La lecture à portée de main
111
pages
Français
Ebooks
2012
Écrit par
Hervé Berteaux
Publié par
Editions CPE
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Ebook
2012
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Publié par
Date de parution
27 décembre 2012
Nombre de lectures
43
EAN13
9782365729796
Langue
Français
Les Petites Histoires de la vieille : Languedoc - Rares sont les ouvrages qui vont chercher ce qui se cache derrière cette terre de cartes postales. Or notre vieux terroir possède bien des trésors, bien des légendes. Personne ne sait où habite “La Vieille”, mais elle accepte de raconter à Hervé Berteaux les vieilles histoires transmises de génération en génération. Des histoires bien malicieuses que seule La vieille pouvait nous restituer. Ces histoires vont vous faire sourire, vous faire peur, et vous faire rêver... C’est une émotion de la simple réalité qui vous est proposée c’est l’homme d’hier et l’homme contemporain qui vous sont rapportés dans ces nouvelles de terroir.
Publié par
Date de parution
27 décembre 2012
Nombre de lectures
43
EAN13
9782365729796
Langue
Français
Prologue : le café du village
J’ai souvent entendu dire que dans une rencontre, c’est la première impression qui compte.
Jusqu’à ce jour, je n’avais pas cru bon inviter cette sentence à demeurer dans l’intimité de ma mémoire.
Elle entrait et sortait comme toutes autres vérités ou évidences improbables dont je faisais moisson dans un lieu tout aussi aléatoire où je me réfugiais chaque matin pour y consommer une boisson éponyme : un café.
Précision doit cependant être apportée quant à l’authenticité du lieu. C’était un café-bar de village, le dernier qui s’obstinait à ne pas fermer pendant que d’autres, une vraisemblable demi-douzaine selon mes observations, n’affichaient plus depuis au moins deux décennies que des devantures fantomatiques avec des carreaux fêlés vaguement colmatés par des cartons gondolés et tâchés par d’innombrables attaques successives d’humidité, des boiseries en partie fendues dont les peintures craquelaient, voire se décollaient par endroit en traçant d’étonnantes géographies, et enfin de vieilles publicités rendus diaphanes par une exposition prolongée aux assauts de l’astre du jour pour des boissons alcoolisées ou non dont certaines avaient également disparu de toute habitude apéritive.
Le village ainsi en prenait cher pour son grade de tristesse mais il ne cédait là en rien aux autres communes qui subissaient comme lui l’érosion lente de la désertification des zones rurales.
Autant dire qu’en sa résistance opiniâtre, le café dont je fais mention avait, dans l’esprit des âmes locales, une haute valeur proche de celles que requiert tout héroïsme.
J’entrais toujours vers les huit heures du matin, selon un rituel qui consistait à prendre le pouls du monde, monde certes restreint, avant d’aller rejoindre ma table de travail dans un délai n’excédant jamais les trois-quarts d’heure.
Je saluais le patron ou la patronne, cette dernière plus rarement car affectée généralement à la noble tâche d’accompagner à l’école une marmaille aussi bruyante que débordante d’énergie.
Ils avaient des employés mais je les connaissais peu, sauf les jours rares où quelque maladie efficace s’emparait du couple de tenanciers. Pour cause, ils arrivaient généralement sur le coup de midi, voire seulement le soir, aux moments de surchauffe.
Le patron, la patronne, le serveur ou la serveuse regardait aussitôt – un – si ma table était libre, – deux – si elle était propre.
J’aimais beaucoup cette attention quand bien même je ne me serais jamais offusqué de devoir prendre place ailleurs.
Une fois assis à la dite table ou exceptionnellement à une autre, m’étaient posées trois questions désormais rituelles : « Qu’est-ce que ce sera Monsieur ? », « Un café ? », « Un ou deux sucres ? »
Je n’avais jamais le temps de répondre à la première. Pour la deuxième, il me suffisait d’un rapide hochement de la tête pour être entendu selon un code qui s’était rapidement installé entre nous. Quant à la troisième concernant ma dose d’ingurgitation de sucre, j’offrais généralement un large sourire qui entraînait chez mon interlocuteur une rectification immédiate et spontanée : « Ah oui, c’est vrai. Vous, c’est sans sucre. »
J’en profitais pour saluer au passage les deux à cinq fidèles du lieu, ceux qu’on appelait les sénateurs, surnom plus élégant que celui de piliers de bar, en raison de leur faculté inépuisable à refaire tout événement fondamental du moment : match de fouteballe de la veille, potin et rumeur du pipole de Paris ou d’ailleurs, soirée électorale avec un summum de vigueur exprimée pour les municipales et les cantonales et surtout, verdict de tout problème de clôture ou de conflits qui auraient pu se dérouler à l’ombre du clocher. De surcroît, la pertinence qui était la leur se développait à une vitesse arithmétiquement équivalente à l’échauffement des esprits, lequel était concomitant à l’absorption des nombreux vulnéraires servis sur place.
Ces étonnants compagnons du matin démarraient la journée avec des boissons bien plus enivrantes que mon petit noir. Selon les âges, cela allait du verre de blanc sec – celui de la coopérative que le patron n’avait pas encore eu le temps de transvaser dans une carafe et qu’il servait à même le cubitainer – au demi de bière, boisson qui reprenait ses droits au pays, en souvenir de temps révolus où chaque établissement savait pourquoi il s’appelait brasserie.
Je gagnais enfin ma table, je dis bien « ma » en raison des jours fastes où le patron ou sa dame prenait bonheur à m’y voir assis, et non « la » ceux beaucoup plus rares où de pauvres inconnus de passage qui l’avaient empruntée, devenaient cibles d’un regard noir auquel ils ne pouvaient rien comprendre.
Il en était de même pour le Midi Libre, journal quotidien dominant dans le canton, dont un des deux exemplaires auxquels le café était abonné m’était automatiquement réservé. Je précise que je n’en avais jamais fait la demande. Il en avait été décidé ainsi dans les sphères dirigeantes du café selon un étrange raisonnement – Provenait-il du patron, de sa dame ou des deux ? – qui établissait que quelqu’un d’estranger qui venait habiter au village et qui buvait son café sans sucre était par nature un lecteur obligé du quotidien local.
J’aurais pu être ignoré. C’était arrivé à d’autres avant moi. Mais peu à peu – étais-je à ce point mystérieux à leurs yeux ? –, j’avais su gagner le minimum d’estime pour en arriver au respect que l’on m’accordait désormais.
En vérité, j’avais rapidement compris qu’il ne fallait regarder dans les pages du journal que celles qui concernaient le village et à l’extrême rigueur les autres communes du canton dont prioritairement celles que j’aurais pu apercevoir si j’avais eu l’autorisation de monter tout en haut du clocher.
J’en reviens à ma table. Elle était toute faite de bois massif que des années de bistrot avaient patiné à leur manière. Je ne comptais plus les auréoles de tasses et de verres que des nuits d’abandon avaient laissées s’imprégner. Figuraient également en bonne place des coups de stylo, maladroits ou volontaires, traces éventuelles d’amours naissantes et naïves.
Je n’ai jamais trouvé d’injures. Je suppose cependant que celles-ci disparaissaient régulièrement si j’en crois les zones plus claires dues au ponçage que le patron accomplissait de temps à autre. Ma table n’était donc pas tout-à-fait plane, ce que je pouvais facilement vérifier par le manque de parallélisme entre le bord supérieur de la tasse et le liquide fumant.
À elle seule, elle était le témoignage d’une vie heureuse parce qu’ordinaire et simple. Il suffisait que j’y pose les coudes, que j’ouvre les immenses pages du quotidien pour ressentir la veine d’un temps qui ne jouait pas à courir et qui voulait goûter jusqu’au bout la moindre parcelle de sa sérénité.
C’est dans cet esprit ouvert à une philosophie aux couleurs d’un Épicure ou d’un Montaigne que j’entendais ce que les abonnés du comptoir aimaient à servir :
« Je te le dis ! C’est la première impression qui compte. Je ne me suis jamais trompé. Il y a des choses que c’est comme ça, que ça se sent dès la première seconde ! »
Je passe les fois où je servais d’argument à la démonstration et dont je ne concevais même plus de gêne appréciant in fine à sa juste valeur le fait d’être montré comme le prototype du brave type, avec ça, aimable, affable, gentil, etc.
J’étais de fait différent des indigènes – terme à prendre au pied de la lettre et non comme l’expression d’un sentiment de supériorité venue d’une ultime séquelle citadine – puisque je buvais du café sans sucre et non un des alcools locaux dont je ne connaissais que trop l’effet dégradant sur le travail à venir.
Pour résumer, je savais me montrer suffisamment attentif à leur donner ce qu’il leur faisait plaisir de recevoir, en l’occurrence, guère plus qu’une ou deux observations météorologiques forcément sommaires.
Quant à la première seconde, je n’eus pas longtemps avant d’en faire l’expérience.
Deux ou trois jours après, je partais en randonnée…