Secrets d'Etat , livre ebook

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Tristan Bernard (1866-1947)



"Les événements singuliers que je me propose de relater ici sont à la vérité trop graves et trop récents pour que je puisse donner des noms réels aux personnages de cette histoire, et au pays où elle s’est passée. Je dirai seulement que l’État dont il sera question ici – et que nous appellerons la principauté de Bergensland – se trouve dans l’Europe centrale ; sa capitale – nommons-la Schœnburg – est une ville très importante, dont la population dépasse de beaucoup le chiffre de deux cent mille habitants. Je donne ici un nombre très au-dessous du nombre réel, afin de ne pas fournir de trop claires indications.


Il est assez curieux que j’aie été amené à occuper dans cette ville une situation élevée, moi qui avais végété au quartier Latin en donnant des leçons de français à un seul élève, un jeune homme borné et paresseux, qu’une riche famille de snobs lançait de force dans le journalisme mondain.


Chaque mois, mon élève me remettait dix louis sur les trois cents francs que sa mère lui allouait pour ses leçons. Je lui libellais un reçu de trois cents francs qu’il montrait à sa famille. J’avais commencé, par un scrupule de conscience un peu hypocrite, par exiger qu’il vînt chez moi trois ou quatre fois par semaine. Les premiers jours, j’avais essayé consciencieusement de lui donner une leçon, mais, devant son air rébarbatif, je pris le parti de lui lire à haute voix de bons auteurs, de façon à perfectionner son style.


Je feignais de ne pas voir qu’il dormait, et je lisais pour moi, ce qui était assez agréable. Ainsi, je touchais une faible somme qui m’aidait à vivre, je me perfectionnais dans l’étude de nos classiques, et mon élève, tout en augmentant sa pension de cent francs, se reposait de ses nuits de fatigues. Jamais trois cents francs ne furent mieux employés.


Cependant j’aurais bien voulu trouver un autre emploi pour m’assurer une existence moins étroite."



Humbert, jeune professeur de français assez paresseux, est engagé par l'ambassade du Bergensland, petite principauté germanique. En poste dans la capitale, il est chargé de traduire et d'informer le premier ministre des nouvelles de France... Il devient vite au parfum des petits et grands secrets des hommes forts du gouvernement...

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Publié par

Nombre de lectures

32

EAN13

9782374636566

Langue

Français

Secrets d'État


Tristan Bernard


Avril 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-656-6
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 656
I

Les événements singuliers que je me propose de relater ici sont à la vérité trop graves et trop récents pour que je puisse donner des noms réels aux personnages de cette histoire, et au pays où elle s’est passée. Je dirai seulement que l’État dont il sera question ici – et que nous appellerons la principauté de Bergensland – se trouve dans l’Europe centrale ; sa capitale – nommons-la Schœnburg – est une ville très importante, dont la population dépasse de beaucoup le chiffre de deux cent mille habitants. Je donne ici un nombre très au-dessous du nombre réel, afin de ne pas fournir de trop claires indications.
Il est assez curieux que j’aie été amené à occuper dans cette ville une situation élevée, moi qui avais végété au quartier Latin en donnant des leçons de français à un seul élève, un jeune homme borné et paresseux, qu’une riche famille de snobs lançait de force dans le journalisme mondain.
Chaque mois, mon élève me remettait dix louis sur les trois cents francs que sa mère lui allouait pour ses leçons. Je lui libellais un reçu de trois cents francs qu’il montrait à sa famille. J’avais commencé, par un scrupule de conscience un peu hypocrite, par exiger qu’il vînt chez moi trois ou quatre fois par semaine. Les premiers jours, j’avais essayé consciencieusement de lui donner une leçon, mais, devant son air rébarbatif, je pris le parti de lui lire à haute voix de bons auteurs, de façon à perfectionner son style.
Je feignais de ne pas voir qu’il dormait, et je lisais pour moi, ce qui était assez agréable. Ainsi, je touchais une faible somme qui m’aidait à vivre, je me perfectionnais dans l’étude de nos classiques, et mon élève, tout en augmentant sa pension de cent francs, se reposait de ses nuits de fatigues. Jamais trois cents francs ne furent mieux employés.
Cependant j’aurais bien voulu trouver un autre emploi pour m’assurer une existence moins étroite. J’avais toujours avec moi quelque compagne à qui j’étais attaché par la faiblesse de l’habitude. Cent francs par mois, ce n’est pas lourd pour un garçon de vingt-six ans qui aime les femmes, et qui ne veut pas trop être aimé d’elles.
Je prenais mes repas dans un petit restaurant de la rue Saint-Jacques, où la pension coûtait cinquante francs par mois. La nourriture n’y était pas très bonne, mais je restais fidèle à cet établissement auquel me retenait – je dois le dire – un arriéré continuel. J’ai longtemps maudit cet arriéré... La Providence avait son idée. C’est, en effet, dans ce restaurant que je fis la connaissance d’un petit tailleur allemand...
Il se nommait Karl Merck, il était de Carlsruhe. Après avoir séjourné pendant trois ans dans le Bergensland, il était venu s’installer depuis quelque temps à Paris. J’avais horreur de cet homme, je détestais son empressement, ses amabilités, d’autant que je ne lui accordais aucune importance sociale...
Ce fut pourtant ce personnage négligeable qui fut l’aiguilleur de mon destin, et, de la voie de garage herbue où je végétais, me dirigea sur la grande ligne où passe le rapide, et qui va loin.
Il avait des relations avec un secrétaire de l’ambassade, chez qui sa sœur, je crois, était placée comme gouvernante. Le secrétaire, que son gouvernement avait chargé de chercher un jeune Français pour tenir là-bas un emploi de confiance, s’était adressé à lui, à tout hasard, faute sans doute d’avoir des relations suffisantes en dehors du ministère français des Affaires étrangères, à qui il valait mieux ne rien demander. On leur aurait envoyé quelqu’un qu’ils auraient été forcés de garder, même s’ils avaient été mécontents de ses services, ou s’ils n’avaient pas été tout à fait sûrs de sa loyauté.
J’allai donc un matin en compagnie de Karl Merck à l’ambassade du Bergensland. Je m’efforçais de n’être pas trop aimable avec le tailleur, afin de ne pas trop m’apercevoir du contraste de mon attitude actuelle avec ma froideur passée.
C’était très gênant de marcher dans la rue avec lui, parce qu’il était extraordinairement petit, et qu’il avait la manie de se mettre toujours au pas. Je me souviens que, pendant tout ce trajet, je fis mon possible, sans en avoir l’air, pour contrarier cette manie...
Nous arrivâmes à l’ambassade, et sur un mot que tendit Karl Merck au domestique, on nous introduisit auprès du secrétaire, qui me fit subir un petit interrogatoire sur ma famille, et sur mon instruction. Puis il m’accompagna chez « le patron ».
Je me trouvai en présence d’un homme très grand, complètement rasé, qui ressemblait à un énorme garçonnet. Le secrétaire lui répéta tous les renseignements sur moi-même que je lui avais fournis. Le grand petit garçon répétait sans cesse : « Oui, oui, » en hochant la tête avec nonchalance.
– Eh bien ! dit-il, d’une voix condescendante et fatiguée, qu’on lui donne trois. Oui, oui ! faites-lui donner trois... Monsieur Humbert, me dit-il, trois mille francs je vous fais remettre... Ceci, pour les frais de votre départ... Puis il se leva et alla, sans mot dire, appuyer son front contre la vitre de la haute croisée.
L’ambassade était installée dans un vieil hôtel du faubourg Saint-Germain. Les pièces étaient très hautes et très austères. Quand l’ambassadeur fut resté quelques instants à la fenêtre, il revint, reprit place derrière son grand bureau, inclina la tête, les yeux fermés, en faisant la grimace comme quelqu’un qui souffre des dents pendant son sommeil ; puis il me regarda, les yeux brusquement grands ouverts :
– Cette mission que vous avez n’a pas un caractère secret... Non, non... mais cependant, bien évidemment, monsieur Humbert, il vaudrait mieux, en tout cas, ne pas parler à droite et à gauche...
Chaque fois qu’il disait : monsieur Humbert, il aspirait fortement l’ H , sans qu’on pût voir si c’était par mépris ou par politesse.
Puis il se mit à échanger quelques mots avec le secrétaire, qui lui donnait le titre de « prince ».
On me remit donc trois mille francs, sur lesquels je voulus laisser trois cents francs au petit tailleur, mais il n’accepta rien. Je ne sais pas s’il touchait quelque chose de l’ambassade, je ne le crois pas. Je suis persuadé qu’il agissait ainsi par pure obligeance. Il aimait rendre des services aux gens, mais il était d’un physique tellement peu avenant qu’on ne lui en savait aucun gré.
Il y avait bien longtemps que je n’avais eu à ma disposition une somme aussi importante. À la vérité, mon chiffre de dettes était presque aussi élevé. Mais ces dettes criardes, aussitôt que je fus nanti du numéraire, cessèrent de crier comme par enchantement.
J’écrivis à mes créanciers des lettres posées, par lesquelles je les remettais paisiblement au semestre suivant pour un acompte. J’allai dans un grand magasin, où j’achetai du linge, des habits et des chaussures, afin de faire bonne figure à la Cour. Je trouvai au rayon de costumes d’homme jusqu’à une culotte courte en drap blanc pour la tenue de gala.
Le secrétaire d’ambassade m’avait bien recommandé ce détail. Et j’achetai dans un café de la rue de Vaugirard une épée qu’un garçon me vendit. Il l’avait eue, je crois, d’un étudiant qui lui devait de l’argent, et il affirmait que c’était la propre épée d’un homme illustre dont le nom, à vrai dire, tel qu’il le prononçait, était inconnu, mais pouvait bien être celui, passablement altéré, de M. de Talleyrand.
Le tailleur me confia un petit livre où j’appris quelques rudiments de la langue de Bergensland, qui ressemblait d’ailleurs beaucoup à l’allemand.
Après avoir fait mes adieux à ma petite amie actuelle, qui travaillait dans les modes, et lui avoir remis une certaine somme, pas très importante d’ailleurs (quatre-vingts francs), je pris le Nord-Express, où mon voyage était payé.
II

Comment tout cela allait-il finir ? Je me disais que c’était une aubaine extraordinaire, mais je ne voulais pas trop y réfléchir : j’avais peur. J’avais beau être tombé, avant ces événements,

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