À l écoute des lieux : Géographies de la traduction
207 pages
Français

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Description

Ce livre se présente comme un guide de voyage. Chacun des dix-huit sites visités – dont le pont, le marché, le jardin, l’hôtel, la bibliothèque, le musée, la maison d’opéra, la synagogue ou le monument – raconte à sa manière comment les langues et les mémoires conversent entre elles, résonnent en échanges polyglottes dans les villes d’aujourd’hui. En parcourant ces lieux souvent situés sur des lignes de faille géographiques et historiques, on peut entendre l’écho de langues supprimées, comme le yiddish de l’Europe de l’Est, ou bannies, comme celles des Autochtones du Canada. Avec des textes à la fois savants et ludiques, l’autrice nous entraîne sur un circuit imagé qui permet au lecteur d’aborder une pléiade de thèmes actuels, de la migration à l’architecture en passant par les droits linguistiques et la traduction citoyenne.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 janvier 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782760645394
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À L’ÉCOUTE DES LIEUX
Géographies de la traduction
Sherry Simon
Traduit de l’anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Les Presses de l’Université de Montréal





Mise en pages: Yolande Martel Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Titre: À l’écoute des lieux: géographies de la traduction / Sherry Simon. Autres titres: Translation sites. Français Noms: Simon, Sherry, 1948- auteur. Collections: Espace littéraire. Description: Mention de collection: Espace littéraire | Traduction de: Translation sites: a field guide. | Comprend des références bibliographiques. Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20210065346 | Canadiana (livre numérique) 20210065354 | ISBN 9782760645370 | ISBN 9782760645387 (PDF) | ISBN 9782760645394 (EPUB) Vedettes-matière: RVM: Translanguaging—Études de cas. | RVM: Multilinguisme—Études de cas. | RVM: Sociolinguistique—Études de cas. | RVM: Traduction—Études de cas. | RVMGF: Études de cas. Classification: LCC P115.35.S5614 2021 | CDD 418/.02—dc23 Dépôt légal: 4 e trimestre 2021 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal, 2021 www.pum.umontreal.ca Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).






Pour Eleanor, plus ultra


L’oreille voyageuse
Voyager, c’est être à l’écoute. Les leçons les plus étonnantes du voyage me sont venues par des sonorités inattendues, indéchiffrables. Parmi les souvenirs marquants: le moment où un garde-frontière fait irruption dans le train et parle une langue qui sonne à la fois espagnol et pas espagnol (c’est du catalan), le moment où je prends conscience d’une musique étrange dans un magasin de chaussures à Trieste (c’est du slovène et de l’italien mélangé), plus récemment des conversations entendues à Lviv dans une langue fluide et mélodieuse qui se démarque de l’ukrainien ambiant (c’est du polonais).
Même si, en principe, je suis une voyageuse avertie, ces surprises me confrontent à mon ignorance. De simple réaction sensorielle, l’attention aux vocables étranges se transforme en posture critique. Et me lance par conséquent sur la piste d’histoires jusque-là peu ou pas connues. Strate par strate, je découvre les récits et les paroles qui font vivre un lieu.
Je pars à la recherche du catalan dans les rues de Barcelone, je plonge dans la riche et sympathique littérature triestine, et j’apprends que la Lviv ukrainienne d’aujourd’hui cache les traces de la ville polonaise qu’elle était autrefois.
Petit à petit, je démêle les fils de la polyphonie qui m’entoure: langues citoyennes, langues opprimées, langues mises à l’écart, langues sans papier. Les silences aussi se font audibles: langues expulsées, langues assassinées, langues de mémoire.
Si les Allemands parlent de Sehenswürdigkeit , un endroit digne d’être vu, et les Anglais de sightseeing (avec la belle homophonie de site et sight ), on pourrait tout aussi bien parler de lieux que l’on visite pour ce qu’on y entend. Ces lieux sont souvent situés sur des lignes de faille géographique et historique. Lieux de rencontre, de conquête, de dialogues et de tensions, ils émettent des signaux sonores complexes. Des églises ou synagogues converties, marchés ou maisons d’opéra, ponts ou tours se dégagent des conversations, des échos d’existences antérieures.
Il ne faut pas chercher plus loin pour trouver la signification du concept de «lieux de traduction» tel qu’il se déploie dans ce livre. De la ville à la campagne, des rues et édifices urbains aux monuments et champs de bataille, le lieu parle . Seulement, lorsque le lieu se trouve à la croisée des histoires, son récit aura plusieurs facettes, reflets qui brillent selon l’éclairage d’une langue ou d’une autre. Les idiomes se succédant dans le temps, le nouveau remplaçant le précédent, il se crée un lieu traduit.
Parfois la surprise de l’écoute n’est pas un effet d’étrangeté mais tout le contraire, un sentiment inexpliqué de familiarité. C’était mon expérience face à cette variété d’allemand que l’on nomme mitteleuropéen, la langue allemande telle qu’elle a été parlée et écrite pendant des siècles sur les rives du Danube et dans les contrées de l’empire des Habsbourg, et qui a aujourd’hui presque disparu. Lors de mon court séjour dans la ville autrefois appelée Czernowitz, aujourd’hui Tchernivtsi en Ukraine, c’est cet allemand qu’il m’a été donné d’entendre, ce langage teinté de langues slaves et de yiddish.
C’est par les livres que je suis entrée dans le pays littéraire des Habsbourg, dans les paysages de Claudio Magris, d’Italo Svevo, Stefan Zweig, Joseph Roth, pour m’y perdre à tout jamais. C’est par Paul Celan, Aharon Appelfeld, Rose Ausländer, Marianne Hirsch, que j’ai pris domicile imaginaire à Czernowitz. Mais je n’avais aucune expérience des accents et des rythmes de cette langue parlée.
Mireille Gansel, dans La traduction comme transhumance, tente d’expliquer sa propre attirance pour cet allemand: «N’y a-t-il pas aussi des langues autres que la langue maternelle et que nous ne parlons pas, que nous ne comprenons pas, mais dont la sonorité, les accents, les intonations, nous sont soudain étrangement si familiers dès qu’on les entend?» Étranges résonances affectives, en effet, qui soulignent la nature toute subjective et imprévisible de l’écoute.
Il y a de l’ironie dans le prétendu savoir de mon «guide de voyage». Fruit de lectures et de rencontres parfois fortuites, il se veut, en fin de compte, une invitation à tendre l’oreille. Et plus précisément à adopter la traduction comme mode d’écoute. Qu’est-ce à dire? Il s’agit de porter attention aux interactions des langues les unes avec les autres: les relations de tension ou de bienveillance, de concurrence ou de convivialité.
Cela permet de prendre conscience non seulement de la multiplicité d’idiomes dans un endroit donné mais de la musique particulière produite par ce choc de mémoires, cet effort de réconciliation. De s’engager dans la fibre de la différence, pour mieux contrer l’indifférence.
Que ce livre qui porte sur la traduction soit traduit en français par les deux grands traducteurs que sont Paul Gagné et Lori Saint-Martin est pour moi un immense cadeau. Nos discussions ont prolongé le plaisir de l’écriture, et montré encore une fois à quel point la traduction peut être source de révélations, petites et grandes. Nos conversations ont aussi donné une nouvelle vie à une amitié de longue date, soutenue par une passion commune pour la langue. Plaisir redoublé donc. Je les remercie vivement, ainsi que Patrick Poirier et son équipe qui ont accueilli la traduction aux PUM.
Montréal, juin 2021

La ruche de Babel
Lori Saint-Martin
Traduire un livre sur la traduction, c’est vivre un grand vertige. Surtout si la traduction, dans le livre à traduire, est inséparable – c’est le cas du bel essai de Sherry Simon – du voyage et de la démultiplication des espaces. Toute traduction, en effet, est un voyage, une navigation entre des langues et des mots. Mais plutôt qu’un simple aller-retour entre une origine et une destination, la traduction littéraire accomplit un va-et-vient sans fin. Il est vrai que la traduction, comme démarche, est plus linéaire que l’écriture: alors que peu d’œuvres en langue originale ont été rédigées dans l’ordre, de la première page à la dernière, la plupart des ouvrages sont traduits de cette manière (surtout les romans ou les essais argumentatifs; en revanche, on pourrait choisir de traduire les poèmes ou les nouvelles d’un recueil par ordre de difficulté, de préférence, de longueur…). Cela dit, traduire, c’est aussi écrire et réécrire, lire et relire, revenir sur ses pas, retoucher, arpenter plusieurs fois un même passage, ouvrir et abandonner des pistes. Le voyage de la traduction, comme celui de l’écriture, est un parcours qui revient sans cesse sur lui-même et dont le point d’aboutissement est légèrement décalé par rapport au point de départ.
Traduire, c’est voir le texte de départ changer comme résultat de ce processus, devenir autre. En même temps que les mots de l’original restent, identiques à eux-mêmes, sur la page imprimée, définitifs désormais, ils bougent et s’agitent dans la tête et sous les doigts de la personne chargée de rendre le tremblement du sens et des émotions dans la nouvelle langue. Quand on relit un roman bien-aimé, cinq ou vingt ans après, on sait que pas un seul mot n’a changé; et pourtant, le livre est profondément différent. La traduction accomplit en accéléré cette métamorphose: notre regard change et s’approfondit au fil des jets successifs, il transforme l’original, lui imprime une forme nouvelle. Le texte traduit est et n’est pas l’original; il bouge, il respire de façon semblable et pourtant profondément autre.
Traduire un livre sur la traduction, c’est mettre à mal l’opposition en apparence stable entre original et traduction. Translation Sites aurait beau être traduit en cent langues, il demeurerait l’original, incontestablement; et l’original détient l’autorité, il «fait foi», il inspire une foi rarement accordée à une traduction. Cela dit, le passage d’une langue à l’autre, en faisant bouger les langues présentes dans le texte original, transforme leur statut, engendre le mouvement et la réversibilité.
Traduire vers le français un essai sur la traduction écrit en anglais, c’est, dans plusieurs cas, inverser l’original et la traduction. Ainsi, Flaubert, par exemple, cité en traduction

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