LE Gout du goncourt
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LE Gout du goncourt , livre ebook

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Description

Je ne suis pas dupe : relater des événements qui se sont déroulés trente-quatre ans plus tôt constituera inévitablement une expérience de fiction. Mais comme je raconterai des choses que je sais déjà, ça ne risquera pas de me plonger dans les angoisses et les déchirements de mes deux livres précédents.J’entame donc la rédaction de ce récit. Je comprends rapidement ma méprise : ces quelques jours, que j’ai traversés avec la force et l’innocence de mes dix-neuf ans, ont non seulement imprégné profondément ma psyché : peut-être ont-ils constitué l’événement le plus important de ma vie. Pas le plus spectaculaire, mais sûrement l’un des plus déterminants.
Même quand il me prend l’envie de raconter des choses légères, je n’y arrive pas. C’est foutu.
À dix-neuf ans, Luc Mercure va à la rencontre d’Yves Navarre, son idole, lauréat du Goncourt. Rien ne se déroulera comme il l’avait imaginé.
Écrire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité : je sais que je n’y arriverai pas, pour des raisons évidentes. Mais au lieu d’apprivoiser cette idée, de me répéter ce lieu commun – que la fiction peut être plus vraie que ce qu’on appelle la réalité –, cette impossibilité d’atteindre mon but initial me désespérera chaque jour un peu plus, deviendra de semaine en semaine plus intolérable, comme si j’avais voulu cerner l’essence même de ce que j’étais à travers le récit de ces quelques jours, mais que je découvrais en même temps que cette essence n’existait pas et que par conséquent, je ne pourrais jamais être vraiment moi, entièrement moi, uniquement moi.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 28 août 2018
Nombre de lectures 3
EAN13 9782764436400
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Du même auteur
Veiller Pascal , Québec Amérique, coll. Littérature d’Amérique, 2016.
Port de mer , Québec Amérique, coll. Littérature d’Amérique, 2014.
La Mezquita , Québec Amérique, coll. Littérature d’Amérique, 2013.
La faute de Roy Dupuis , Leméac Éditeur, 2010.
La mort de Blaise , Leméac Éditeur, 2008.
Le souvenir blanc des Cyclades , Trois, 2005.
Les Saintes Marie de la mer , L’Hexagone, 1997.
Entre l’aleph et l’oméga , L’Hexagone, 1990.





Projet dirigé par Marie-Noëlle Gagnon, éditrice
Conception graphique : Nathalie Caron
Mise en pages : Marquis Interscript
Révision linguistique : Sylvie Martin et Sabrina Raymond
L’auteur remercie Robert Michaud pour lui avoir permis de reproduire
un extrait d’une lettre qu’il a envoyée à Yves Navarre.
En couverture : Montage à partir d’une enveloppe de correspondance
originale entre l’auteur et M. Navarre
Conversion en ePub : Nicolas Ménard
Québec Amérique 7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010
Nous reconnaissons l'aide financière du gouvernement du Canada par l'entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d'édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L'an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l'art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d'impôt pour l'édition de livres – Gestion SODEC.



Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Mercure, Luc, auteur Le goût du Goncourt / Luc Mercure. (Littérature d’Amérique)
ISBN 978-2-7644-3638-7 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-3639-4 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3640-0 (ePub)
I. Titre. II. Collection : Collection Littérature d’Amérique.
PS8576.E723G68 2018 C843’.54 C2018-940860-X PS9576.E723G68 2018
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2018
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2018
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés
© Éditions Québec Amérique inc., 2018.
quebec-amerique.com



À mes amis Pierre : Pierre Major, Pierre Pomerleau, sans lesquels je n’aurais jamais écrit cette histoire.


L’admiration est comme une nébuleuse originelle d’où sortent plus tard, par vieillissement et refroidissement, et l’amour et l’amitié. Passion juvénile, primaire, immature, elle peut être lumineuse, enrichissante, salvatrice, mais aussi corruptrice, meurtrière, dévastatrice. Les tyrans le savent.
Michel Tournier, Des clefs et des serrures


Prologue
L’écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire.
Delphine de Vigan, Rien ne s’oppose à la nuit

Mai 2016. Ma mère se meurt. Entre mes visites à son chevet, j’apporte les dernières corrections à mon huitième roman qui sera publié en septembre. Pour la première fois depuis longtemps, je n’ai aucun autre projet en chantier – j’ai bien commencé la rédaction d’un texte inspiré par un récent voyage en Grèce, mais après quelques pages j’ai senti qu’il ne me tiendrait pas suffisammemt à cœur pour que je le mène à terme et je l’ai mis de côté.
Tout s’achève dans ma vie. Je ne sais pas encore que ma mère mourra bientôt, mais j’en ai eu l’intuition en la voyant dans le lit de l’hôpital Jean-Talon où, après deux chutes successives en quelques mois qui ont causé une fracture de la hanche puis une autre au bassin – inopérable et particulièrement douloureuse celle-là –, elle passe ses journées presque entières. Le roman dans lequel elle apparaît jusque dans la dernière phrase sera bientôt envoyé à l’imprimerie ; il y a bien peu de chances qu’elle puisse le lire.
Un soir de ce printemps difficile, je raconte à mon ami Pierre les quelques jours que j’ai passés chez Yves Navarre en août 1982. Si je n’ai plus repensé à cet épisode depuis des années, les souvenirs que j’en garde sont encore, je m’en rends compte en les lui relatant, d’une étonnante clarté. Pierre sait très bien qui est Yves Navarre ; il a lu plusieurs de ses livres. Il semble fasciné par mon récit pourtant bref et désordonné.
Le lendemain, je feuillette le journal que je tenais alors, puis les trois mauvais romans que, pendant les années suivantes, j’ai tirés de cette expérience – je tentais chaque fois d’améliorer la version antérieure, mais en fait je la rendais toujours plus absconse et nébuleuse. Je me dis : tiens, moi qui m’inquiétais de ne pas avoir de projet d’écriture qui tiendrait lieu de fil à ma vie (de fil conducteur, de fil électrique, de fil de fer, de fil à retordre), pourquoi ne raconterais-je pas ce moment fondateur de ma vie d’homme et d’écrivain ? Plutôt qu’un roman, j’en ferais un récit : un genre que je n’ai jamais pratiqué puisque même dans mes livres dont le contenu est en partie inspiré d’expériences personnelles, la fiction a toujours pris le dessus sur le souci de raconter ce que j’ai vécu. Si je me fie à la réaction de Pierre, la matière brute de ces quelques jours possède en elle-même assez de substance pour que mon texte ne soit pas trop ennuyant. C’est d’ailleurs parce que je n’avais pas le recul nécessaire pour en comprendre la portée que j’ai rédigé, alors que j’étais dans la vingtaine, des romans de plus en plus complexes. J’ai maintenant la conviction qu’au contraire, c’est en simplifiant les choses que je rendrai avec le plus de justesse cette expérience marquante ; que j’en découvrirai même la profondeur, le caractère initiatique et son incidence sur ma vie ultérieure.
Je ne suis pas dupe : relater des événements qui se sont déroulés trente-quatre ans plus tôt constituera inévitablement une expérience de fiction. Ma mémoire trafiquera mes souvenirs à mon insu, et je devrai combler les ellipses que les années auront causées afin de produire un récit cohérent, même si je ne perds jamais de vue le but que je me fixe, soit de rester le plus fidèle possible à la réalité. Mais comme je raconterai des choses que je sais déjà, ça ne risquera pas de me plonger dans les angoisses et les déchirements de mes deux livres précédents ; le présent me procure bien assez de tourments pour ne pas en rajouter. Ce sera une sorte de convalescence, une tentative pour tâter de la légèreté, une promenade à travers des champs de lavande en écoutant le chant des cigales.
Les jours suivants, j’entame donc la rédaction de ce récit. Je comprends rapidement ma méprise : si je prévois conserver assez de motivation pour me rendre au bout de ce projet, c’est justement parce que son contenu est moins anodin que je ne l’ai initialement supposé ; ces quelques jours, que j’ai traversés avec la force et l’innocence de mes dix-neuf ans, ont non seulement imprégné profondément ma psyché : peut-être ont-ils constitué l’événement le plus important de ma vie. Pas le plus spectaculaire, mais sûrement l’un des plus déterminants.
Même quand il me prend l’envie de raconter des choses légères, je n’y arrive pas. C’est foutu. Si j’avoue ne pas aimer écrire, on me regarde avec stupeur. « Pourquoi écris-tu alors ? » me demande-t-on immanquablement. J’aimerais bien le savoir. Si c’était le cas, je n’en ressentirais sans doute plus la nécessité. Bien sûr, j’éprouve par moments, devant le clavier de mon ordinateur, de la satisfaction, du contentement, une impression de libération ; ça me procure parfois un sentiment d’accomplissement, voire, dans certains cas – rares, très rares –, d’utilité. Mais ça n’a pas grand-chose à voir avec la notion de plaisir.
Depuis la publication de Port de mer – récit d’un viol que subit un jeune homme et des six mois qui le suivent –, je demande à ceux qui s’étonnent de ma réponse s’ils ont lu ce livre ; quand ils me répondent oui, s’ils croient vraiment que je peux avoir éprouvé du plaisir à écrire cette histoire. Tous comprennent instantanément.
Écrire me permet de ne pas me tuer. C’est déjà ça.
Port de mer demeure, malgré ses liens avec ma propre vie, un texte de fiction. Je veux cette fois dire le plus vrai possible, m’inspirant un peu de la démarche de Truman Capote lorsqu’il a écrit In Cold Blood et imitant vaguement, sans le savoir, celle de Laurent Binet dans HHhH – c’est mon ami Rodolphe qui, un soir où je lui explique ma démarche, me parle de ce roman. Toutefois, mon projet à moi diffère passablement de ces deux œuvres colossales. D’une part mon ambition est bien plus modeste : je n’ai nullement l’intention ni le courage de tracer en parallèle ma propre vie et celle de Navarre pour laquelle il me faudrait me documenter longuement, car j’ai presque tout oublié ce que je savais de cet homme ; je veux simplement raconter ce que j’ai vécu pendant ce mois d’août 1982. Et d’autre part c’est mon expérience personnelle qui constitue le sujet de cette true fiction , ce qui me donne a priori un certain avantage sur Binet et Capote, car eux n’ont pu avoir recours à leurs propres souvenirs pour relater leur histoire. Moi j’étais là quand les événements que je raconte se sont déroulés, et je n’en étais pas seulement un témoin, mais l’un des deux protagonistes – cet avantage demeure toutefois bien relatif, puisque le temps a nécessairement altéré mes perceptions d’alors. Binet a l’honnêteté d’avouer qu’il a parfois dû avoir recours à son imagination pour reconstituer certaines scènes – rarement, mais quand même, il le fait. Peut-être que mon projet, dans ce souci d’authenticité encore plus extrême que le sien, est un peu casse-gueule. Mais écrire, de toute façon, implique toujours le risque de se casser la gueule. Et mieux vaut se casser la gueule soi-même que de se la faire péter par quelqu’un d’autre.
Écrire la vérité, tout

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