Les Morticoles
443 pages
Français

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Les Morticoles , livre ebook

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Description

Léon Daudet (1867-1942)



"On se fie rarement aux récits des voyageurs : c’est un soupçon commode, qui dispense d’étudier et de lancer des pierres dans les étangs mornes de l’esprit. Aussi n’essayerai-je pas de convaincre un lecteur trop rétif. S’il pense ce livre mensonger, qu’il le ferme et le jette. Je parle pour les autres, ceux qui ont confiance et cherchent à s’instruire.


Je m’appelle Félix Canelon. Si je m’observe au miroir, je retrouve sans trop de peine, sous le vieillard d’aujourd’hui, le jeune homme que j’aimais tant, aux regards vils, au nez busqué, aventureux, à l’âme inquiète mais ardente. J’ai maintenant cent cinq ans, bon pied, bon œil, excellent estomac, une femme adorée, deux enfants septuagénaires, cinq petits-fils et petites-filles et douze arrière-bambins qui font ma joie. Ce sont conditions d’optimisme nécessaires à qui veut raconter sans fiel des aventures passées et douloureuses, car le défaut de ces sortes d’entreprises est souvent de teindre de vieux événements avec une bile récente. On n’attribuera donc ma vivacité qu’à celle de mes souvenirs. Pour quelques heures, la fièvre de mon adolescence va renaître. Qu’elle soit la bienvenue !


J’étais un solide gars de dix-sept ans. J’habitais avec les miens une chère petite maison, près des faubourgs tumultueux et de la mer bruissante. J’avais reçu l’habituelle éducation de notre cité, laquelle, j’ai pu m’en convaincre au cours de mes voyages, est certes la meilleure de toutes. Chacun se porte bien, respire un air alerte, fait son devoir en chantant."


Quelle est cette île vers lequel s'approche le "Courrier", un voilier perdu sur une mer trop calme ? C'est le pays des Morticoles... des hypocondriaques ayant donné le pouvoir aux médecins et qui vivent dans une dictature sanitaire... Que va devenir l'équipage ?

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 3
EAN13 9782384420056
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Morticoles


Léon Daudet


Décembre 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-005-6
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1003
Au glorieux Patron des Lettres françaises,
À E DMOND DE G ONCOURT ,
Je dédie ce livre ,
en témoignage d’affectueuse admiration.
L ÉON D AUDET

-oOo-

PREMIÈRE PARTIE

I

On se fie rarement aux récits des voyageurs : c’est un soupçon commode, qui dispense d’étudier et de lancer des pierres dans les étangs mornes de l’esprit. Aussi n’essayerai-je pas de convaincre un lecteur trop rétif. S’il pense ce livre mensonger, qu’il le ferme et le jette. Je parle pour les autres, ceux qui ont confiance et cherchent à s’instruire.
Je m’appelle Félix Canelon. Si je m’observe au miroir, je retrouve sans trop de peine, sous le vieillard d’aujourd’hui, le jeune homme que j’aimais tant, aux regards vils, au nez busqué, aventureux, à l’âme inquiète mais ardente. J’ai maintenant cent cinq ans, bon pied, bon œil, excellent estomac, une femme adorée, deux enfants septuagénaires, cinq petits-fils et petites-filles et douze arrière-bambins qui font ma joie. Ce sont conditions d’optimisme nécessaires à qui veut raconter sans fiel des aventures passées et douloureuses, car le défaut de ces sortes d’entreprises est souvent de teindre de vieux événements avec une bile récente. On n’attribuera donc ma vivacité qu’à celle de mes souvenirs. Pour quelques heures, la fièvre de mon adolescence va renaître. Qu’elle soit la bienvenue !
J’étais un solide gars de dix-sept ans. J’habitais avec les miens une chère petite maison, près des faubourgs tumultueux et de la mer bruissante. J’avais reçu l’habituelle éducation de notre cité, laquelle, j’ai pu m’en convaincre au cours de mes voyages, est certes la meilleure de toutes. Chacun se porte bien, respire un air alerte, fait son devoir en chantant. Fils d’artisans, j’allais à l’école deux heures par jour. On m’y apprenait surtout à aimer mon semblable, à honorer la Providence, à arracher de mon cœur les sentiments mauvais qui poussent dans les prairies naturelles de la sagesse et de la joie : « Vous venez ici, nous disait notre excellent maître, moins pour étudier des sciences vaines et précaires que pour faire votre toilette morale et sentir en tout la beauté. » Ensuite je m’occupais à domicile de notre agréable métier qui consiste à tresser des corbeilles et menus objets de vannerie. Le reste du temps je jouais, je me promenais, je faisais des lectures. Le malheur fut que plusieurs de celles-ci traitaient de voyage et de navigation. Elles m’animèrent tellement que je suppliai mon père de me laisser courir un peu le monde avant de m’engager pour toujours dans la vie familiale. Il eut la faiblesse d’y consentir.
Je m’embarquai sur le Courrier , grand navire qui faisait le commerce avec les contrées les plus lointaines. Il y avait à bord trente matelots et dix comptables dont j’étais. Le capitaine, un brave homme râblé au visage rouge et jovial, nommé Sanot, manquait d’expérience, car, après une première escale, il perdit complètement sa route et nous parcourûmes cinquante-six jours une mer libre et désolée, réduits à consommer en partie les vivres dont nous comptions faire le trafic. Nous commencions à perdre courage quand la terre fut enfin signalée.
Un petit point qui grossit vite vint à notre rencontre. À quelque distance il stoppa et nous fit certains signaux de convention ; mais nous n’y comprîmes rien, fatigués que nous étions et surpris par l’extraordinaire aspect du messager. C’était une galère sombre, qui portait un immense pavillon noir sur lequel était gravée une tête de mort d’une blancheur éclatante. Le désarroi de nos estomacs, l’inquiétude et la vue de cet angoissant navire nous rapprochèrent du surnaturel tellement que mes camarades frissonnaient et que moi-même j’entendais le bruit de castagnettes dans mes mâchoires. Alors le capitaine qui, s’il savait très mal la conduite pratique d’un bâtiment, avait des lumières étendues, nous dit d’une voix rassurante : « Je connais ces couleurs ; encore qu’elles soient lamentables, elles nous présagent un heureux destin. C’est le drapeau des Morticoles et nous touchons à leur pays ; nul havre plus sain ne pouvait s’offrir à nos corps délabrés. » Et, tandis qu’une étroite embarcation se détachait du bâtiment, noire elle-même et portant en petit le pavillon à tête de mort, Sanot nous donna quelques détails sur cette contrée où nous avait dirigés son ignorance : « Les Morticoles sont des sortes de maniaques et d’hypocondriaques qui ont donné aux docteurs une absolue prééminence. D’après ce qu’on m’a dit d’eux, leur Faculté de médecine est à la fois un parlement, une diète et une cour de justice. Les seuls monuments sont des hôpitaux et chacun y suit un régime. Bientôt, au reste, nous serons renseignés. »
La chaloupe approchait du bord ; elle accosta doucement, et montèrent sur le pont quatre inoubliables personnages. L’un d’eux marchait en avant, à petits pas, détaché du groupe, comme pour nous prévenir du rôle capital qu’il jouerait dans notre séjour. Il était de taille moyenne, possédait une figure fade et louche, deux yeux ternes qui regardaient de côté, une moustache tombant vers la barbe, laquelle convergeait en pointe fine, l’ensemble d’une couleur indécise et pisseuse. Car le poil de cet homme dissimulait son âge, comme son âme dissimu lait tout, et sa sueur elle-même devait être d’hypocrisie. Les trois dévots mannequins qui l’escortaient, comme lui revêtus de longues redingotes obscures, qu’aucun linge n’égayait, composaient leurs têtes sur celle de leur patron et, quoique beaucoup plus jeunes, aspiraient au même aspect vague. Nous nous rangeâmes le long des sabords aussi régulièrement que nous le permettait la fatigue. Le capitaine, s’avançant, ôta son béret et s’apprêta à recevoir aimablement les visiteurs ; mais, comme il ouvrait la bouche, le délégué chef lui coupa la parole d’une voix sèche, flûtée, cependant fort nette : « Nous sommes les envoyés sanitaires de la Morticolie où la direction de votre vaisseau vous porte à atterrir. Vous avez devant vous le propre président de toutes les commissions consultatives d’hygiène et de préservation antiseptiques, le docteur Crudanet, membre secrétaire des huit Académies officielles, de la Chambre haute et basse, du Bureau de la santé sur terre, sur mer et dans l’air, spécialiste en plusieurs facultés spéciales, telles qu’yeux, nez, oreilles, langues, pieds, dents, et généraliste génial quant à l’ensemble de ces facultés. Nous devons procéder, mes aides et moi, à la formalité de la quarantaine, visiter vos hommes et le bâtiment, accomplir enfin notre devoir strict d’inquisition et de réquisition sanitaires, ainsi qu’il ressort des règlements 6, 24, 46, 68, 232, 713, 945, 2629 du code des Morticoles, dont j’ai publié il y a deux ans une nouvelle édition portative. »
Sur ce, l’orateur s’inclina, ceux qui le suivaient s’inclinèrent, et chacun garda son sérieux, car nous avions tous le pressentiment de quelque chose de sinistre. Seul le capitaine fit bonne mine : « Docteur, je me soumets joyeusement à une formalité qui me permet de connaître un haut dignitaire tel que vous. Ce navire est à vos ordres, ainsi que son équipage. Scrutez, regardez, interrogez, et, quelque dure que soit l’hypothèse d’une quarantaine, après les fatigues et les ennuis d’une traversée périlleuse, nous vous obéirons ponctuellement. » Les trois aides plus jeunes eurent un narquois plissement des lèvres qui signifiait sans doute l’impossibilité de ne pas obéir, et, jetant les yeux sur la galère venue à notre rencontre, j’y vis étinceler de place en place des rangées de canons fort persuasives.
Cependant un doux soleil ridait la mer de sourires et nous espérions la fin de nos tribulations. Le délégué Crudanet ne sourit pas, lui. Il envoya un de ses acolytes chercher dans la chaloupe une grande boîte noire au lugubre blason des Morticoles. Il l’ouvrit avec précaution sur le pont que balançait le remous de courtes vagues clapotantes. Le capitaine était descendu s’occuper de quelque besogne et nous restions, les quarante hommes d’équipage, en face de ces quatre inquiétantes 

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