizabeth Connell manque de coffre, mais pour Bantcho ça ne peut pas aller. Elle a tout pour faire une parfaite Lady Macbeth ῀ : voix wagnérienne, crescendos fulgurants, une attention à chaque détail de la partition, des échanges furtifs avec le chef qui ressemblent à des hallucinations. Mais ça ne peut pas aller. Banquo remarque un faux pli dans le drap qui recouvre le lit. Ce faux pli l’énerve – mais c’est l’énervement qu’il provoque qui l’étonne.
Une soprano internationale est payée pour chanter le rôle de Lady Macbeth dans un opéra de Verdi qui s’inspire d’une pièce de Shakespeare. Traduction honnête, mais sommaire. Dire qu’à vingt ans Bantcho tenait le livret de Piave comme un grand exemple de concision, et aussi de liberté.
L’aria d’Elizabeth Connell se déploie dans l’espace. Bantcho voudrait la supplier de recommencer car il a raté un trait dans le récitatif qui le transporte habituellement au septième ciel.
Pas d’extase non plus sur le point d’orgue final. Bantcho se dit qu’il n’est pas le seul à n’avoir rien reçu. Les applaudissements sont frileux. À peine dix secondes. Cette soprano est pourtant magistrale.
Il voudrait simplement ne plus penser à Verdi. Ne plus penser du tout. Or l’arrivée de Macbeth dans la chambre, ça ne peut pas aller. Le cortège napolitain qui fait passer le roi Duncan au fond de la scène dit assez combien Verdi n’en est pas encore à Otello ni à Falstaff . Une musique qui ridiculise l’action, qui compare le pouvoir à du guignol et rend soudain le crime qui se prépare archi-théâtral.
Ce n’est pas comme ça que Bantcho entrait autrefois dans un opéra. Il se laissait happer par la réalité des personnages, il devenait leur peau, leur peur, leur ambition, leurs remords glacés, leurs nuits blanches.
Après l’opéra, vivement une soirée normale. Il irait au Russian Tea Room, il s’achèterait une place de dernière minute à Carnegie Hall ῀ ; dans l’intervalle, il aurait la chance de se procurer un veston et de laisser celui-ci à un sans-abri.
Carnegie Hall ῀ ? Stravinsky ῀ ? Mais entrerait-il dans Stravinsky mi

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