LA Monstruosite en face
209 pages
Français

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Description

Les monstres ont toujours existé, et on les représente au moins depuis l’Antiquité. Pourtant, ce terme qui était populaire il y a quelques décennies à peine est rarement énoncé de nos jours, sauf – essentiellement – dans une perspective morale (ou moralisatrice). On peut néanmoins trouver un sens à la monstruosité ; mais comment la définir de la manière la plus neutre possible ? On pourrait avancer, prudemment, qu’il s’agit d’un écart marqué par rapport à une norme qui elle-même varie en fonction du contexte culturel, social ou politique.
Le Frankenstein de Mary Shelley, la figure la plus ancienne examinée dans cet ouvrage, sert un peu de fil conducteur à ce parcours qui s’attarde sur des oeuvres de fiction dans lesquelles le monstre est pensé par la science et la technologie, ou plutôt par leur imaginaire souvent débridé. Dans ce cadre précis, le fantasme du monstre permet de diverses façons de se pencher sur des concepts comme ceux d’hybridité, d’altérité, de cyborg, d’animalité humaine et sur des rapports plus complexes que prévu entre nature et culture. Penser le monstre comme une figure épistémique pour réfléchir aux savoirs de tous les temps : un but ambitieux, que l’auteur de cet essai atteint sans encombre.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 juin 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782760644182
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Jean-François Chassay
La monstruosité en face
Les sciences et leurs monstres dans la fiction
Les Presses de l’Université de Montréal
Dans la même collection
Sous la direction de Claire Barel-Moisan et Jean-François Chassay, Le roman des possibles. L’anticipation dans l’espace médiatique francophone (1860-1940)
Sous la direction de Isabelle Boof-Vermesse et Jean-François Chassay, L’âge des postmachines
Elaine Després, Le posthumain descend-il du singe? Littérature évolution et cybernétique
Bernabé Wesley, L’oubliothèque mémorable de L.-F. Céline. Essai de sociocritique




Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Titre: La monstruosité en face: les sciences et leurs monstres dans la fiction / Jean-François Chassay. Noms: Chassay, Jean-François, 1959- auteur. Collections: Cavales (Presses de l’Université de Montréal) Description: Mention de collection: Cavales | Comprend des références bibliographiques. Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20210045345 | Canadiana (livre numérique) 20210045353 | ISBN 9782760644168 | ISBN 9782760644175 (PDF) | ISBN 9782760644182 (EPUB) Vedettes-matière: RVM: Monstres dans la littérature. | RVM: Littérature et société. | RVM: Littérature et sciences. Classification: LCC PN56.M55 C53 2021 | CDD 809/.9337—dc23 Mise en pages: Folio infographie Dépôt légal: 2e trimestre 2021 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Les Presses de l’Université de Montréal, 2020 www.pum.umontreal.ca Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).




Nul ne saurait décrire le monstre, aucun langage ne saurait peindre cette vision de folie, ce chaos de cris inarticulés, cette hideuse contradiction de toutes les lois de la matière de l’ordre cosmique.
H.P. Lovecraft, L’appel de cthulhu
Rien de plus relatif, pour le biologiste, que la notion de monstrueux. Tous les vivants sont monstres les uns aux autres. L’homme est monstre à comparaison du primate ancestral. L’amibe est monstre par rapport à la matière, laquelle est monstre elle-même au regard du néant.
Jean Rostand, Pensée d’un biologiste
À la lumière, je constatai ton irréalité, elle émettait des monstres. et de l’absence.
Jacques Roubaud, Quelque chose noir


NOTES
Pour éviter d’alourdir le texte, les citations tirées des ouvrages analysés ne sont suivies que du folio entre parenthèses. Les références complètes des livres se trouvent en fin de volume, en bibliographie.
Merci à Florence Fortin-Houle pour sa lecture attentive. Merci aussi à Elaine Després pour ses nombreux commentaires et remarques sur un sujet qu’elle connaît bien.
Je remercie enfin le Conseil de recherches en sciences humaines pour son aide financière dans le cadre du programme «Savoir».


LEVER DE RIDEAU
Il était une fois le monstre. Ce livre commence dans l’orbe des contes comme une histoire féérique qui a mal tourné. Ou, au contraire, de manière prévisible: on croise des monstres partout dans les contes. Ceux qui paradent dans les proses qu’on découvrira dans ces pages surgissent cependant d’un univers que n’habitent pas la méchante sorcière qu’on rencontre dans Blanche-Neige ou la bête qui fait face à la belle. Dans ce livre, l’Incroyable, l’Abominable, l’Être monstrueux se voit banni de l’univers banal, régulier, lénifiant de la vie commune, non par un cadre qui l’inscrit dans le merveilleux, mais par les effets de la science et de la technologie. On lira sa présence dans les pages de romans qui proposent un monde scientifique avec de vraies règles, les plus objectives possible ou alors à travers un univers scientifique fantasmé à partir d’idéologies contestables – y en a-t-il d’autres? Sans contestation, elles sont totalitaires.
Il s’agira d’accompagner les monstres, en suivre du moins quelques-uns à la trace, des «monstres-symptômes», qui offrent un spectre large de modèles; de découvrir en particulier la manière dont des fictions les font surgir à travers la science. L’intention de ce livre se résume à trois questions: qu’est-ce que le monstre nous apprend sur le monde qui nous entoure? comment nous instruit-il des savoirs de notre temps ou d’un autre plus ancien? que peut-il nous raconter sur nous-mêmes?
De nos jours nous ne conservons que le sens moral – et par conséquent négatif – du terme «monstre». Il ne se dit qu’à travers des valeurs, des ennemis, propres à notre temps. On le découvre chez le pédophile, chez Donald Trump… Il y a aussi le fumeur, le propriétaire de «chien méchant», l’islamiste (qui pour certains se cachent à chaque coin de rue), le psychopathe. À chacun son monstre moral, qui permet de dire: nous parlons de celui dont l’existence n’a rien à voir avec la mienne. Depuis le début du XXI e siècle, la société occidentale se veut épurée. Le monstre moral ne respecte pas mes valeurs, je ne lui dois rien et je n’ai aucune responsabilité dans cette histoire. Un renversement assez pervers, quand on y songe, de la position dogmatique chargée sur le plan idéologique de ceux qui repoussaient naguère la différence physique en l’associant à une dégénérescence morale. Aujourd’hui, elle apparaît dans tout son éclat et on découvre en même temps ce que l’individu, sur le plan physique, peut avoir de repoussant. Sans vouloir trop insister, Trump reste encore un bon modèle…
Il s’agit certes de projection, qui rappelle les principes de la physiognomonie: entre l’être et son caractère, on résiste mal à la volonté d’instituer des liens. L’humanité repousse l’insupportable et parfois justifie ce rejet de visu . L’ampleur des horreurs qu’une partie de l’humanité a fait subir à ses semblables dépasse l’entendement. Pour n’utiliser que deux exemples faciles: qui regarde une photo de Goebbels ou de Pol Pot sans l’associer au signifiant «monstre»? Des monstres, peut-être.
Associer le monstre à la science rappelle de tristes souvenirs et des phénomènes délétères. Au XIX e siècle et pendant une partie du XX e (y compris après la défaite des nazis), les hypothèses sur la dégénérescence et l’eugénisme, associées à l’anthropologie et au colonialisme, ont justifié, au nom de la science, les pires injustices. La définition du monstre a un flou artistique qui a longtemps permis au discours officiel de la science d’embrasser large. La fiction en prend acte et en fait un embrayeur narratif polysémique. Même si, à travers la science, la fiction du monstre permet de diverses façons de penser l’hybridité, l’altérité, le cyborg, l’animalité humaine et les rapports plus complexes qu’on ne le croit entre nature et culture – voilà au fond, en quelques mots, ce qu’on trouvera dans ce livre –, le substantif a souvent valeur métaphorique, ou alors historique et philosophique avant d’être scientifique.
En 2008, Olivier Roux publiait un livre au titre explicite: Monstres. Une histoire générale de la tératologie des origines à nos jours. Pourtant, on a dans plusieurs passages l’impression de lire autant une histoire de la morale et de la sexualité. Ceci n’empêchant pas cela, bien sûr. Ainsi, approcher le monstre signifie aborder un vaste domaine discursif. Dans Le r ê ve de D’Alembert , Diderot fait dire à Julie de Lespinasse: «L’homme n’est peut-être que le monstre de la femme, ou la femme le monstre de l’homme 1 .» La monstruosité relève aussi d’une forme d’incompréhension qu’il sera difficile de contourner.
L’étymologie du terme rappelle le latin monstrare (montrer) et monstrum (avertir). Il se montre et nous avertit d’un décalage, d’une différence par rapport à une norme. Il se donne en spectacle, il est spectacle, trop souvent à son corps défendant – une expression à prendre au pied de la lettre, tant le corps est un enjeu. Du cirque Barnum aux zoos humains, on sait à quel point on a instrumentalisé les corps d’individus ne répondant pas aux normes que la société bourgeoise imposait. Qu’importait? Un monstre est-il un être humain, de toute manière? Le juriste Router affirmait au XIX e siècle: «[…] il ne peut être commis d’homicide ni sur un monstre ni sur un mort 2 .» Cet être vivant sans statut et à la définition floue, on pouvait se permettre de lui faire subir ce qu’on voulait en parfaite impunité. L’individu qualifié ainsi n’avait pas plus de droits qu’un animal – qui n’en avait, à l’époque, aucun. On ne s’étonne pas que la fiction projette si souvent, quand la science s’impose dans le récit, un rapprochement entre l’être humain «monstrueux» et d’autres mammifères.
Les monstres existent depuis toujours et l’imaginaire du monstrueux remonte au moins à l’Antiquité – et qui sait, peut-être aux peintures de Lascaux. Leur histoire est longue, et la fiction y participe depuis les plus anciennes épopées que l’humanité a conservées. Cependant, se pencher sur cette figure du point de vue de fictions scientifiques donne une orientation à la réflexion et permet de restreindre le corpus en éliminant les conceptions métaphysiques ainsi que les chimères, les bestiaires fabuleux, les fantômes et autres revenants. Même si les chimères, on le verra, font parfois retour à travers la science.
Le monstre se conçoit d’abord dans ce livre comme un être organique, ce qui le situe d’emblée dans l’orbe de l’humanité. Des pathologies, des modifications singulières peuvent avoir des effets sur la vie humaine d’un point de vue biologique; elles ont aussi des échos sur le plan social et existentiel. Car traiter du monstre nécessite de se pencher sur ce que signifie un être humain, comme si la définition de ce dernier pou

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