Contes Swahili (Tome 1)
220 pages
Français

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Contes Swahili (Tome 1) , livre ebook

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220 pages
Français

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Description

Ce volume est la première partie d'un recueil de 75 contes directement issus de la tradition orale en Tanzanie. Une introduction permet de situer le répertoire dans son contexte général. Les contes présentés en version bilingue comportent tous une série d'épreuves et une dimension morale. Ces petits divertissements sont autant d'illustrations d'un patrimoine aujourd'hui menacé.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2011
Nombre de lectures 129
EAN13 9782296463981
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

CONTES SWAHILI
Tombeau d’un genre mineur
Tome I
Pascal Bacuez


CONTES SWAHILI
Tombeau d’un genre mineur
TOME I
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http:// www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-54728-5
EAN : 9782296547285

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
AVANT-PROPOS


« Celui qui cultive ses dons personnels rend assez de service à l’État »
Léon Battista Alberti
AVANT-PROPOS
Le conte oral conserve, de nos jours, un statut de « patrimoine méconnu, faits de milliers de récits plus attachants les uns que les autres… » {1} Il est devenu, grâce aux folkloristes et aux ethnologues, une occasion de célébrer la littérature orale. Il a franchi la muraille des grandes lectures, est entré dans le répertoire des grands classiques et a permis, de manière indirecte, de faire triompher le style simple contre l’esprit guindé et sérieux de la fiction écrite. On ne manque pas de superlatifs et d’adjectifs pour le qualifier : le conte oral est ouvert, expansif ; toujours différent dans ses réalisations parlées, il prédispose à la convivialité. Bref, le genre est tissé de paroles mouvantes et plurielles, anonymes et impersonnelles (il n’appartient à personne). Son laconisme, ses grossièretés, ses barbarismes, sa simplicité deviennent, grâce à cette nouvelle oralité de noblesse, signes de vitalité littéraire. C’est à se demander ce qu’il peut encore envier à la Divine Comédie.

Les ethnologues ont raison de rappeler que nos sociétés ont souvent mal jugé le conte oral. Un argument revient souvent dans leurs écrits : ce genre est décrié parce qu’incompris, méprisé par une tradition qui a toujours fait de l’écrit un mode de communication supérieur. Et quand l’ethnologue se fait critique, il va jusqu’au bout : l’écrit serait même responsable de la disparition du conte. De Goody à Belmont, colliger et transcrire un conte issu de la tradition orale équivaut à le cristalliser, à le figer : « … sous prétexte de vouloir préserver un art en déclin, (Perrault et Grimm) ne font qu’en étouffer les possibilités de renouvellement » Goody, La raison graphique, 1977 : 209). On remarquera que ce réquisitoire s’accompagne souvent, comme par un effet de bascule, d’une délégitimation de l’œuvre écrite ou d’une survalorisation du « document » oral. Or, la reconnaissance d’une œuvre dans toutes ses caractéristiques ontologiques ne passe-t-elle pas d’abord par l’identification des registres de grandeur qui lui sont propres ? Ces « dignités » ne sont pas qu’historiques ou « culturelles {2} » mais correspondent probablement à des universaux. On notera par ailleurs qu’une des tendances fortes de notre époque est, comme nous le rappelle Kundera, de gommer ces ordres de grandeurs, au risque d’attribuer une valeur « majeure » à toute création. Pourquoi vouloir élever le conte oral au rang de la grande littérature écrite ? Ne peut-on pas l’apprécier à sa juste valeur et l’aimer pour ce qu’il est {3} ?

« Si on écarte la question de la valeur, en se satisfaisant d’une description (thématique, sociologique, formaliste) d’une œuvre (d’une période historique, d’une culture, etc.), si on met le signe d’égalité entre toutes les cultures et toutes les activités culturelles (Bach et le rock, les bandes dessinées et Proust), si la critique d’art (méditation sur la valeur) ne trouve plus de place pour s’exprimer, l’« évolution historique de l’art » embrumera son sens, s’écroulera, deviendra le dépôt immense et absurde des œuvres » Kundera, L’art du roman, 1986 : 183-184.

Les contes que l’on va lire ont été colligés dans la région de Kilwa en Tanzanie. Ils existent pour être dits dans une société qui connaît l’écrit depuis des siècles. Autant reconnaître qu’il n’y a pas de solution de continuité entre ces deux modes d’accès à la fiction. Certes, les récits écrits (roman, nouvelles, poésie pour l’essentiel) ne sont pas toujours connus et lus par les Tanzaniens mais on sait qu’ils existent, qu’ils circulent et qu’ils sont parfois lus et enseignés à l’école. Le conte est perçu pour ce qu’il est, non pas pour être opposé à l’écrit mais pour être dit lorsqu’on en a le loisir. Aucune raison de le mépriser, aucune raison d’en faire un roman. Dans une narration, le conteur participe aux manières communes de voir et de juger les choses, sa personnalité ne se différencie pas de la personnalité collective d’où lui viennent ses premières idées et les mots pour les dire {4} . L’enracinement dans la communauté est absolu. L’homme y est situé. Avec le conte, le génie individuel est sous cloche, à l’écart des entrelacs de la littérature de genre majeur. Le roman – c’est particulièrement vrai pour le roman de Saïd Mohamed {5} – répudie cette subordination au groupe ou aux formes lexicales trop « locales ». Mohamed excède cette dépendance du discours à l’égard des formes rustiques ; il sort du cadre régional où le conte exige qu’il se confine. Peut-on d’ailleurs pousser l’outrance du jugement esthétique jusqu’à reconnaître avec Haji Gora {6} que le roman de Said Mohamed recèle des propriétés littéraires qui le rendent plus universel que le conte de Biti Zaira ? Pour la science de l’homme, ce sont les thèmes du conte qui sont universels et non pas la forme ou le style qu’il affecte dans telle ou telle société : ainsi compare-t-on toutes les versions du Petit Poucet indépendamment de savoir comment chacune des versions de ce conte est sublimée dans une forme esthétique qui le dépasse.

Car le conte a sa place dans le folklore local. Il fait vivre des expressions populaires ; ses jongleries verbales le situent près du peuple, de son vocabulaire allégorique et de ses images farcesques et onomatopéiques. Mais c’est cet exotisme verbal que refoulent de nos jours les jeunes générations, qui n’y trouvent plus les satisfactions langagières qu’elles recherchent pour se distinguer de leurs aînés. Pour beaucoup, le conte est désuet parce que ressenti comme une manière répétitive et monotone de dire le monde. Lorsque la conteuse fait parler ses personnages, c’est souvent dans un registre qui n’est plus celui des jeunes générations. Les salutations « vieille école » insistent sur la nécessité de la politesse hiérarchique : shikamoo « je vous salue » donné à un aîné est ressenti comme un signe d’allégeance à un ordre ancien. Or, les plus jeunes ne veulent plus de ce qu’ils ressentent comme un monde révolu ; ne se saluent-ils pas de la manière la plus simple ? Vipi ? « c’est comment ? », à quoi il faut répondre, « cool » poa. Le conte swahili ignore ces évolutions linguistiques. Il est hermétique à ces infiltrations modernes. Bien qu’élitaire, le roman profite de ces innovations : il est d’ailleurs fréquent d’y ajouter un lexique, ce qui est le signe d’une plus grande vitalité de la langue.

Le conte oral est un genre simple, dépourvu de toute revendication littéraire. Quand il est apprécié, c’est d’ailleurs lorsqu’on le laisse à sa place. Ses charmes résident surtout dans les facultés d’aménagement dramatique dont dispose le conteur. Chaque conteur est libre de remanier le contenu de son répertoire, de l’émailler d’ajouts ou d’intermèdes personnels inspirés par la fantaisie de son imagination. Mais cette liberté n’est pas totale ; c’est une disposition que lui ont reconnus folkloristes et ethnologues. Nous le savons, un conteur n’est pas librettiste : il ne peut, parce que son répertoire ne lui appartient pas, mettre en scène le devin Tirésias dans une action qui se déroule à Zanzibar. Il doit s’en tenir au contexte. Pour apprécier l’opéra bouffe de Poulenc, je n’ai pas nécessairement besoin de savoir comment vivait la société de son librettiste Apollinaire.

La force du conte oral est dans son pouvoir de communication : raconter une histoire oralement est une manière de présenter une fiction sans que l’auditoire n’ait à fournir le moindre effort et sans qu’il n’ait besoin de culture (au sens d’esprit). Le récit est accessible immédiatement, sans médiation autre que le langage parlé. Le style est concis, économe d’expressions qui pourraient être ressenties comme inutiles. L’auditeur doit savoir repérer la formule lapidaire qui exprime la quintessence du récit, il doit ressentir (plus qu’il n’entend réellement) beaucoup grâce au peu de mots fournis, parce que le récit est parlé. D’ailleurs, la langue du conte n’est pas différente de celle de tous les jours. Dans ce

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