Les invitées
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Les invitées , livre ebook

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Description


Marie-Louise, dit Christiane, c’est Dampmart, pas Paris...



C’est le club de basket, les paniers, les filets, les maillots, les sifflets, les ballons rouges grainés incrustés de lignes noires, le terrain en plein air prêté par l’Évêché, le footing, la kermesse, les coupes de fin d’année, les entraînements de la semaine, les matchs du dimanche, les poussins, les juniors, les petites benjamines, mais surtout, dit Christiane, c’est elle la capitaine de notre équipe senior.


Une question se pose en permanence quand on lit de la fiction : celle de la force d’évocation. Comment, par quel mystère ondoyant, aussi intangible, un traitement ordinaire, des thèmes ordinaires, un rythme ordinaire, un genre littéraire ordinaire, une langue ordinaire, dépouillée même, sobre, simple... peuvent mener à des résultats extraordinaires. C’est cette question captivante qui nous hante en permanence lors de la lecture de ce recueil remarquable de neuf nouvelles succinctes (dont l’une s’intitule elle-même Les invitées).


Les nouvelles de Christina Mirjol sont réunies en une thématique bien particulière : la mort. La mort est un mot, un concept, un phénomène qui englobe la perte, le décès, les funérailles, le deuil, le drame, la libération aussi. La mort en soi n'est rien, vous l'avez compris ; c'est son impact sur les vivants qui est pris en compte ici. Et il est abordé de bien belle façon dans ce magnifique ouvrage.


Parfois drôle, parfois tragique, la mort est présente dans nos vies et, bien entendu, elle s’invite au moment où on l’attend le moins...



Née en 1949 à Casablanca où elle a vécu jusqu’à l’âge de sept ans, Christina Mirjol vit et travaille à Paris. Pour elle, l’écriture est un retour merveilleux vers ce qu'on est profondément. Elle ne l'a pas toujours été. C'est-à-dire qu'il n'en était pas question. Pendant de longues années, un objectif plus grand occupait ses pensées : il fallait parler. Ainsi de l’écriture qu’elle exclut totalement, jusqu’à la sacrifier sur l’autel du théâtre, auquel elle se dédie entièrement, passionnément.


Elle commence à écrire en 1999. Ce ne sont pas seulement les quelques morceaux épars d'écriture qu’elle livre à la scène qui la poussent, et, paradoxalement, ce n'est pas l'écriture. C'est quelque chose de plus lointain, qui se passe bien avant, au temps de la parole, de la tragique naissance des mots, dont elle pressent, très jeune, la fin inéluctable. Écrire pour faire parler, faire entendre des voix appelées à s'éteindre, elle ne saurait donner une plus juste définition à son acte d’écrire. Et Les invitées en est la figure la plus parlante...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 5
EAN13 9782924550427
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0026€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les invitées
Christina Mirjol
© ÉLP éditeur, 2018 www.elpediteur.com ecrirelirepenser@gmail.com ISBN : 978-2-924550-42-7
Conception graphique : Allan E. Berger Image de la couverture: Christina Mirjol, 2017
Avis de l'éditeur
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ÉLP éditeur est une maison d’édition 100% numérique fondée au printemps 2010. Immatriculée au Québec (Canada), ÉLP a toutefois un e vocation transatlantique : ses auteurs comme les membres de son comité éditorial p roviennent de toute la Francophonie. Pour toute question ou commentaire co ncernant cet ouvrage, n’hésitez pas à écrire à : ecrirelirepenser@gmail.com
À la mémoire de Anne L. Pour Jean-Pierre G. Pour mon mari bienaimé
Mes chaleureux remerciements à Paul Fave pour sa relecture attentive
Mon affection à Éva et à Élisa
Rien
De l’eau. Apportez-moi de l’eau, dit Émilie et on lui apporte de l’eau.
Voici un verre d’eau, dit l’aide-soignante, ne buve z pas trop vite, vous allez vous étouffer. Calmez-vous. Vous allez pouvoir boire, ma is pas trop vite, d’accord ? Vous boirez doucement.
Vous boirez doucement, n’est-ce pas ?...
Il faut boire lentement, dit soudain l’aide-soignan te d’une voix surnaturelle. Boire lentement. C’est tout. Et tout se passera bien…
Puis, aux amies d’Émilie qui durant toute la scène s’étaient mises à l’écart : Puisque vous, vous êtes là, faites-la boire, profère-t-elle
Faites-la boire, reprend-elle, d’un ton légèrement las. Faites-le, vous, puisque vous, vous êtes là. Je pose le verre ici. Et si elle me d emande, vous n’avez qu’à sonner.
C’est bon, dit Élisabeth, on va s’en occuper. Marti ne, donne-lui, toi, tu sais mieux faire que moi.
Je ne comprends pas ce qu’elle dit. Qu’est-ce qu’el le dit ? dit Émilie. Elle regarde autour d’elle, voit Martine qui tient le verre, voi t Élisabeth et Martine, puis, se tournant fiévreusement du côté présumé de la voix qui lui pa rle, s’adresse au mur verdâtre devant quoi se trouverait un soi-disant grabat dans lequel une femme gît.
Qu’est-ce qu’elle dit ? dit Émilie, désignant l’occ upante, je ne comprends pas ce qu’elle dit.
Qui ? dit Élisabeth.
Qu’est-ce qu’elle marmonne encore, demande Émilie à Martine qui tend le verre gauchement et qui, ne sachant quoi répondre, se déh anche… Mais qu’est-ce qu’elle me veut donc ?
Mais qui ? disent Élisabeth et Martine.
Elle, dit Émilie, désignant l’invisible… Là-bas, du fond de son lit, elle disait quelque chose.
Elle te disait de boire, mais doucement, dit Élisab eth.
Pas l’infirmière, pas elle, dit Émilie ulcérée. Ell e. Et elle montre du doigt le fond vide de la chambre où le spectre est couché, recouvert d ’un drap blanc qui descend jusqu’en bas, tout encadré de cierges et de petites flammes qui vacillent.
Il n’y a personne, dit Élisabeth, c’est peut-être d u bruit. Du bruit dans le couloir… bien qu’on n’entende… rien. Rien du tout. C’est din gue, ce calme, non ? Tu ne trouves pas ? dit Élisabeth à Martine.
Bois, dit Martine, je tiens le verre, regarde.
Moi je sais, dit Émilie. Je sais ce qu’elle dit, mo i. Elle disait. Elle me disait. Vous n’avez pas entendu ?
Non,ditÉlisabethenhaussantlessourcils.
Non,ditÉlisabethenhaussantles sourcils.
Vous avez une cigarette ? dit Émilie.
Non. Je ne fume plus, tu sais bien, dit Martine.
Je ne fume pas, dit Élisabeth. Pas ici. Je n’ai rie n.
Et elle, elle fume ? interroge Émilie en parlant au fantôme. Vous fumez ? Vous croyez qu’elle fume, elle ? C’est peut-être ça, c’e st peut-être fumer. Est-ce que vous, vous fumez ? crie-t-elle en direction du lit.
Tu devrais boire, dit la grosse Élisabeth, Martine te tient le verre, tu devrais boire maintenant.
Et elle, qu’est-ce qu’elle veut ? hurle Émilie. Qu’ est-ce qu’elle dit ? Regardez sous son lit. Elle planque ses cigarettes sous le lit se ulement pour me faire chier. Elle planque ses cigarettes là pour me faire chier. J’ai soif. Donnez-moi une bonne bière. Il n’y a plus rien à faire par ici. Une bonne bière et je me casse.
Madame ! l’apostrophe l’inconnue, dressée sur sa li tière, enveloppée d’un péplum. Restez, restez ici !...
Il n’y a rien dehors, vous comprenez ? Plus rien. R estez là, vous verrez, il y a bien mieux à faire. C’est ici que tout se termine. Gérar d, apportez-nous du vin. Mettez-le là. Allez chercher le vin à la cave, lui dit-elle, vous n’êtes pas encore mort. Pas complètement. Prenez toutes les bouteilles. Prenez tout. Mettez tout sur la table, qu’on s’en mette jusque-là. Vous nous aiderez, Gérard ; a lors, on en aura fini. Ne faites pas l’imbécile. Vous faites l’imbécile. C’est idiot ce que vous faites ; relevez-vous, enfin ! Vous êtes bien mieux debout ; il n’y a plus rien pa r terre. Puisque je vous dis qu’il n’y a rien. Ne faites pas semblant ; il n’y a pas ce que vous cherchez. Allez, allez, apportez le homard ! J’avance tout de même un peu, vous save z. Une seule gorgée, une seule, et puis on oublie tout. Mais bien sûr, Gérard. Qu’e st-ce que vous, vous croyez ? On est tous là. Est-ce que vous m’avez vue ? Je suis comme vous. Est-ce que Madame est différente ? Ses fantômes ? Ils arrivent. Vous vous faites des idées sur vos possibilités d’avancement. Vous n’êtes pas encore froid. Chacun sa place, mon vieux. Ne faites pas la gueule. Buvez plus de bière, vous êtes trop sérieux. Il y a combien de bocks dans cette baraque ? Qui peut compter les demis ave c moi ? Il y en aura pour tout le monde, vous comprenez, on n’en voit pas la fin. On voudrait bien, mais non, ça reprend au début. Des fleurs. Beaucoup de fleurs. J e veux des fleurs, vous m’entendez ? « Ni fleurs ni couronnes » et puis quo i encore ? Je veux des couronnes, des gerbes, des coussins… ce que vous voudrez, mais des fleurs.
Mais madame, vous n’êtes pas morte ! dit Émilie.
Qu’est-ce que vous en savez ? lui rétorque l’étrang ère avec sa voix de saoule.
Il faut boire, dit Élisabeth, tu as la fièvre qui m onte… Martine ! Apporte le verre, je vais soulever sa tête, il faut qu’elle boive, dis-d onc, elle se met à parler à personne à présent, qu’est-ce qu’on fait ?
Qu’est-ce que vous en savez ?... Regardez-vous, mad ame. La bière à flots, je vous dis. Vous n’êtes pas assez noire, c’est pour cette nuit, je vous dis. Moi d’abord, et vous derrière. Quelques mois, quelques heures, quelle di fférence ? Un vrai cercueil. Du bois. Des clous.
Jen’aimepascettefemme,ditÉmilie,jepréfèrev oyagerseule.Pasdebagage,un
Je naime pas cettefemme,ditÉmilie,je préfèoyager seure v le.Pasdebagage, un sac. Un seul trousseau. Une seule cabine. Qu’est-ce que j’aurais à faire d’une promesse de château, je préfère ma cabane ; une you rte me suffit… Il faut les voir à la télé, il paraît qu’il y aurait mieux que ça. Les ar bres, les oiseaux, tout ça, ça ne vaut rien, il leur faut un yacht ou mourir, un milliarda ire ou rien… Regardez tout là-bas les arbres qui se balancent. Il y a une petite table, i l y a trois chaises autour, et qu’est-ce qu’on attend maintenant pour boire notre orangeade ?... « Ajoute un peu d’eau dans mon verre, dira Élisabeth comme d’habitude, je n’ai pas trop droit au sucre, tu sais bien »… « Tu ne prendras pas de gâteau ? dira Marti ne »… « Une bouchée, dira Élisabeth, une bouchée quand même, oui »… « Un gram me ! Une bouchée ! Mais pendant combien de temps tu vas rater ta vie, Élisa beth ? Une goutte ! Un doigt de champagne ! Une seule dragée ! Arrête ! À quoi ça t e sert, tu es grosse ! Tu seras grosse toute ta vie, tu mourras comme ça »… Et le v ent qui se lève et soulève les hautes branches du tilleul et du frêne, et celles d u peuplier, mais est-ce qu’on a le droit de s’en foutre ? Avoir exprès quinze ans, ne plus s ortir de là. J’étais devant la fenêtre avec mes quinze bougies et je l’ai bien senti ce pe tit souffle d’air froid qui voulait tout gommer. Mais je l’ai bien tenu mon pari sur la lune … Ah mes amies, je coule… où est notre jeunesse ? La rivière bleue et verte et le bo is de bouleaux… que c’était beau… que c’était beau ! Asseyez-vous maintenant !… Élisa beth, Martine, allez ! Asseyez-vous ! C’est le clou de la soirée. Asseyez-vous, je vous dis. Vous la voyez maintenant ? C’est son heure je vous dis, son heure de comédie. Un cauchemar. Dans quelques minutes, vous verrez, elle mettra en couro nne sa culotte sur sa tête, elle mettra sa culotte. « Ma couronne » elle dira, puis debout sur son lit, le drap sur ses épaules, « ma tenue officielle » elle dira. Elle dé lire complètement. C’est comme ça tous les soirs. Puis elle se met en boule et elle p leure, c’est tout. Elle était richissime à ce qu’il paraît, une dame… Qu’est-ce que ça signifi e ? Elle vivait soi-disant, vous ne saviez pas ? Dans un château. Une sorte de coffre-f ort entouré d’arbres, un parc, une armée de clandestins, des bonnes à ce qu’il paraît et plusieurs criminels ; il fallait ça, dit Émilie, pour toutes les réceptions, il fallait ça et des centaines d’hectares pour en arriver là. « Mon mari m’a ruinée », voilà ce qu’el le a lâché au plus fort de sa berlue. Vingt-cinq ans de moins qu’elle. « Le jeu ». C’est ce qu’elle a dit, le jeu. Elle l’aimait. Il paraît que c’est le jeu. Il fallait qu’elle le chérisse. « Laissez-nous mourir, on n’a plus de dents ! » crie-t-elle devant la soupe. Ne faites pa s attention, elle pleure, elle se mouche dans son drap, dit Émilie, puis elle se rendort, c’ est comme ça. C’est comme ça tous les soirs. J’ai sommeil moi aussi, elle m’a foutue le cafard. Quelle promiscuité ! Quel désordre ! Ne partez pas tout de suite, restez enco re un peu, je vais me casser, je le sens ; je sens que je m’apprête à regagner le plafo nd où il règne une paix dingue, mais cette fois pour de bon, pas pour une demi-nuit. Je vole déjà, je vous dis, vous prendrez quoi, dites-moi, mes bonnes vieilles ennemies, le d ernier train bien sûr, la dernière épuisette, vous en avez de la chance, apportez-moi demain mon pare-brise, mes gants blancs, mes deux rétroviseurs, et que ça roule, all ez !... Une belle messe. De beaux chants…
Ça va ? dit Martine. Tu veux boire ? Tu ne veux pas ? Tu veux ton verre ? Non ?... Je ne sais plus où j’en suis, dit Martine à Élisabeth. Qu’est-ce qu’elle dit ? Tu comprends ?... Tu comprends tout ce qu’elle dit ?
On est quel jour ? dit Émilie.
Lemêmequetoutàl’heure,ditÉlisabeth,onn’ap asbougé.T’asunpeudéraillé.
Le même quetoutàl’heure,ditÉlisabeth, on nasa p bougé.T’as un peuraillé. Mais ça va aller, on est là, tu comprends. Tu veux quelque chose ? Tu veux manger ? Tu veux boire ? Tu veux faire pipi ?
J’ai fait un rêve, dit Émilie. On était toutes les trois au bord d’une boîte en bois. Les jambes pendantes, dit Émilie. Une boîte longue, un fond vide, et une drôle de musique. Plusieurs rangées d’étoiles vers lesquelles avançai t une colonne de pieds roses… des champignons mortels… Vous entendez maintenant comme elle ronfle, elle aussi, après tout ce raffut ? Et moi, et moi aussi, Martine, Éli sabeth, restez, restez encore un peu, moi non plus je n’ai rien compris…
Moi non plus, dit Élisabeth, après plus d’une minute.
Elle n’entend pas, dit Martine, elle s’est endormie .
Et donc, qu’est-ce que je disais ? dit Élisabeth. J e pensais, figure-toi, je pensais à nous trois… à l’école… aux dortoirs… qu’est-ce qu’o n a pu cailler, tu te souviens de ça ? Les couvertures râpées, les lavabos gelés… Qu’ est-ce que j’ai fait de mon châle ? On crève de froid ici. On crève de froid !
Élisabeth, tu cries.
Et alors ? On va finir par attraper la crève. Regar de Émilie ! Est-ce qu’elle n’est pas en train de crever ?... Ah ! le voilà ! Tu as vu ? Un châle tout neuf et déjà mou. La laine ne tient pas. Quand je dis « la laine ». Un mélange oui, c’est chinois, c’est déjà mou. Qu’est-ce qu’il fait froid ici. J’appelle l’infirmi ère. C’est pas normal, regarde, elle parlait, elle parlait, puis d’un seul coup plus rien. J’appe lle l’infirmière.
Elle dort, dit Martine.
Elle ne dort pas. On ne s’endort pas tout d’un coup en plein milieu d’une phrase, j’appelle l’aide-soignante.
Vas-y, je reste là, dit Martine.
J’y vais.
Ferme la porte !
Hein ?
Ferme la porte, je te dis, il y a des courants d’ai r.
Oui oui, je ferme, je ferme, dit Élisabeth. Pas un seul péquin qui viendrait, je n’en reviens pas, elle a tout le temps qu’elle veut pour crever, personne n’est là. Je n’en reviens pas. Je vais fumer, tiens, je vais m’asseoi r là et fumer, je n’en peux plus, c’est vrai, depuis ce matin, qu’est-ce que je dis, une se maine !… Martine est patiente, qu’est-ce qu’elle est patiente, qu’est-ce qu’elle e st bonne, Martine, comment est-ce qu’elle fait pour être bonne, une bonne fille ! Non , ce n’est pas ce que je veux dire, je l’adore. J’adore Martine. Martine est la plus génia le des personnes que j’aurais connues dans ma vie, j’ai de la chance de connaître Martine, elle est capable de tenir le verre d’Émilie trois jours sans s’asseoir, elle est capable de ça, je l’admire... je n’ai pas de patience, je déprime, j’entends hier matin, à la radio, eh oui, c’est ce qu’on entend le matin. On se prépare à vivre, on allume l a radio et c’est ça qu’on entend. Des horreurs. Sur la banquise, j’entends, il ne neige p as, il pleut. Résultat, les poussins des pingouins se mettent tous à geler. Zéro pour cent d e reproduction, dit la voix…. Et ça n’inquiète personne. On le repasse le soir au zappi ng. Au zapping ! C’est en boucle !...
« Oh ! tu as vu… qu’est-ce qu’ils ont, les poussins ?!... Ils sont bizarres, non ?! »... « Ils sont morts »... « Ils sont morts? »… « Oui. Ils son t gelés »… « Ah bon ?!... » Ça ne les inquiète pas. Tu leur demandes après, qu’est-ce qui vous inquiète ?... « Heu… la chute du pouvoir d’achat ! » Ah oui !
Ah ! Martine, ce couloir ! dit Élisabeth qui déboul e… tu n’imagines pas une nuit plus profonde. Plus longue. Un cauchemar. Personne. Des cris. Des yeux qui brillent. Des petites lumières blafardes sur le point de s’éteind re, pas un seul témoin, Martine, tu m’écoutes ? Le couloir… Il est plus long qu’une jou rnée et personne au bout, figure-toi ! Et alors, où est-ce qu’ils sont ? Où est-ce q u’elle est ? Je te jure. Soi-disant un hôpital. Un hôpital de pointe. Soi-disant de pointe , dit Élisabeth. Où est-ce qu’on va ? Où est-ce qu’on va ?... Ohé !... Il y a quelqu’un ?
T’as vu personne ? dit Martine. Vraiment personne ?
J’ai vu du vide, dit Élisabeth, tu ne me crois pas ? Des murs peints, quelques portes, et à part ça, des morts... Et on vient là pour guér ir. Tu te rends compte ? Martine. Pour crever, oui. Comment elle va ?
Elle n’a pas desserré les dents.
Ça m’inquiète, ça, tu sais, ça m’inquiète. Parce qu ’elle parlait. Il y a cinq minutes elle parlait. Qu’est-ce qu’elle a fait pendant que j’éta is sortie ?
Rien. Qu’est-ce que tu veux qu’elle fasse ?
Bouger !
Bouger. Non. Elle n’a pas bougé. Elle n’a pas bougé je te dis.
J’ai compris, pourquoi tu cries ?
Tu me demandes, dit Martine. Tu me regardes. Comme si j’y étais pour quelque chose...
Regarde sa bouche ! Sa bouche a bougé. Elle vient d e bouger pendant que tu parlais.
Tu crois ?... Ah mais oui, tu as raison, elle a bou gé. Elle a parlé ?
Non !
Écoute, écoute !
Elle souffle.
C’est quoi ça ?
Je ne sais pas, c’est drôle.
Appelle l’infirmière !
Il n’y a personne, je te dis, elle n’est pas dans l e couloir. Tu te rends compte de ça ? Toute seule à l’étage. Elle a le droit d’avoir envi e de pisser, la pauvre. Quel métier ! Quel métier elles ont ! Toute seule à l’étage ! Com bien de lits ! Prends le pouls, prends le pouls… Qu’est-ce que ça dit alors ?
Rien.
Montre ! Laisse-moi regarder !... Ça ne bouge pas. Tu te rends compte, ça ne bouge pas. Il n’y a rien dans la bouche. Il n’y a rien du tout, c’est vide. Tu entends comme c’est vide. Approche ton oreille, c’est vide.
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