D un Céline et d autres
138 pages
Français

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D'un Céline et d'autres , livre ebook

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Description

Dix courts essais pour parcourir à sauts et à gambades cinq siècles de littérature. Des oeuvres et des auteurs parmi les plus connus du public : Céline, Baudelaire, Proust... Il s'agit ici de montrer au lecteur que la littérature dite classique, loin d'être dépassée, se révèle étonnamment moderne et en prise directe sur notre actualité. Les questions que les grands auteurs se posaient rejoignent celles que le lecteur se pose aujourd'hui : les guerres de conquête pour l'acquisition des ressources naturelles avec Montaigne, l'agitation des hommes dans les grandes métropoles avec Baudelaire, etc.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2010
Nombre de lectures 44
EAN13 9782336260495
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

D'un Céline et d'autres
Proust, Baudelaire, Rousseau...

Serge Kanony
© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296120211
EAN: 9782296120211
Sommaire
Page de titre Page de Copyright Dans la merde avec Céline L’ouverture de Madame Bovary Le perroquet de Pascal Les Fleurs du Mal ou d’un fourmillement diabolique Proust et ses petits pans Jean-Jacques Rousseau, le peigne et la manufacture Sur quatre vers de Phèdre Le mot de Gide sur Hugo Montaigne : en découdre avec... des coches La Chartreuse de Parme ou quand j’étais petit
Dans la merde avec Céline
Pour partir dans le sillage d’un Bardamu, qui court la planète, de l’Europe à l’Afrique, de l’Afrique à l’Amérique... pourquoi ne pas prendre pour fil d’Ariane une odeur, en l’occurrence, celle de la merde, comme le narrateur lui-même nous y invite ? Et ce, dès l’ouverture du roman :

« Ce qui guide encore le mieux, c’est l’odeur de la merde »
Car Céline, s’il donne à voir au lecteur, lui donne tout autant à sentir, et son premier roman Voyage au bout de la nuit est semé d’odeurs. Sur le théâtre nocturne de la guerre, les soldats régressent au stade animal, privilégiant alors l’odorat :

« On s’aidait des odeurs pour retrouver la ferme de l’escouade, redevenus chiens dans la nuit de guerre des villages abandonnés »
Freud et la psychanalyse nous avaient montré comment l’humanité a progressé de l’odeur à la vue ; Céline, lui, nous montrera comment cette même humanité régresse parfois de la vue à l’odeur. Les hommes en guerre, redevenus chiens (chiens de guerre), mêlent leur odeur à celle des animaux, et Bardamu la sienne à celle de son cheval blessé :

« Dans les granges, à cause de l’odeur qui lui sortait des blessures, ça sentait si fort qu’on en restait suffoqué »
Rendu à la vie civile et devenu médecin, il s’installe en banlieue :

« J’ai été m’accrocher en banlieue, mon genre, à la Garenne-Rancy, là dès qu’on sort de Paris... »
Vivre en banlieue, c’est prendre le métro pour rejoindre son lieu de travail ; un métro qui transporte indistinctement les hommes et leurs odeurs :

« Comprimés comme des ordures qu’on est dans la caisse en fer, on traverse tout Rancy et on odore ferme en même temps... »
Car c’est par les odeurs qu’ils dégagent que s’appréhendent les êtres et les lieux. A chaque homme, à chaque famille, son odeur, son ADN olfactif en quelque sorte.

Prenons la famille Henrouille. Quand Bardamu se rend chez eux pour la première fois, avant même de les saisir par la vue, il les saisit par le nez :

« En entrant, ça sentait chez les Henrouille, en plus de la fumée, les cabinets et le ragoût. »
A la manière de ceux qu’en parfumerie on appelle des “nez”, capables de décomposer un parfum en ses éléments premiers, Bardamu, chimiste du remugle, décompose l’odeur des Henrouille : un mixte qui se rattache aux lieux d’aisance, à la cheminée et à la cuisine ; une odeur répandue dans toute la maison et qui ne se cantonne pas à une seule pièce. Cette odeur sui generis sert de carte de visite aux Henrouille. Et chez Céline, l’odeur de la merde, on peut l’évaluer, Bardamu la quantifiant comme s’il disposait d’une échelle Richter de la puanteur : force un, force deux etc. Pour les sons, il y a les décibels ; pour la merde, pourquoi pas les “décibrens” ? Et Bardamu d’utiliser, dans ses évaluations, une méthode qui a fait ses preuves : la méthode comparative :

« L’été aussi tout sentait fort. Il n’y avait plus d’air dans la cour, rien que des odeurs. C’est celle du chou-fleur qui l’emporte et facilement sur toutes les autres. Un chou-fleur vaut dix cabinets, même s’ils débordent. »
La présence de la merde accompagne le héros célinien de l’enfance à l’âge adulte :

« J’ai eu de la merde au cul jusqu’au régiment » avoue Ferdinand dans Mort à crédit.
Car la frontière entre l’enfance et l’âge adulte passe par là : en avoir ou pas. Une odeur dont il est imprégné au point d’en prendre conscience :

« J’avais toujours le derrière sale, je ne m’essuyais pas [...] Je gardais la crotte au cul des semaines. Je me rendais compte de l’odeur, je m’écartais un peu des gens »
Et si son père augure mal de son avenir, c’est toujours à cause de la merde :

« Il est sale comme trente-six cochons ! Il n’a aucun respect de lui-même ! Il ne gagnera jamais sa vie ! Tous ses patrons le renverront !... Il me voyait l’avenir à la merde... » « Il pue !... Il retombera à notre charge !... »
Bref, pour Ferdinand, l’avenir est bouché. Comme le sont les cabinets des locataires de Grand-mère Caroline :

« Leur tinette strictement bouchée, elle débordait jusqu’à la rue »
C’est ainsi que la merde accompagne de sa présence les grands moments de l’existence, les rites de passage. Ferdinand, dans son désir d’émancipation, passe le certificat d’études, porte ouverte sur la vie active. Moment de stress :

« J’avais pissé dans ma culotte et recaqué énormément... Mais ma mère a bien senti l’odeur... »
Les résultats sont proclamés : il est reçu. Moment de joie, de fierté, quand le père retrouve le fils : « Il m’a accueilli à bras ouverts... Ça c’est bien mon petit ! »
Mais la merde va rapidement briser leur tendre complicité :

« Je l’ai embrassé de bon cœur... Seulement j’empestais si fort, qu’il s’est mis à renifler... Ah ! Comment ? Qu’il m’a repoussé... Ah ! Le cochon !... le petit sagouin !... Mais il est tout rempli de merde !... »
Une merde qui bouche les cabinets, qui bouche l’avenir du jeune Ferdinand et qui bouche le champ de conscience d’Auguste, son père, obsédé par les étrons qui s’accumulent, toujours plus nombreux, devant leur porte :

« C’est pas les étrons qui manquaient sur notre dallage et devant notre porte ».
L’étron, c’est l’objet, dans son sens étymologique : Ob-Jet, ce qui est : Devant-Jeté, une sorte de DASEIN célinien, un Etre-Là, anonyme, bref, un... Etre-On.

Cet envahissement des étrons se hausse au niveau du mythe, Auguste se transformant en une sorte de Sisyphe parisien, le Sisyphe du colombin, qui roulerait non pas son rocher, mais ramasserait des étrons toujours plus nombreux. La merde, la merde, toujours recommencée...

« Des étrons, il en venait toujours davantage, et bien plus devant chez nous qu’ailleurs, en large comme en long »
Que faire d’autre alors, sinon les enlever ? Chose impossible :

« Il sortait avec son seau, son balai, sa toile et en plus la petite truelle qui servait pour les étrons, à glisser dessous, les faire sauter dans la sciure... »
« La Méhon, de sa fenêtre au premier, elle se fendait la gueule à regarder mon père se débattre dans les colombins... Les voisins, ils accouraient pour compter les crottes... On faisait des paris, qu’il pourrait pas enlever tout »
Ainsi, Auguste, confronté à un tel problème, n’est qu’un amateur qui s’épuise à la tâche ; et, dans son impuissance à faire disparaître tous ces étrons qui prolifèrent, il n’est pas loin de se porter à quelque extrémité :

« Il prenait son pétard en main, il faisait tourner le barillet, on entendait les “cluc ! cluc !”... Il s’entraînait qu’on aurait dit »
Car face à cet envahissement fécal, ce sont des personnes mentalement équilibrées, des professionnels de la merde qui s’imposent pour la prendre à bras le corps. Comme la mère Cézanne dans le Voyage. Céline a-t-il choisi ce patronyme par hasard ? Ou bien savait-il que Cézanne, à Manet qui lui demandait ce qu’il exposerait au Salon des Refusés, avait répondu : “Un pot de merde” ? Que ce même Cézanne avait été l’auteur d’un tableau scandaleux pour l’époque représentant un homme en ballon se soulageant en plein ciel

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