Esquisses martiniquaises
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Esquisses martiniquaises , livre ebook

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Description

Lafcadio Hearn (1850-194)



"Lorsque vous vous trouvez pour la première fois, par un jour sans ombres, à Saint-Pierre, la délicieuse ville des Antilles, pour peu que vous ayez le sens de la poésie et des souvenirs classiques, il se glissera dans votre imagination une impression de « déjà vu » il y a très, très longtemps de cela, vous ne sauriez dire où. Cette sensation est comparable à celle d’un rêve, d’un rêve très heureux, dont vous n’avez gardé qu’un souvenir imprécis. La simplicité et la solidité de l’architecture bizarre, l’excentricité des rues gaies et étroites tout embrasées de chauds coloris, les teintes des toits et des murs, vieillis par des striures et des tâches vertes et grises de moisissures, l’absence surprenante de châssis aux fenêtres, de vitres, de becs de gaz et de cheminées, la délicatesse de fleur du ciel bleu, la splendeur de la lumière tropicale et la chaleur du vent tropical, – tout cela vous produira moins l’impression d’une scène d’aujourd’hui que la sensation de quelque chose qui a été et qui n’est plus. Lentement ce sentiment se précise avec le plaisir que vous prenez dans l’éclat coloré des costumes, dans la demi-nudité des silhouettes des passants, dans la grâce puissante des torses basanés comme le métal de statues, dans la courbe arrondie de bras et de jambes dorés comme des fruits tropicaux, dans la grâce des altitudes, dans l’harmonie inconsciente des groupements, dans les draperies et les plis des robes légères qui oscillent au balancement des hanches libres, dans la symétrie sculpturale des pieds nus. Vous regardez les rues citrines de haut en bas, là-bas vers l’éblouissante clarté bleue, où la mer et le ciel se confondent, là-haut vers la verdure perpétuelle des montagnes boisées, – et vous vous émerveillez du moelleux des tons, de la netteté des lignes dans la lumière, de la diaphanéité des ombres colorées..."



Lafcadio Hearn, charmé par l'île et ses habitants, a vécu deux ans à la Martinique. Il trace un portrait de "l'île des revenants", comme il la surnommait, mêlant ethnographie, folklore et bien d'autres choses...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 2
EAN13 9782374636023
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Esquisses martiniquaises


Lafcadio Hearn

traduit de l’anglais par Marc Logé


Février 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-602-3
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 602
 
« La façon d’être du pays est si agréable, la température si bonne, et l’on y vit dans une intimité si honnête, que je n’ay pas vu un seul homme, ny une seule femme qui en soient revenus, en qui je n’aye remarqué une grande passion d’y retourner. »
 
L E P ÈRE D UTERTRE , 1667.
 
 
À Mon Cher Ami
L ÉOPOLD A RNOUX
Notaire à Saint-Pierre, Martinique.
 
 
Souvenirs de nos promenades, de nos voyages, de nos causeries, des sympathies échangées, de tout le charme d’une amitié inaltérable et inoubliable, de tout ce qui parle à l’âme au doux Pays des Revenants.
 
L. H.
Préface

Pendant le voyage qu’il entreprit aux Petites Antilles au cours de l’été 1887, Lafcadio Hearn, débarquant à la Martinique, fut immédiatement sensible à l’influence de « ce charme singulier que 1’île a toujours exercé sur les étrangers et qui lui a même valu son surnom poétique : « Le Pays des Revenants ». Et il avoue dans une de ses lettres : « De même que bien d’autres avant moi, je ne quittai ces rivages enchantés que pour être hanté par cet irrésistible regret qui ne ressemble à aucun autre, et qui est précisément l’enchantement que ce pays exerce sur tous ceux qui s’en éloignent. Aussi j’y retournai avec l’intention d’y séjourner quelques mois ; mais l’enchantement dura et j’y restai deux ans. »
Deux ans pendant lesquels il vécut au milieu « d’une population fantastique, étonnante, – une population des mille et une nuits », apprenant à aimer et à comprendre cette humanité des tropiques, qui, dit-il, possède, « un grand charme, celui de l’enfance et de la bonté ».
Commencées pendant son premier séjour, Hearn ne termina ses Esquisses Martiniquaises qu’après avoir « revu l’île magique à travers une brume d’été ». Nulle part son amour des tropiques qui le tenailla toute sa vie, même pendant ses premières années au Japon, n’est exprimé avec une ferveur et une sincérité plus émouvantes... Avec quel élan passionné il s’écrie : « Ah ! les tropiques ! Ils tirent toujours aux cordes de mon cœur. Mon Dieu, mon véritable champ de travail était là, dans les pays latins, aux Antilles, et dans l’Amérique espagnole. Mon rêve était de hanter les vieilles cités espagnoles et portugaises, de remonter l’Amazone et l’Orénoque pour y découvrir des sujets de romans que nul autre n’aurait pu y trouver »...
À défaut de ces romans surprenants qu’il rêva d’écrire, Hearn appliqua ses dons remarquables à dépeindre la vie frémissante et colorée de Saint-Pierre et des villages avoisinants, « Saint-Pierre, la plus bizarre, la plus pittoresque, et aussi la plus jolie ville. des Antilles ; toute bâtie et pavée de pierre, aux rues très étroites, aux toits pointus de tuiles rouges percés de lucarnes. La plupart des édifices sont peints d’un jaune clair qui fait un délicieux contraste avec le ruban bleu incandescent du ciel tropical. Aucune rue n’est absolument plate ; presque toutes les rues escaladent les collines, dégringolent les vallons, se tordent, se courbent, décrivent des angles soudains... Du pittoresque et de la couleur, voilà les charmes particuliers et uniques de Saint-Pierre. »
Et c’est ce pittoresque et cette couleur qui revivent dans les pages des Esquisses Martiniquaises, où les porteuses, les das, les belles chabines, les jolies griffonnes aux noms vieillots et charmants, – C oraline, – Azaline, – Florine, – Cendrine, – Loulouze, – et leurs compagnons, les ouvriers du port et des plantations, gabarriers, arrimeurs et travailleurs musclés, défilent en une procession bariolée sous la splendeur de cette nature tropicale dont Lafcadio Hearn a été le peintre fidèle et enthousiaste.
Grâce à lui, la vision de l’ancien Saint-Pierre s’élève, tel un mirage hors d’un passé encore si proche de nous, et en le contemplant nous comprenons pourquoi Lafcadio Hearn a choisi comme épigraphe ces lignes écrites en 1667 par le Père Dutertre, de l’Ordre des Frères Prêcheurs : « La façon d’être du pays est si agréable, la température si bonne, et l’on y vit dans une liberté si honnête, que je n’ai pas vu un seul homme ni une seule femme qui en soient revenus en qui je n’aie remarqué une grande passion d’y retourner. »

M ARC L OGÉ .
Septembre 1923.
Les porteuses
 
I
 
Lorsque vous vous trouvez pour la première fois, par un jour sans ombres, à Saint-Pierre, la délicieuse ville des Antilles, pour peu que vous ayez le sens de la poésie et des souvenirs classiques, il se glissera dans votre imagination une impression de « déjà vu » il y a très, très longtemps de cela, vous ne sauriez dire où. Cette sensation est comparable à celle d’un rêve, d’un rêve très heureux, dont vous n’avez gardé qu’un souvenir imprécis. La simplicité et la solidité de l’architecture bizarre, l’excentricité des rues gaies et étroites tout embrasées de chauds coloris, les teintes des toits et des murs, vieillis par des striures et des tâches vertes et grises de moisissures, l’absence surprenante de châssis aux fenêtres, de vitres, de becs de gaz et de cheminées, la délicatesse de fleur du ciel bleu, la splendeur de la lumière tropicale et la chaleur du vent tropical, – tout cela vous produira moins l’impression d’une scène d’aujourd’hui que la sensation de quelque chose qui a été et qui n’est plus. Lentement ce sentiment se précise avec le plaisir que vous prenez dans l’éclat coloré des costumes, dans la demi-nudité des silhouettes des passants, dans la grâce puissante des torses basanés comme le métal de statues, dans la courbe arrondie de bras et de jambes dorés comme des fruits tropicaux, dans la grâce des altitudes, dans l’harmonie inconsciente des groupements, dans les draperies et les plis des robes légères qui oscillent au balancement des hanches libres, dans la symétrie sculpturale des pieds nus. Vous regardez les rues citrines de haut en bas, là-bas vers l’éblouissante clarté bleue, où la mer et le ciel se confondent, là-haut vers la verdure perpétuelle des montagnes boisées, – et vous vous émerveillez du moelleux des tons, de la netteté des lignes dans la lumière, de la diaphanéité des ombres colorées... Et toujours vous interrogez votre souvenir : « Quand ? Où ai-je déjà vu tout cela... autrefois ? »
Et puis votre regard se trouve peut-être tout à coup fixé par la beauté vaste et solennelle de la masse verdoyante aux ombres violettes du volcan mort, qui domine de très haut la ville, visible de toutes les rues et ombragé peut-être par de minces spirales de nuages, pareils aux spectres de ses anciennes fumées montant vers le ciel. Alors brusquement le secret de votre rêve se révèle à vous avec l’évocation de nombreux souvenirs lumineux : – rêves des Idyllistes, fleurs des vieilles chansons siciliennes, fantaisies gravées sur les murs de Pompéi. Un moment cette illusion est délicieuse ; – vous comprenez, comme, jamais vous ne l’avez encore compris, le charme d’un monde disparu, la ville antique, l’histoire des terres cuites, des pierres gravées, et de tous les objets gracieux exhumés des fouilles. Le soleil lui-même n’appartient pas à aujourd’hui mais à vingt siècles passés. C’est ainsi et sous cette même lumière que marchaient les femmes du monde antique. Vous savez que cette imagination est absurde, : que la force de l’astre ne s’est pas visiblement atténuée à travers tous les âges de l’humanité, – que sa gloire toute-puissante dure depuis des millions d’éons. Mais pendant cet instant de rêverie, il paraît plus grand, ce soleil impossible qui colore les mots, qui colore les œuvres des artistes amoureux du passé de la lumière dorée des rêves.
Cette hallucination est trop vite rompue par des bruits modernes, par des visions modernes, – par les pas pesants de matelots qui descendent en tanguant vers leurs navires, – par le coup lourd

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